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— Je crois que ça va marcher, dit-il.

CHAPITRE XV

Pheng-Ho sortit, du restaurant « Les délices du Vieux Pays », et marcha lentement sur le trottoir. Petit, très maigre, portant des lunettes rondes cerclées de nickel, on lui aurait donné cinquante ans à cause de son allure, et indépendamment de ses cheveux noirs qui glissaient de son feutre beige.

Il n’accorda aucune attention au grand Eurasien attaché à ses pas depuis qu’il avait quitté son petit appartement. Du même pas tranquille il pénétra dans le cinéma, prit un ticket à la caisse et disparut derrière les doubles portes.

Serge Kovask prit également un billet, et alla s’installer à quelques rangées de Pheng-Ho. Le Chinois avait ôté son chapeau et l’avait posé sur ses genoux. Durant toute la séance il resta impassible, et deux heures plus tard alors que le brouillard arrivait de Golden Gate, il rencontrait une jeune femme aux yeux bridés. La prostituée était certainement originaire des Philippines. Pheng-Ho n’avait pas mauvais goût. La fille avait l’air très jeune et sa robe légère se plaquait sur son corps agréable. Le couple disparut dans un corridor. L’agent de l’O.N.I. alla s’installer au comptoir d’un bar voisin et commanda une bière.

Préoccupé ou non par cette filature, Pheng-Ho resta près de deux heures avec sa compagne, quitta l’immeuble toujours aussi calme. Il rentrait directement chez lui, en direction du quartier situé au pied de Telegraph Hill.

D’un coup d’œil circulaire Kovask pu se rendre compte que le dispositif mis en place par Luang et Shelby était important. Il reconnaissait certaines têtes, le représentant des Six Sociétés lui ayant fait connaître ses collaborateurs. L’un nettoyait les vitres d’un petit restaurant, un autre vendait des coquillages assis derrière sa petite charrette. Deux autres arrachaient les affiches d’un mur et paraissaient disposer à ne s’arrêter que lorsque toute la façade serait à nu. Dans la foule importante de ce samedi soir il devait y en avoir encore d’autres.

Kovask ne jugea pas utile de frapper à la porte du petit appartement. Il tourna la poignée, pénétra dans les lieux. Toujours coiffé de son chapeau beige, Pheng-Ho examinait un manuscrit, une feuille couverte de signes chinois posés sur une table.

— Bonsoir Pheng-Ho, dit Kovask sur un ton un peu criard.

L’homme le regardait sans tressaillir. Refermant la porte derrière lui Kovask examina les lieux. Une table encombrée de papiers, des flacons et des pinceaux, un lit étroit, deux chaises. Sur la droite une porte entrouverte dévoilait un évier et un réchaud à gaz.

Le Chinois inclina la tête et attendit.

— Je suis un poète, dit Kovask d’un ton goguenard, et je voudrais que vous transcriviez mes vers en vieille écriture.

Pheng-Ho inclina la tête.

— Ce sera une chose possible. Pouvez-vous me donner le texte ?

— Inutile, dit Kovask c’est tout dans ma tête.

— Puis-je le prendre en note ?

L’homme ouvrit un cahier d’écolier, examina la pointe d’un crayon. Insatisfait il sortit un canif de sa poche et l’aiguisa.

— Je suis à votre disposition.

— Bien. D’abord le titre, À mes Valeureux Camarades de Taipeh.

Pheng-Ho écrivit sans sourciller.

— Vous aviez dû cacher l’Étoile Rouge au fond de vos cœurs. Vous étiez à Formose, le pays de l’Immonde et du Traître. Vous étiez les Vers glorieux rongeant le fruit pourri. Vous étiez les soldats secrets de l’avenir Populaire. Mais le traître Pheng-Ho arrivait à Hong-Kong.

Kovask se tut. La main du copiste écrivit cette dernière phrase sans trembler.

— Il y a une deuxième strophe, dit Kovask.

