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La faible assistance est recueillie, pleurante, à l’exception de la jolie personne cuivrée qui n’en a rien à secouer.

Le visage de Berthe ressemble à une pissotière sous la pluie. Elle voudrait parler, le chagrin la muettise. Elle essaie, mais coaque de la clape. Elle se couche sur le cercueil en sycophandre veiné et plaque d’énormes baisers gluants, enrichis de morve, sur la lucarne.

Il a l’air télévisé, le cadavre du Gros. Image fixe. Image de fin. Plus qu’à lancer le générique. « C’était Bérurier Story », conçu et réalisé par ses parents. Le rôle de l’épouse était interprété par Berthe Bérurier, ceux de ses fidèles compagnons par San-Antonio, César Pinaud, Jérémie Blanc. Dans celui du Vieux : Achille, dit Chilou, dit le Tondu, dit le Scalpé. Une production « La Vie ».

Adieu, Béru !

Dave Mortimer a beau être « très bien », je lui garde un chien de ma cheyenne. S’il n’avait pas réclamé la venue du Gros aux States, mon pote serait toujours en vie.

Cela dit, il a facilité tout le bigntz, le lieutenant. Zob pour les délais de ceci-cela, la paperasserie, le reste. On a placé le cercueil de bois dans un autre de zinc, et fouette cocher ! A présent, on assiste à la mise en soute. Il a organisé un semblant de cortège officiel : quelques personnages inconnus, compassés, bien qu’ils mâchassent du chewing-gum et, tiens-toi bien : un drapeau français sur le cercueil. Y a même deux policiers en uniforme d’apparat au garde-à-nous, de part et d’autre du sarcophage béruréen. Tout juste qu’il a pas convoqué le Philharmonique de Boston pour nous gratifier d’une solide Marseillaise !

Mais bon, on souscrit à ces démonstrations officielles. Jeu du serrement de paumes. On nous drive à la passerelle des first et nous prenons place en priorité dans l’avion. Ultimes condoléances. Il promet de tenir Chilou au courant du développement de l’enquête, Mortimer. Bon baisers, adios, salutations au Président Bush ! De même chez vous : il n’a pas bonne mine, ces jours.

Berthe est installée au côté de Jérémie Blanc ; moi à côté de Pinuche, et le Vieux auprès de sa donzelle. La veuve dit combien c’était émouvant, ce départ du cercueil entouré de hautes personnalités américaines, avec le drapeau français, la « troupe ». On sent que la chose va prendre de l’ampleur dans ses futurs récits. Cela va devenir une cérémonie sous l’égide du Président des Etats-Unis en personne, avec le cercueil posé sur un affût de canon et plusieurs détachements de l’armée U.S. rendant les hommages. Nous sommes tous les transis de l’imaginaire, les délirants du rêve éveillé.

Elle dit :

— Mon Béru aurait été fier d’assister à ça ! Vous croyez à une survie, vous, Jérémie ? Il est vrai que vous êtes nègre et que chez vous on meurt pour tout de bon, n’est-ce pas ?

— Comme les animaux, en effet, dit M. Blanc, pince-sans-rire.

— Naturellement, approuve Berthe, et pourtant vous êtes des hommes, dans votre genre, n’est-ce pas ?

— Nous avons l’outrecuidance de le penser, admet Jérémie.

Elle glousse :

— Et d’en ce qui vous concerne, vous êtes même franchement bel homme.

— Merci du compliment.

— Ce qui est formidable, ce sont vos muscles si durs ! poursuit l’ogresse.

Sa main doit se promener sur le pantalon de Jérémie (je perçois un glissement) car elle commente :

— Ecoutez, des cuisses pareilles, on jurerait du bronze. Si le reste est à lavement, mon cher, vous devez donner beaucoup de bonheur aux dames.

— Mon épouse ne se plaint pas, répond chastement mon black pote.

Il se penche dans l’allée centrale et me chuchote :

— Elle est chiément pute, cette vache ! J’ai déjà vu des pétasses chiées, mais aussi chiées qu’elle, jamais ! Tu crois que je vais pouvoir tenir le coup jusqu’à Paris en me laissant caresser les roustons ?

