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Je lui tapote les bourrelets du dos en prononçant des mots de réconfort parmi lesquels : courage, force d’âme, il voudrait que vous soyez forte ! La lyre. Je suis confusément intrigué par le parler fignolé de la Baleine. La peine édulcorerait-elle son langage ? Le fin Pinuche qui comprend ma surprise, me souffle à l’oreille :

— Depuis quelque temps, Berthy est la maîtresse d’un poète de son quartier, un vieux type qui a écrit une plaquette de vers intitulée : Ecoute mon cœur et lis dans l’infini ; très belle œuvre en alexandrins, hugolienne d’inspiration.

Mais le Vieux me happe :

— Antoine, venez que je vous présente Mlle Amélia, la grande rencontre de mes derniers beaux jours.

La môme me zoome franco de port ! Direct du producteur au consommateur.

Je dois puer le renard après cette nuit passée dans la cage à poules de l’hôtel de police. Ma barbe a poussé et mes fringues sont froissées comme un brigadier des gardiens de la paix qu’on vient de traiter de con ! C’est un recruteur idéal pour ma pomme, Chilou. Le rabatteur de rêve. Il sélectionne du beau linge, l’emballe et… me le présente.

La dame dit bonjour et je fais le reste. Le Big est indupe, mais dans un sens, ça l’arrange. Lui, le carat venu, c’est moins une épée, que veux-tu. Sorti de la minette gloussée, il lui reste plus que des restes. A peine présentables ! Alors que son plus fringant collaborateur apporte une embellie à ses frangines, dans le fond, ça rejaillit sur lui. Il en a indirectement le mérite, comme s’il baisait en play-back.

J’envoie mon message codé à la cuivrée. Elle l’encaisse cinq sur cinq, m’en accuse réception. Ce sera pour « dès que possible », elle et moi, sitôt que la conjoncture le permettra, promis-juré.

Maintenant, ce sont mes deux aminches : César et Jérémie qui me gratulent. Mes derniers ! Béru disparu, c’est sur eux deux que je vais déverser ma tendresse. Pinaud pleure.

— L’être que nous avons perdu est irremplaçable ! murmure-t-il. Il semblait avoir beaucoup de défauts, mais quand tu les regardais de près, tu découvrais qu’il s’agissait en fait de qualités rares.

Bel éloge funèbre. J’opine, le corgnolon bloqué par l’émotion.

M. Blanc, à son tour, déclare :

— Je croyais que je ne l’aimais pas beaucoup, mais comme la vie est triste sans lui ! Pinaud m’a offert le voyage pour venir chercher sa dépouille. Je suis soulagé d’être là.

Ah ! les gentils !

Chilou qui taille bavette avec l’homme de la Poule déclare :

— Il est temps de nous rendre à l’institut médico-légal, mes amis !

Et on s’entasse dans l’immense limousine garée devant le palace.

Toutes les morgues se ressemblent. C’est vaste, carrelé, froid et plein d’une sale odeur douceâtre.

Nous commençons par bivouaquer dans un salon d’attente dont les sièges tubulaires ajoutent à l’aspect glacial des lieux.

Le poulaga cicérone part s’informer.

Berthe soupire, les yeux baissés :

— Ça ne va pas être simple de refaire ma vie après la disparition d’un tel époux ! Les partis ne me manqueront pas. Vous pensez : une femme jeune et jolie, dotée d’une pension confortable, voilà qui ne court pas les rues. Si je vous disais : lorsque M. le directeur m’a informée, hier, de la funeste nouvelle, je me trouvais en compagnie d’Aristide Boglant, mon poète. Imaginez-vous que cet être pourtant tourné vers les nuages m’a immédiatement déclaré qu’il m’épouserait sitôt révolus les délais légaux. Cette profession d’intention m’a presque choquée. « De grâce, mon ami, ai-je protesté, laissez au moins refroidir le corps de mon époux ! »

« Ah ! je vois se profiler le cortège des soupirants : Alfred, le coiffeur, comme premier de cordée. Aristide, qui a déjà pris date. Et M. Lanture, notre voisin du troisième, qui est veuf. Eugène Montgamin, l’orthopédiste du quartier. Le brigadier Bauchibre. Samuel Rosenbaum, mon fourreur de la rue des Rosiers. M. Finfin, le restaurateur du Rendez-vous des Auvergnats. Amédée Gueulasse, le garagiste d’Alexandre-Benoît, avec sa pine pleine de cambouis à force de la montrer à tout propos aux clientes. Le docteur Bézu, mon gynéco. Le fils Malandrin, que la mère fait teinturière, rue Rambuteau. Francis Lamotte, l’assureur-conseil. Amadeus Wolfgang Durand, le commis de la pharmacie du Cygne Vert.

