Furieux Kovask faisait semblant de se précipiter vers lui. L’autre couina :
— La poignée de la porte … Regardée dans la poignée.
L’Américain lui remit le bâillon et se redressa. Perplexe il alla ensuite examiner la poignée an question. Elle paraissait coulée d’une seule pièce dans un alliage léger. Il se rendit compta qu’elle pouvait se dévisser et qu’elle était creusa. La tapotant sur le rebord de la table il en fit sortir un petit rouleau de papier fin. Le texte qu’il contenait était rédigé en chinois et en anglais. On y expliquait comment et pourquoi le réseau de Taipeh avait dû être sacrifié, pour que Pheng-Ho puisse s’installer aux U.S.A. Tous les agents secrets devaient lui obéir sans discussion. Le papier était authentifié par le sceau de l’armée populaire et la signature du général Mei-Yin, chef des services secrets.
Kovask était certain de l’authenticité du document mais il ne le montra pas.
— Tu espères t’en tirer ainsi ? Que prouve ce document ? Tu te terres dans cette ville. Est-ce que tu as seulement agi pour effacer le souvenir de cette trahison soi-disant sur commande ? Je me suis renseigné sur toi dans le quartier. Tu ne sors jamais, tu copies à longueur de journée les poèmes d’auteurs décadents.
Jouant son rôle jusqu’au bout il examina à nouveau le papier, puis sa victime.
— Ça ne colle pas. Je vais t’enlever ton bâillon mais rappelle-toi que je suis venu pour te tuer.
Pheng-Ho avait repris tout son sang-froid. D’une détente inattendue il réussit à s’asseoir lorsque sa bouche eut été débarrassée de son morceau d’étoffe.
— Comment m’avez-vous retrouvé ?
— On en parlera plus tard. Peux-tu me prouver que ce papier dit la vérité ?
Les yeux du Chinois se troublèrent un court instant. Kovask sentit sa réticence et ricana :
— J’en étais sûr. C’est un faux.
— Imbécile !
— Non, mais dis donc …
— Imbécile, et la réaction d’identification ? Mouille un coin avec ta salive, le gauche en haut.
Kovask obéit et resta muet de surprise. Tracé par une plume d’une finesse inouïe, le portrait de Pheng-Ho en uniforme de l’armée populaire apparaissait !
— Cela ne peut se fabriquer que chez nous.
En séchant le papier, du moins le coin est question, reprenait son apparence normale.
— Alors tu es convaincu ?
Il resta silencieux.
— Tu crois à un piège ? Sais-tu que toi et tes compagnons de Taipeh alliez malgré tout être arrêtés ? Que je n’ai fait que hâter la fin ?
Sa voix prit un peu plus de force :
— Mettrais-tu en doute les moyens employés ? Est-ce ton origine qui te donne des scrupules moraux ?
Kovask haussa les épaules.
— Tu travailles pour les Américains et tu essaies de t’en tirer. Tu as conservé ce document en cas de danger.
— Penses-tu que nos amis m’auraient laissé en vie alors que je vis sous mon nom véritable ? Depuis des années je n’existerais plus.
Kovask pensa que la C.I.A. aurait dû s’étonner elle aussi de ce miracle. Les services secrets de l’armée rouge étaient suffisamment puissants pour atteindre un homme en plein territoire U.S.
Il laissa apparaître un doute sur son visage.
— Bien sûr …
— Quelle heure est-il ?
— Huit heures du soir.
Pheng-Ho désigna son poste de radio, un vieil engin sur lequel s’entassaient des livres et qui ne paraissait pas servir.
— La longueur d’ondes 36 mètres. D’ici un quart d’heure tu entendras une série de signaux morses. Tu sais le prendre ? Bon. Ensuite tu utiliseras ce gros livre, « Roi sans royaume », une vie de Confucius à la page 163. Les signaux sont en clair et sont ceux des chiffres habituels. Ils désigneront les lignes. Après un silence de quelques secondes ce seront les numéros des lettres.