— Essaie de la supporter au moins jusqu’à New York, exhorté-je. Là-bas, on quitte le groupe organisé, toi et moi ; elle branlera Pinuche pendant le reste du voyage : les cas désespérés sont les cas les plus beaux.

— Et pourquoi quittons-nous les amis ?

— Pour retourner à Denver, grand. Mon enquête n’a pas encore commencé.

— Nous sommes partis en même temps que les autres pour donner le change ?

— Affirmatif ! comme déclarent les cons et les soldats. Ces Ricains de la C.I.A. ne me disent rien qui vaille. En les laissant croire que je décrochais, j’acquiers une liberté de mouvement indispensable et je retourne dans le Colorado, bien décidé à découvrir le fin mot de ce circus. Tu es d’accord pour m’accompagner ?

— Tu parles ; ça me surprenait aussi que tu laisses tomber le morceau aussi facilement, ce n’est pas ton style.

Il reprend sa position habituelle.

On décolle. Berthe murmure :

— Jérémie, sans vouloir empiéter, c’est pas votre pistolet ce que je sens sous mes doigts ?

— Non, convient le Noirpiot.

— Ah ! bon ! fait-elle, rassurée. Vous ne pensez pas qu’on devrait demander des couvertures à l’hôtesse pour se mettre sur les jambes ? Ils ont dû mal fermer un n’hublot : je sens des courants d’air.

Jérémie assure que tout est O.K., mais elle insiste :

— Je vous affirme qu’on s’enrhume par les jambes, mon chou. Laissez-vous dorloter ; c’est pas quand on éternue qu’il faut aller s’acheter un mouchoir.

Elle appelle l’hôtesse et obtient gain de cause, grâce d’ailleurs au Noirpiot qui parle anglais à ne plus en pouvoir.

Tandis que la Bérurière se livre à ses louches entreprises dont j’entrevois distinctement l’issue, j’éveille tendrement Pinaud-lapinuche dont les ronflements concurrencent le bruit des réacteurs.

— César, comment se fait-il que tu te sois trouvé à Paris à l’annonce du décès de Béru ? Je te croyais en train d’enquêter en Normandie, comme je te l’avais demandé.

— Je m’apprêtais à m’y rendre, mais j’ai eu l’idée de questionner Berthe sur la famille du Gros afin de mieux diriger mes investigations. Il m’intéressait d’avoir la liste des parents encore vivants de notre pauvre ami : oncles, cousins, etc. Et c’est pendant que je me trouvais chez elle que la terrible nouvelle est arrivée !

Le Fatal déploie son mouchoir grand comme une toile de parachute ascensionnel et y dépose des larmes, de la chassie, et un rien de morve liquide.

— De le savoir raide dans la soute de cet avion me tue, Antoine. Je crains de ne pouvoir lui survivre longtemps car il insufflait aux autres son amour de la vie. Cher Alexandre-Benoît ! Il faisait des projets d’avenir. Il rêvait, lorsqu’il aurait été à la retraite, de se lancer dans le commerce. Il voulait ouvrir une lingerie-charcuterie, tant il raffolait des froufrous et du cochon ! Te souviens-tu de lui, pratiquant quelque luronne ? Ou bien à table ? Ou les deux à la fois, Antoine ?

« Tiens, je me le rappelle un soir, dans une auberge de Sologne où nous avions débarqué tardivement. La patronne fermait. Elle a bien voulu nous accueillir et nous préparer un repas. Accorte personne, bien en chair, rieuse. Pendant que nous mettions à mal son plateau de charcuterie, elle est venue bavarder avec nous. Bien sûr, le Gros lui a envoyé la main sous les jupes. Comme elle n’était pas déconcertée, la chère femme, il l’a prise sur la table, au milieu de la boustifaille. Il la sabrait à la romantique, avec son énorme membre qui tant ravissait ces dames. Elle criait de plaisir et lui, content de ce bonheur qu’il donnait, continuait de manger.