« Et aussi Florent Goumi, Agénor Pradel, Sauveur Nazeaux, Riquet Malbuisson, Xavier Dulard, Paulo Faïsse, Jean Peuplut, Moktar Belkassem. Loïc Van de Pute, André Durosier, Abel Hélabaite, Claude Lapoche, Raphaël Trou, Nicolas Sornette, Hans Dupanié, Jean-Paul Belmond (d’Hoche), Adrien Locdu, Félicien Torchetois, et puis encore : Maumau, Riton, Ziquet, Fanfan, Lulu, Dédé, Milou, Tintin, Bibi, Paulet, Nono, Riri, Léo, Quiquette, Manu, Ludo, Cloclo, Babou, Zidor, Théo… »

En état d’hypnose, la Gravosse ! Braquée sur son avenir, elle passe une revue infernale de tous les gueux qui l’ont tirée et qui vont postuler à la succession d’Alexandre-Benoît. Le roi est mort, Berthe se cherche un prince consort pour l’aider à assumer la régence.

Belle preuve de vitalité, sinon d’amour.

Retour de notre mentor.

Un hermétique. Grand diable blondassou à l’ex-pression ennuyée. Le Big a eu raison de nous l’affecter, il semble parfaitement apte à mener à bien ce genre de besogne.

— Un petit instant encore, s’excuse-t-il, le médecin légiste a terminé l’autopsie et… heu… on veille à rendre Mister Bérurier présentable.

Effectivement, cinq minutes plus tard, un gonzier en blouse verte vient nous chercher.

Notre cortège s’achemine jusqu’à une sorte de petite chapelle (une croix immense fixée au mur donne cette impression de chapelle) au centre de laquelle se trouve un cercueil opulent posé sur deux tréteaux. La partie supérieure de la boîte à osselets est vitrée, livrant une vue imprenable sur le buste de l’occupant. Le cher Béru repose sur un oreiller de satin. On a entortillé de la gaze à son cou et mis un bandeau adhésif sur sa tête pour maintenir fermée sa boîte crânienne qui a été sciée.

Une morbide curiosité m’empare : il ressemble à quoi, le cerveau d’Alexandre-Benoît Bérurier ? Un bloc de pâté de foie ? Un casque de scaphandrier ? Ou bien à une noix desséchée ? Je voudrais m’enquérir, mais auprès de qui ? Le légiste vaque à d’autres macchabées et je n’ai pas qualité pour réclamer son rapport.

A travers la fenêtre, il est touchant, le Mastar. L’air d’un gros petit garçon hydrocéphale. Une grande gentillesse transparaît sur ce visage boursouflé, trognu, mafflu, rubicond, aux couleurs mal éteintes par la mort et l’exsanguination. Il était brave, Bérurier, intrépide, plein d’un rude bon sens. Il aimait baiser, boire et manger. Il avait la force de Jean Valjean, la gaieté de Gavroche, l’intransigeance de Javert. Il allait bien à la vie, parce que la vie lui allait comme un gant de boxe ! Il s’y sentait à l’aise comme dans une paire de charentaises. Il punissait les méchants, enfilait les gentilles, donnait aux pauvres, sans prendre aux riches. C’était le chevalier Gras-Double, mais je ne l’aurais pas échangé contre le chevalier Bayard.

Il avait la plus belle queue de la police française ; réussissait les pets les plus puissants de ce siècle, depuis le pétomane (que Dieu ait son anus !). C’était le Français qui pissait le plus loin, tellement il disposait d’une pression impétueuse. Il ne parvenait pas à licebroquer d’un trottoir sur l’autre des Champs-Elysées, mais de la rue de Rivoli, si !

« Seigneur ! Puisque Ta volonté a été de nous reprendre cet être d’exception, accorde-lui une place de choix dans Ton saint Paradis Latin. Fais-moi un élu de ce cher gros connard, ô Seigneur. Ne le mets pas à Ta Droite, parce qu’il fouette des pinceaux, mais juste un peu plus loin. Amen. »