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J’en défrise en écrivant cela ? Tant mieux. La prose qui décoiffe, l’Antonio : tifs et poils confondus. J’horrifie. C’est chouette. Ces bouches culs-de-poule, à ma lecture ! Tous les convenables, les convenanceux, les cons venus ! Pouah ! Du Sana ! Ils avaient pas compris que ça leur était prohibited par leur esprit mesquin-bourgeois. Trop tard ! Ils ont mis le pied dedans et crotté la semelle de leurs principes.

Heureusement, j’ai mes féaux, mes potes, mes frangins : tous ceux qui connaissent, comme mézigo, les affres d’être informés et impuissants. Que notre ultime recours c’est de montrer le cul de notre âme en place publique, de compisser leurs conventions. La vessie est l’arme des protestataires. Pistolet à eau chaude. Alors on se retrouve, bite en main, mes aminches et moi, pression maximale : le jet d’eau de Genève ! On vise la connerie. L’arrose copieusement. Ça séchera, tu dis ? Bien sûr, mais il est inutile de vouloir lui faire du mal puisqu’elle ne peut pas mourir !

La porte se referme dans mon dos.

Je regarde mes anges gardiens.

— Y aurait pas moyen d’avoir un petit café ? demandé-je en montrant l’appareil distributeur.

— Vous avez un nickel ? répond le plus vieux des deux matuches.

Je fouille ma poche et lui présente une pincée de piécettes. Il en sélectionne une et va puiser mon caoua. Je songe qu’ils ne m’ont même pas fait les vagues. Rarissime qu’on emballe un petit malin soupçonné d’assassinat et qu’on le dépose simplement dans la cage à poules en compagnie d’épaves, sans avoir vérifié le contenu de ses poches ! Du jamais vu ! Sont-ce les méthodes ricaines ?

Je sirote mon café : de la flotte teintée !

Commence une nouvelle attente.

* * *

On vient enfin me chercher dans le milieu de l’après-midi.

Mon estomac crie famine et j’ai des fourmis dans les paturons. Deux « civils » du genre débonnaires : un gros avec un nœud papillon et un chapeau mou, un jeune portant un jean et un blouson de cuir.

— Venez avec moi ! me proposent-ils.

Je m’apprête à leur présenter mes poignets, mais il n’est pas question de menottes. On déambule à travers les larges couloirs de la Maison Pébroque de Denver. Le blousonné siffle une chanson de la mère Madonna, les mains aux poches, ce qui soulève son blouson et permet d’admirer la crosse du feu que l’aimable garçon coltine sur sa hanche. Le gros au chapeau m’assure qu’il fait un « tout à fait beau temps », ce qui met le comble à mon allégresse.

On se biche un ascenseur en acier pur fruit et on finit par débarquer dans un vaste bureau abondamment vitré où pousse dans un pot le drapeau américain. Ils en font la culture ici, et doivent bien les arroser car ils sont forts et pimpants.

Trois personnages devisent autour d’une table basse en ébène à poil ras. Un homme aux cheveux précocement blanchis, avec une gueule de Sioux converti, le brave lieutenant Mortimer et — cramponne-toi à la fermeture de ta braguette —, le Vieux !

Parfaitement ! Achille en personne, rupinos dans son blazer bleu croisé, orné d’un flamboyant écusson britannique.

Si je m’attendais à trouver le dirluche ici ! Et moi qui le traitais de traître, d’ingrat, de bas fumier ! Il a sauté dans un zinc en apprenant l’assassinat du Gros. Oui, il a fait ça, le Superbe ! A tout plaqué pour bondir par-dessus l’Atlantique.

Des larmes me viennent.

— Patron ! balbutié-je. Comment vous exprimer…

L’émotion m’étouffe.

Il se lève et m’accolade spectaculairement devant les Ricains.

— Vous ne pensiez tout de même pas, Antoine, qu’après la terrible nouvelle de cette nuit, j’allais rester dans mon bureau à me faire…

Il a un hochement de tête nostalgique.