Il enchaîna :

— Vous saviez expliquer la Chine Nouvelle au Peuple de l’île. Vous l’aidiez à fourbir les armes contre les sadiques Américains. Vous prépariez dans la joie le jour prochain de la Libération. Vous et moi, Kamir-Tien, travaillions sans relâche. Mais le traître Pheng-Ho parlait à Hong-Kong. Le copiste déposa son crayon et croisa ses mains. Kovask avait sorti un Colt 38.

— Tu n’écris plus, ignoble chien ?

Le regard de Pheng-Ho glissa vers lui.

— Il m’a fallu six ans pour te trouver. J’avais juré de les venger. Pour arriver à mon but je me suis vendu aux Américains, je les ai servis, je me suis totalement coupé de Pékin et de mon pays. Mais le résultat en valait bien la peine.

Pheng-Ho ne le regardait plus. Il paraissait réfléchir.

Depuis plusieurs jours je t’épie, et aujourd’hui en te voyant sortir de chez toi j’ai pensé que tu voulais t’enfuir. Je t’ai suivi avec soin.

Il s’approcha lentement.

— Ta trahison ne semble pas t’avoir rapporté beaucoup, sinon cette apparente sécurité où ta vivais. Tu croyais que jamais personne n’arriverait jusqu’ici ?

L’instant devenait critique, car Pheng-Ho se comportait comme un traître authentique qui sait qu’il ne peut éluder le châtiment. Il fallait aller plus loin encore.

Kovask bondit et frappa le Chinois après avoir fait tomber le chapeau de la main gauche. Assommé par le coup de crosse, Pheng-Ho se tassa sur sa chaise, puis glissa sur le côté. Kovask le retint et l’allongea sur le parquet. Il le déshabilla intégralement, lui attacha les pieds et les mains, lui fourra un bâillon dans la bouche après en avoir examiné l’intérieur avec attention, craignant que le Chinois n’ait une pastille de cyanure dans une dent creuse.

Lorsque Pheng-Ho reprit connaissance, la nuit était tombée. Une ampoule électrique brillait à quelques centimètres de ses yeux et l’éblouissait. Il détourna la tête et vit que son visiteur avait disposé plusieurs objets à portée de la main. Un rasoir à la lame luisante, des allumettes soufrées dont le bout était taillé en pointe, une longue aiguille à tricoter en acier.

Kovask fumait une cigarette assis sur une chaise. Pheng-Ho était à ses pieds.

— Le traître se réveille enfin, dit-il d’une voix joyeuse.

Il s’efforçait de cacher son anxiété. Et si Pheng-Ho n’avait eu aucune activité secrète depuis son arrivée à San Francisco ?

— Je vais te raconter comment sont morts mes sept camarades de Taipeh. Nous étions huit quand tu nous as vendus, mais moi, Kamir-Tien, j’ai pu m’échapper. Comme j’étais surveillé je n’ai jamais pu reprendre contact avec Pékin. On doit me croire mort et, en plus des souffrances qu’ont endurées mes compagnons, je veux te faire endurer aussi les miennes, celles d’un homme obligé de vivre loin de son pays depuis de si longues années.

Il parla pendant une dizaine de minutes, racontant comment les policiers de Tchang-Kaï-Chek avaient fait mourir les membres du réseau. Il inventait les détails, laissait à Pheng-Ho le temps de reprendre complètement ses esprits.

— Maintenant tu es privé de parole. Tout à l’heure je te trancherai la langue et plus jamais personne n’entendra ta voix. Moi-même ne veux pas écouter tes supplications ou tes explications.

Alors brusquement les nerfs de Pheng-Ho cédèrent. Son regard quitta le visage du soi-disant Kamir-Tien et se fixa sur un objet déterminé.

— Qu’essayes-tu de me faire croire ? Qu’il y a un danger pour moi dans ce coin ? J’ai fouillé ta cuisine. Nous sommes seuls et bien tranquilles.

Le plus difficile était de cacher son espoir, d’éviter de courir vers l’endroit que Pheng-Ho désignait muettement. Il haussa les épaules.

— Ça ne prend pas, mon vieux.

Dans un effort terrible, le Chinois réussît soudain à recracher son bâillon. Kovask avait pris soin de lui laisser cette possibilité.

— Attendez, il y a une erreur. Je ne suis pas un traître.