— Évidemment c’est un argument, murmura l’autre. Acceptez-vous de me délier ?
— Que voulez-vous faire ?
— Je dois me rendre à un certain endroit. Vous pensez bien que je n’ai ici ni poste émetteur ni mes fiches de travail, et encore moins mes archives.
Kovask secoua la tête :
— Voulez-vous dire que vous quittez fréquemment cet appartement pour vous rendre ailleurs ? Je vous ai surveillé durant plusieurs jours et jamais je ne vous ai vu sortir.
Le sourire du Chinois se teintait d’ironie.
— Déliez-moi. Nous irons ensemble jusque-là bas.
Il n’était plus question d’hésiter. Le petit homme se leva d’un bond et enfila ses vêtements, comme si c’était tout à fait naturel. Kovask laissa glisser son arme dans sa poche.
— M’auriez-vous vraiment tué ?
— Oui, dit l’agent de l’O.N.I.
Pheng-Ho passa dans la cuisine et ouvrit, monté sur un escabeau, un vasistas. Une odeur de pourriture et d’égout pénétra dans la pièce.
— Il y a un puits de ce côté-là.
Il tâtonna avec sa main et ramena une corde. Il la fixa à un solide crochet.
— Elle va nous servir de garde-fou. À l’extérieur il y a une corniche très étroite. Il faut contourner complètement le puits et pénétrer dans un autre vasistas.
Kovask hésitait. N’était-ce pas un piège que le dangereux petit homme lui tendait ?
— Je passe le premier, fit l’autre comme s’il avait compris cette hésitation.
Il enjamba le rebord du vasistas et disparut. La corde se tendit pendant quelques secondes puis se relâcha. L’Américain se décida et passa son corps à l’extérieur. La corniche ne permettait que de poser la pointe des souliers, mais la corde tendue servait à équilibrer le corps.
Une main frôla sa jambe et il se raidit.
— Ici. Un autre vasistas.
Il sauta dans une pièce sans lumière.
— Je m’excuse, dit Pheng-Ho, mais je préfère que vous ne voyiez pas le visage de mon collaborateur préféré.
Une odeur agréable de parfum flottait dans la pièce. Kovask fut certain qu’il s’agissait d’une femme.
— Venez.
On referma une porte derrière eux et Pheng donna la lumière. Ils se trouvaient dans un bureau très grand et doté d’un matériel moderne. Kovask aperçut plusieurs dictaphones, des rangées de classeurs et même une ordinatrice électronique à disques.
— J’aime être bien installé, et comme j’assume une grosse responsabilité à moi tout seul, il me faut un matériel adéquat. Ainsi cette machine qui contient tous les renseignements au sujet de mes réseaux. Savez-vous combien j’en ai sous met ordres ? Quinze très exactement.
Pheng-Ho paraissait très détendu. Peut-être le fait de se trouver dans son ambiance habituelle de travail.
— Nous avons changé d’immeuble. Même les Six Sociétés ignorent que je dispose de cette pièce.
Il souriait, très satisfait.
— Mon émetteur n’est évidemment pas ici. J’enregistre un message sur une bande et selon un certain procédé. Ensuite la personne qui est propriétaire de cet appartement s’occupe de l’émission.
Kovask commençait d’avoir un doute. Pourquoi, alors que Pheng-Ho montrait tant de prudence, conservait-il ce poste radio dans son autre appartement ? Malgré sa vétusté apparente il devait être très moderne intérieurement. De quoi intriguer celui qui aurait eu l’idée de fouiller l’appartement.
— Maintenant, mister Kovask, je vous prie de laisser vos mains sur vos genoux. On est en train de vous viser en pleine nuque avec une carabine à air comprimé suffisamment puissante pour tuer sans bruit à cette faible distance.
CHAPITRE XVI
Kovask comprit en quelques secondes.
— Il y avait un magnétophone dans le vieux poste de radio, et vous aviez reçu cette émission depuis plusieurs jours ?
Pheng-Ho souriait.
— En effet. J’avais votre signalement depuis jeudi soir. Comme vous me surveilliez depuis deux jours, je vous ai reconnu malgré votre déguisement.
Il hocha la tête.
— Inutile de vous dire que j’ai eu tout le temps de prendre mes précautions.
— Rien ne vous forçait à marcher dans cette comédie que j’avais montée. Vous avez agi comme si vous étiez véritablement effrayé.
Le Chinois consulta sa montre et consentit à répondre.
— Du moment que je suis repéré, il vaut mieux que je disparaisse. Un autre prendra ma place.
Un léger regret dans sa voix.
— Je vais rentrer au pays. Grâce à mon action, les réseaux couvrent largement tout le territoire et j’ai pu introduire des hommes de valeur qui se succéderont les uns aux autres, en cas de coups durs, sans que l’ensemble en souffre. Le chef d’un complexe aussi grand doit se comporter comme une machine. L’initiative vient des hommes de base. Ainsi pour l’histoire des diffuseurs de brouillard. Savez-vous qu’ils ont été fabriqués et mis en place par le réseau d’Herman ? Sur une simple suggestion de Pékin que je leur avais transmise.
Une question brûlait les lèvres de Kovask.
— Mais à quoi pouvaient-ils servir ? Vous espériez envenimer les rapports entre Américains et Russes ?
Il était certain que ce n’était pas là le but recherché.
— Vous avez remarqué, répondit le Chinois, avec quelle facilité vos services ont découvert ces appareils. Cette facilité vous a inquiétés et vous a laissé croire à un bluff ou à une provocation ? En fait nous n’avions plus besoin d’eux.
Dans la boucle de ceinture de Kovask un minuscule émetteur-radio émettait depuis un quart d’heure. Les hommes de Luang et ceux du Commodore Shelby devaient effectuer des relevés gonio.
— Ce ne sont donc pas des essais qui se sont déroulés durant cette période ? demanda-t-il.
— Nous avions effectivement besoin de ces nappes de brouillard pour nos manœuvres.
Il rayonnait.
— Vous ne pourrez jamais raconter ce que je vais vous apprendre, mister Kovask, mais au cours de ces dix nuits des commandos de notre armée ont pu librement débarquer sur les Aléoutiennes. Des films aux infrarouges ont été tournés.
Son rire monta :
— Vous ne vous êtes rendu compte de rien. Alors, dites-moi à quoi servent les Bombes atomiques ? Nous pouvons récidiver n’importe où maintenant que notre état-major possède une preuve aussi encourageante. Un jour ce sera sur la côte Ouest, tandis que les réseaux intérieurs auront mis en place un système de sabotage. Nous avions volontairement choisi un endroit particulièrement dangereux pour cette expérience.
Kovask pensait que, s’il avait la chance de pouvoir rapporter cette révélation, les jours de brouillard seraient désormais le cauchemar des états-majors.
— Je sais que vous n’avez pas commis la sottise de venir seul ici. Vos amis sont prêts à intervenir. Vous avez certainement sur vous un de ces minuscules émetteurs qui doit permettre de vous localiser facilement ?
Pheng-Ho sourit.
— Vous comprenez que nous avions prévu une telle éventualité depuis longtemps, et notre système de fading est véritablement au point. Aucune onde ne peut franchir cette pièce.
Il parut consulter sa montre.
— D’ici quelques minutes une explosion endommagera gravement mon ancien appartement, et avant que les pompiers n’aient déblayé les décombres nous serons loin. Vos amis vous croiront dessous, et il faudra plusieurs heures pour les détromper.
Le cerveau de Kovask fonctionna alors avec une grande rapidité. Pheng-Ho venait de commettre une erreur. Il se leva d’un bond et se rua sur le bureau du petit Chinois.