— Et cependant, Antoine, Dieu sait qu’elle est belle, la garce ! Un camaïeu ! Dans les tons cuivre rouge. Bronzée. Taches de rousseur. Chevelure blond cendré. Yeux noisette. La chatte en furie ! Vous verrez la bête ! N’en reviendrez pas. Je l’ai eue au charme de ma conversation.

Puis, réagissant :

— Dans les cinq minutes ma décision a été arrêtée : je venais. Longue conversation avec le bon Mortimer, et puis l’avion. Changement à New York. Me voici ! J’arrive à Denver pour apprendre votre arrestation. Je bondis ! Rameute ! Qu’est-ce à dire ? Vous, assassiner aux Etats-Unis ce con de Bérurier que vous avez sous la main à longueur d’existence ! Votre meilleur élément, presque votre ami ! Attention : pas de ça, Lisette ! Et me le tuer comment ? En lui tranchant la gorge ! C’est un crime de souteneur arabe d’avant-guerre, ça ! Vous, LE commissaire San-Antonio ! Avec un rasoir ! C’est comme si moi je mangeais le poisson avec un couvert à gâteau !

« Mortimer arrivé à la rescousse intervient, vous fait relâcher. N’est-ce pas, lieutenant, qu’il est libre ? Ah ! vous voyez, Antoine, Mortimer en convient : maldonne ! Autant pour eux ! J’espère, lieutenant, que vous allez déclencher le plan number ouane pour éclaircir cette sombre affaire qui se greffe sur l’autre. Vous réclamez la venue à Washington d’un de mes guerriers d’élite, je vous l’envoie ; vous commencez par lui confisquer son passeport et le surlendemain de son arrivée, on me le zigouille ! Sont-ce des façons, lieutenant ? J’entends qu’on trouve son meurtrier coûte que coûte. Je réclame vengeance, moi, mon cher Mortimer. Au nom de la Police française. Que dis-je : au nom de la France ! J’ai téléphoné au président avant de partir : il était outré.

« Bon, maintenant, je dois rejoindre la veuve Bérurier qui m’attend à l’hôtel, pour la conduire à la morgue voir la dépouille de son cher mari. »

— Comment ! m’étonné-je, Berthe est ici ?

— Dès qu’elle a su la nouvelle, elle a voulu venir. Requête légitime, non ? Je compte sur vous, Mortimer, pour faire activer les formalités de transfert du corps. Nous entendons qu’il soit inhumé en terre normande, dans le caveau familial des Bérurier.

Le directeur de la police de Denver prend la parole pour nous proposer de mettre l’un de ses seconds à notre disposition, ainsi qu’une voiture. Achille accepte avec grâce, comme si c’était lui qui accordait une faveur.

Chose amusante (si l’on peut dire), Chilou est descendu au Colorado Palace, l’hôtel où m’a conduit la mystérieuse Peggy.

Dans le hall immense, aux fortes colonnes de marbre, une surprise m’attend.

De taille !

Dans un coin du salon en forme d’archipel, qu’avisé-je ?

Tu donnes ta langue ?

Donne !

Pouah ! non ! Elle est trop chargée.

Se trouvent assis en carré : Berthe, la belle personne aux tons cuivrés mentionnée par le Dabe, Pinaud et Jérémie Blanc.

De saisissement, j’en laisse pendre ma queue !

— Mais, patron, vous ne m’aviez pas dit…

Achille aux pieds légers sourit.

— Eh oui, vos hommes ont voulu venir chercher leur camarade mort au champ d’honneur, mon pauvre Antoine. C’est cela une véritable équipe : soudée jusque dans la mort !

Bertaga s’est levée en ahanant de son fauteuil club. Jupe grise, corsage noir, pas de fards : the veuve ! Dramatique, pathétique ! Elle me saisit par le cou, me roule une pelle en chialant comme vache qui pisse.

— Antoine ! O mon Antoine ! Un destin si tragique ! Quelle infortune ! Cet être d’exception ! Un sexe pareillement surdimensionné ! Son indéfectible gentillesse ! Ses vents qui gonflaient les voiles de notre couche matrimoniale ! Disparus ! Envolés ! Fumée ! Ah ! la cruauté du sort ! Mais où Dieu a-t-il la tête, parfois, pour permettre de telles vilenies !