À l’heure dite le message fut parfaitement reçu malgré les parasites et un certain brouillage. Il était assez long et le décryptage fut laborieux. Le texte était rédigé en anglais et il donna une belle émotion à Kovask.
ALERTE !. S. R. U. S. RECHERCHE DANS REGION SANFRANS CORRESP. REV. FONCIERE. AGENT NAVY KOVASK. TYPE 349 CACHE A17. ACTIF. OBSTINE. SEATTLE. SACRAMENTO. INUTILISABLES. ALERTE !. ALERTE !
Kovask lut le message au Chinois qui l’écouta avec attention.
— Bien, fit-il le visage impassible.
— Pour vous peut-être, mais que signifie ce message ? Ne croyez pas que je vais marcher parce que vous avez reçu un message.
Pheng-Ho parut prendre une décision.
— On me prévient de rester tranquille pour un délai indéterminé. Les services secrets de ce pays sont en alerte et semblent avoir compris un des systèmes de communication que j’emploie avec mes différents réseaux.
C’était énorme. Pheng-Ho avait bien dit des systèmes de communication, et avait parlé de différents réseaux. Il était certainement le grand patron de la côte Ouest. Sinon celui pour tout le territoire américain. En y réfléchissant, la chose n’était pas tellement surprenante vu les précautions prises par Pékin pour introduire l’homme dans la forteresse yankee.
— Ensuite ils me signalent qu’un agent de l’O.N.I. est sur ma piste. Son signalement m’est également envoyé. Je dispose dans un certain endroit de quelque cinq cents croquis d’individus. Je vais choisir le numéro 349, et ensuite le cache transparent A17, ainsi j’aurai le visage de cet homme avec toutes ses caractéristiques. Imaginez qu’il se déguise, je pourrais cependant le reconnaître.
Il s’attendait à une telle révélation, mais malgré tout, une sueur froide coula dans son dos. Pheng-Ho n’était pas allé jusqu’au bout et il devait encore lui soutirer bien des choses.
— Et le nom de ces villes ?
Le Chinois haussa les épaules.
— Un accident. Un réseau démoli. Aucune importance d’ailleurs. Cela représente le pourcentage habituel de déchets.
Kovask n’en croyait maintenant plus ses oreilles. Pheng-Ho lui avouait tout simplement qu’il était le grand patron de l’espionnage chinois sur tout le territoire américain. Pour que la perte d’un homme tel qu’Herman lui paraisse anodine, il fallait que le reste soit véritablement hors de pair.
— Alors, qu’allez-vous faire ?
— Je ne peux évidemment pas entrer en relation avec Pékin ?
Cette fois la défiance du Chinois fut nette.
— Je comprends mal votre obstination, de même que je me demande comment vous avez fait pour parvenir jusqu’à moi.
De ce côté-là Kovask était paré et il débita sa petite histoire sans hésitation. Elle avait été mise au point en collaboration avec la C.I.A. et Luang, le représentant des Six Sociétés. Il eut l’impression qu’elle ne faisait guère plaisir à Pheng-Ho.
— Évidemment on devrait se garder de tous les côtés, murmura-t-il. Je n’aurais jamais pensé qu’un survivant de ce réseau viendrait un jour me demander des comptes, et me mettrait dans une situation aussi difficile.
Il se plongea dans une longue méditation.
— Savez-vous ce que répondra Pékin ? Kovask soutint son regard :
— Il vous, demandera la liquidation physique d’un témoin aussi gênant.
— Et vous voulez malgré tout que je les prévienne ?
Le pseudo-Eurasien inclina la tête :
— Dites-leur que je suis bien introduit dans les Six Sociétés.
Cette affirmation fit son petit effet.
— Vraiment ? Comment avez-vous pu ? C’est une chose si difficile, réservée aux Chinois nés dans cette ville.
— Nous en discuterons plus tard, fit Kovask d’un ton sans réplique. Si je le veux, en cas de guerre mondiale, il me sera facile de noyauter Chinatown.