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Il marqua un arrêt.

— Le plus fort, écoutez : refuse d’entrer dans la C.I.A. comme informateur à Hong-Kong, et même comme interprète à Washington. Traqué par ses compatriotes, reçoit l’autorisation de venir s’installer aux U.S.A. où il poursuit son métier de copiste des poètes de la vieille Chine. Vie retirée malgré ses trente-cinq ans.

Quand le commodore se tut ils restèrent silencieux. Si c’était l’homme qu’ils cherchaient l’affaire avait été préméditée depuis des années, et Pékin n’avait pas hésité à sacrifier tout un réseau pour implanter cet homme en territoire américain.

— Il aurait même rejeté la facilité en refusant d’entrer dans la C.I.A.

— Ne nous laissons pas influencer, fit Kovask. Voyons ce dernier dossier. Celui de Yuan-Tien-Lan. Quarante ans. Acupuncteur. Ne reçoit que l’après-midi. A pris la succession d’un sien cousin mort peu de temps après son arrivée aux U.S.A. Le cousin l’avait fait venir du Mexique où Yuan était installé depuis avant la guerre.

Perplexes ils contemplaient les dossiers ouverts. Puis Luang alla encore une fois au téléphone. En chinois il donna quelques ordres brefs, raccrocha. Un sourire malicieux plissait ses lèvres.

— J’ai demandé qu’on se procure un spécimen de l’écriture occidentale de ces trois suspects. Ils seront soumis à un graphologue d’une très grande habileté qui les comparera avec la signature de ces chèques.

— Mais comment ferez-vous pour ne pas attirer l’attention ?

Luang sourit.

— Un membre du comité du dragon va passer dans chaque maison pour une pétition quelconque et faire signer chaque locataire. C’est assez fréquent. Il exigera quelques lignes de texte.

— Et si notre homme prétend ignorer l’écriture occidentale ? dit un peu trop rapidement Shelby…

Modestement Luang lui rappela que l’Immigration exigeait des Chinois la connaissance des lettres occidentales. Ils continuèrent d’éplucher les dossiers qui contenaient les rapports des hommes de Luang. Parfois l’un des trois hommes signalait un détail intéressant, mais tous attendaient impatiemment le résultat de l’examen graphologique.

— Le copiste va déjeuner tous les samedis dans un restaurant voisin, puis assiste généralement à une séance de cinéma avant de rencontrer une prostituée, toujours la même, et revient chez lui à sept heures. C’est à peu près sa seule sortie.

Shelby referma le dossier du copiste Pheng-Ho et jeta un coup d’œil au téléphone.

— J’ai un faible pour ce citoyen-là. Je paye à boire si lui et Ferguson sont le même individu.

Enfin la sonnerie retentit et très calme Luang alla prendre la communication. Son visage resta impassible jusqu’au bout. Son sourire semblait annoncer la victoire mais ses paroles apportèrent aux deux officiers de marine une grande déception.

— Aucune des trois écritures ne se rapproche de celle de ce Ferguson.

Kovask s’efforça de rester calme.

— Nous avons donc fait fausse route. Ou alors l’un de ces hommes a utilisé un homme de paille pour signer.

Luang l’écoutait, l’air pénétré.

— Quelqu’un qui craignait de se trahir par son écriture ? Il nous reste alors Pheng-Po le copiste, dit-il. Peut-être avait-il fait signer une certaine quantité de chèques à l’avance. Par un Chinois également, puisque nous avons constaté que cette signature avait quelque chose d’asiatique.

Le Commodore surveillait Kovask du coin de l’œil. Le lieutenant-commander leur tournait le dos, et les mains dans les poches regardait au travers des vitres. Le brouillard matinal cachait ce qu’il aurait pu découvrir de la ville.

Luang s’était tu. Ce dernier coup était dur à avaler et il prit une expression attristée.

— Je crois, dit lentement Shelby, que nous allons devoir nous résoudre à faire appel au F.B.I. ainsi que vous vouliez le faire hier au soir. Vous savez ? Rechercher ces types ayant pu être contactés par Ferguson ?

Kovask se retourna. Son visage fatigué paraissait beaucoup plus dur que d’habitude et ses mâchoires étaient crispées.

— J’ai encore une autre idée, dit-il, mais elle demandera un certain nombre d’heures pour être appliquée. Malheureusement nous allons avoir besoin des renseignements dont dispose la C.I.A… et je crains qu’après la dernière affaire ils ne soient guère disposés en ma faveur.[5]

Shelby eut un geste significatif.

— J’en fais mon affaire, même si je dois faire intervenir la Maison-Blanche.

— Je tiens également à agir seul. Mon histoire ne sera acceptable que dans cette condition.

— J’ai déjà expédié Michael, je peux me mettre aux arrêts simples, persifla le commodore.

Luang s’inclina et se dirigea vers la porte. Kovask l’arrêta d’un geste.

— Je me suis mal exprimé, dit-il en souriant. Je vais me jeter dans la gueule du loup, mais j’aurai évidemment besoin d’une assistance invisible et surtout d’un conseil. Luang, en toute sincérité et au moyen de quelques arrangements, puis-je passer pour un Eurasien ?

Le Chinois hocha doucement la tête et regarda le marin attentivement pendant une bonne minute. Kovask supporta cet examen avec patience. Il voulait une certitude.

— Oui. Il vous faudra des cheveux noirs, des verres de contacts plus sombres. Le teint est excellent. La grandeur est assez surprenante mais peut encore aller. Si vous acceptez également de faire jaunir vos dents. Les métis les ont souvent en mauvais état ; surtout après un long séjour à l’étranger. Il faudra également penser à vos mains, principalement à vos ongles.

Il se tut quelques secondes.

— En fin de compte, je crois que ce sera possible.

— Bien, dit Kovask. Il s’agit d’obtenir de la C.I.A. le plus de renseignements possible sur la liquidation de ce réseau rouge à Formose.

Shelby soupira.

— Je crois comprendre. Vous serez un survivant de ce réseau assoiffé de vengeance ?

— Exactement. Il faudra que Pheng-Ho vide entièrement son sac. J’espère que tout cela ne sera pas inutile et qu’il n’a pas la conscience tranquille.

Luang souriait largement.

— L’idée est exceptionnelle, mister Kovask. Je vous souhaite de réussir.

— J’aurais besoin de vous et de vos hommes. Si Pheng-Ho est mister Ferguson, il essayera de me liquider ou, si je suis le plus fort, de se justifier. Vous suivrez le moindre de ses déplacements.

— Comptez-vous commencer bientôt ?

— Dès que nous aurons les renseignements de la C.I.A.

Luang s’inclina une nouvelle fois.

— Mister Kovask, je suis entièrement à votre disposition pour faire de vous un véritable Eurasien. Vous serez satisfait du résultat.

— Il faudra également me trouver une chambre dans le quartier chinois, et un propriétaire et des voisins prêts à jurer que je suis à San Francisco depuis plusieurs mois déjà.

Le représentant des Six Sociétés souriait.

— Rien de plus facile. Également une situation ?

Kovask réfléchit quelques secondes.

— Je crois que ce sera préférable, en effet.

Il se dirigea vers la porte.

— Je ne perds plus un seul instant. Dès que vous l’aurez choisi, faites-moi savoir quel sera votre nouveau nom. Beaucoup d’Eurasiens ont eu un père russe. Ils sont considérés comme les plus fidèles au régime de Pékin en règle générale.

La porte se referma doucement sur lui. Shelby bourra sa pipe avec une nouvelle vigueur.

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