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Kovask pensa que le jeune homme s’y connaissait en météo mais qu’il ignorait les dernières réalisations soviétiques.

— Les Russes ont mis au point des chalands de débarquement suffisamment enfoncés dans l’eau pour affleurer, pour ainsi dire, la surface. En fait ils ne dépassent que d’un mètre et échappent complètement à la surveillance de la DEW line. Ces embarcations sont propulsées par des moteurs à réaction hydraulique dont les ondes sonores sont pour ainsi dire nulles.

L’enseigne haussa les épaules.

— C’est bien possible.

— Autre chose. Pourquoi ces parasites ne subsistent-ils pas toute la durée du brouillard ?

Cette fois le jeune homme put reprendre sa revanche à cette question posée par le Commodore :

— Mais parce que les fils électriques se chargent de gouttelettes et vient un moment où en tombant elles finissent par crever ce film aqueux.

— Hum, fit Shelby mal convaincu. Je vous remercie, Michael.

Une fois seuls ils conservèrent le silence, ruminant chacun de son côté. Kovask alluma une cigarette et alla jeter un coup d’œil à la fenêtre. Le temps était très beau.

— Ingénieux hein le film aqueux de ce jeune homme ?

Kovask hocha la tête.

— Très.

— Vous allez repartir là-bas avec un spécialiste radio et essayer de trouver ces deux fils mis ainsi en communication.

— En attendant je pense que les jours de brouillards n’ont pas été les seuls notés sur ces fiches. Il y en a eu d’autres. Et le révérend n’a pas entendu les parasites.

Shelby sauta sur ses pieds.

— Mais bien sûr.

Kovask revint vers le bureau et reprit les fiches. Il les compara les unes après les autres.

— Curieux. Chaque fois le vent est annoncé comme soufflant du nord-est-nord.

— En provenance du détroit de Behring. C’est normal.

— Bien sûr, dit Kovask, mais il y a d’autres régimes de vents. Curieux que ce brouillard soit, ces nuits-là, poussé vers nous. Pouvez-vous obtenir les fiches météo de Kiska ?

Shelby haussa à nouveau ses sourcils d’un cran :

— Dans les Îles Rat ? Le bout du monde ? Il y a une station en effet là-bas. Et elles sont bien placées pour recevoir ces fameux brouillards.

S’emparant du téléphone il donna des ordres. D’après ce que comprit Kovask on allait essayer d’obtenir ces renseignements le plus rapidement possible.

— D’ici une heure et demie deux heures, confirma le commodore. Si nous allions boire un verre au bar ?

Malgré la température assez basse, à peine un au-dessus de zéro, le chauffeur noir lisait toujours, installé sur son siège.

— À la cafétéria.

À peine cinq cents mètres, mais sous les roues de la jeep giclaient d’énormes paquets de boue.

— Un mois encore pour que la terre absorbe tout ça, et encore nous passons le bulldozer pour activer. On va ratisser cette île jusqu’à l’os si ça continue.

Alors que le commodore commandait un bourbon, Kovask prit du café et un sandwich au poulet. Le petit déjeuner du révérend lui avait paru assez sommaire.

— Je pense que si les Russes décidaient de nous attaquer à l’aide de ces chalands dont vous parliez tout à l’heure, ils feraient en même temps une manœuvre de diversion dans le Nord. Par exemple en envoyant une formation de bombardiers frôler la DEW line.

Kovask se versait une autre tasse de café lorsque l’enseigne Michael entra et se dirigea nonchalamment vers eux.

— Autre chose sur le film aqueux ? ricana le commodore.

Le jeune homme daigna sourire, accepta de s’asseoir à leur table.

— Je viens de penser soudain à l’origine de certains renseignements météo et j’ai pensé que cela vous intéresserait.

Il marqua un temps d’arrêt, jeta un regard d’envie sur le verre à moitié vide de Shelby. Ce dernier comprit tout de suite et fit signe au serveur.

— Où voulez-vous en venir, Michael ?

— Un peu de soda, dit l’autre en étirant ses jambes d’aise. N’auriez-vous pas une cigarette, sir ? dit-il en se tournant vers Kovask. Merci mais j’ai oublié mon paquet.

— Cet individu de vingt-deux ans établit solidement sa réputation de pique-assiette et de grand nonchalant, dit le commodore. Son sport préféré est de faire des pigeons parmi ses supérieurs. Tout ce qui a plus d’une barre sur sa manche l’intéresse au plus haut point.

Sa voix s’enfla et on se retourna des autres tables :

— Je vous somme de vous expliquer.

— Bien, dit le jeune homme, mais gardez un peu de bourbon dans le fond de votre verre, vous en aurez besoin. Une partie des renseignements de météo nous vient de Kultbaza.

Il ne sourit même pas de la tête des deux autres.

— Oui, ajouta-t-il avec légèreté, c’est une chose tellement vieille. Ces accords internationaux sont oubliés de tout le monde sauf de nous, pauvres météorologistes.

— Vous voulez dire Kultbaza dans la presqu’île des Tchoutktches ? fit Kovask d’une voix incrédule.

— Bien sûr. De l’autre côté du détroit. En Sibérie orientale si vous préférez. Les Russes nous envoient deux bulletins par jour rédigés en code international. N’importe qui d’ailleurs peut s’en inspirer, depuis le petit bateau de pêche perdu dans le détroit jusqu’à … la Navy ![1]

Il vida son verre avec satisfaction.

— J’ai demandé à mon service que l’on recherche toutes ces indications pour ces fameux douze jours en question. On va les apporter à votre bureau, sir.

Décomposé Shelby se leva.

— Allons jusque-là bas, et vous, Michael, suivez-nous.

Le commodore pénétra en trombe dans son local et tomba sur une secrétaire qui lui tendit toute une liasse de fiches.

— Fermez la porte. Si jamais vous en faites des gorges chaudes auprès de vos amis, Michael, je vous fais muter dans l’extrême nord à bord d’une vedette de reconnaissance.

L’autre ne parut guère effrayé. Kovask reçut la première fiche puis la seconde. Elles commençaient ainsi : Kultabaza-Meteo communique …

— Fantastique !

Lançant le tout sur son bureau, Shelby s’empara de son téléphone et commença de brailler, demandant combien de temps ils devaient encore attendre la réponse des Îles Rat.

— Hé bien relancez-les ! C’est une priorité. Comme si des fusées soviétiques volaient vers nous en ce moment, compris ?

Il plaqua le combiné sur son support, redressa sa haute taille et sortit un mouchoir à carreaux.

— Vous le croirez ou non, mais c’est la deuxième fois que je transpire dans ce fichu pays. La première fut lorsqu’on a cru en octobre dernier qu’ils se décidaient à passer à l’attaque.

Même Michael parut comprendre la gravité des minutes présentes. Son visage devint plus sérieux.

— Il faut que les Îles Rat confirment. Facile évidemment. Trop facile de nous annoncer « Formation de brumes nocturnes » et puis de les fabriquer, ces brumes. Et cette bureaucratie qui avait complètement oublié d’où venaient les bulletins.

Il prit la main de l’enseigne et l’écrasa entre ses longs doigts nerveux.

— Toutes mes félicitations Michael, et toute la reconnaissance du pays. Sans vous … Mais bon sang c’est votre chef le lieutenant Renhold qui aurait dû s’en rendre compte ! Vous lui en avez parlé ?

— Le lieutenant est tellement absorbé …

— Ne le défendez pas. On aurait dû écrire un peu partout « Méfiance, nos renseignements météo sont d’origine soviétique ». On aurait dû faire l’embargo là-dessus.

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1

Strictement authentique.