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Dès le premier regard, je sais que ce mec, je ne l’embrasserai jamais sur la bouche. Et pourtant j’ai l’effusion fastoche, l’accolade à fleur de lèvres. Je me vois très bien faire la bise à monseigneur Lustiger, à la princesse Anne, à Platini, à M. Arafat, à M. Gorbatchev (avec sa carte du Brésil sur le cigare), voire même à Madonna en cas de force majeure. Mais jamais je pourrais sauter au cou du général Jaruzelski non plus qu’à celui de Mortimer.

C’est physique, quoi ! On peut très bien sodomiser Jean-Marie Le Pen sans pour autant voter pour lui, ou bouffer la chatte d’Elizabeth Two sans être anglais, mais y a des gens absolument insurmontables. Ça te gêne de les savoir mammifères à part entière. Tu les préférerais reptiles ou batraciens pour bien justifier ta répulsion.

L’arrivant me jauge d’un regard sagace. Cézigue, il doit mettre des notes aux types qu’il rencontre, obéissant à des critères secrets.

J’ai l’impression de m’en tirer honorablement avec un 5 sur 10.

— Dave Mortimer ! se présente-t-il.

— Commissaire San-Antonio, réponds-je en lui tendant spontanément la main.

Il y jette un coup d’œil maussade comme si je lui proposais de la lui vendre et qu’il n’en ait pas l’emploi. Puis il se rappelle que je suis européen et me confie sa patte d’ours, épaisse, aux doigts courts dont l’auriculaire s’orne d’une chevalière à camée noir qu’on devine truquée et bourrée de cyanure.

Ensuite, il fait un pas et avise Béru.

Changement spectaculaire du personnage. Il a un sursaut, ses lèvres s’écartent et on distingue, plein cadre, le morceau de chewing-gum verdâtre plaqué contre sa gencive.

— Oh ! Seigneur ! murmure-t-il.

Juste ces deux mots : « Oh ! Seigneur ! » mais les points d’exclamation qui les escortent sont longs comme des alexandrins (ceux de Racine, qui sont beaucoup plus longs que les autres).

Il s’approche du Gros, hypnotisé.

— Mister Biroutier ? demande-t-il presque timidement.

— Yes, Sœur, en tout étretat d’cause, répond le Charmeur. Pourquoice ?

Mais ce rude homme aguerri n’a plus la tête en face des trous ni les yeux sur les épaules. Il se trouverait nez à NEZ[1] avec le Général de Gaulle qu’il pousserait une frime plus comestible.

— C’est sidérant ! déclare-t-il.

Il se tourne vers moi et répète en américain : « Sidérant ». Comme on n’est pas venu ici pour créer le fameux ballet du Casse-Nénette, je presse Mortimer comme un quartier de citron :

— Dites-moi, lieutenant, vous avez voulu que Bérurier vienne vous voir d’urgence et il est arrivé, bien que vous n’ayez fourni aucune précision quant à la motivation d’un tel voyage.

Je déglutis dans les tons roses et ajoute :

— Peut-être serait-il temps à présent de nous fournir quelques explications ?

Mortimer se requinque.

— Encore quelques minutes de patience, mes amis. Suivez-moi.

On.

Il traîne son gros cul carré dans une Cadillac compacte bicolore (gris clair-gris foncé) pilotée par un superbe Noir pour feuilleton télévisé.

— On vous a appelé sur la quatorze ! annonce le chauffeur.

Dave Mortimer décroche le bigophone fixé au tableau de bord et se met à jacter flasque. Ce gus doit se montrer infect avec ses « inférieurs ». De son chien à son principal adjoint, en passant par sa femme, ses enfants et la petite coquine qui lui vernit le zob à l’essence de glandes, il fait chier tout le Landerneau, Mortimer ! Il raccroche en bougonnant jaune.

La Cad’ roule à travers les larges avenues. On aperçoit la Maison-Blanche, au loin. Dans les actualités et sur les photos de presse elle impressionne, et voilà que je la trouve presque simplette sous le soleil fédéral de Columbia.

Une grande maison coloniale au fond d’un grand jardin. C’est pas un titan qui l’habite, mais un bonhomme comme toi et moi (un peu moins intelligent que moi, toutefois). La différence c’est qu’il a le droit de vie ou de guerre. A part ça, il fait le con à Camp David avec une gâpette longue visière, devant des photographes complaisants (encore une petite, Seigneur Président, mon flash n’est pas parti !).

— Vous êtes nombreux dans votre famille, Mister Biroutier ? demande Dave Mortimer sans se retourner.

— Non, mon ’ieut’nant, j’sus fils complèt’ment unique ; comme toujours chez les Bérurier. On n’s’r’produit qu’un’ fois et on a un garçon. J’ai un garçon, Apollon-Jules, qui marche su’ ses cinq ans et y en aura pas d’aut’, never. Plus grands limeurs qu’nous aut’, vous pouvrez pas trouver, l’commissaire Sanan, ici présent, peut vous l’témoigner, n’empêche qu’on lâche un’s’le fois dans not’ existence la giclette porteuse. L’rest’ c’est juste des brouillons ou d’la régalade…

Il demandait pas tant de discours, le gars D.M. Se tasse sur son siège, la tête dans ses épaules, le regard en incubation.

Au bout de peu, on se pointe devant un gigantesque building où y a écrit en doré « Potomac Hospital ».

Mortimer descend.

— Venez ! nous jette-t-il.

Une tire de police sommée d’un gyrophare (provisoirement éteint) attend sur le parking. Un officier galonné en descend pour nous rejoindre. Bref salut. Mortimer ne se donne pas la peine de faire les présentations. Cézigue, il a rayé le superflu de ses activés.

Nous pénétrons dans l’immense hosto, précédés de l’officier de police. Ascenseur. Y a des Noirs qui fourbissent le bâtiment avec cet acharnement que mettent les matelots à repeindre inlassablement la coque du bateau pendant qu’il navigue. Une foule impressionnante gravite dans l’hôpital. Tu croirais une vaste station de métro, riche en correspondances multiples. Des élévators sans fin, des gens de la maison, d’autres du dehors, des appareils distributeurs de n’importe quoi ; des coloreds, des malvalides, des enturbannés, des chauves, des pin-up qui te font grincer des couilles. Une entre autres, oh ! charognasse ! Comme dit j’sais plus qui, tu ramperais nu sur un kilomètre de verre cassé, rien que pour lécher le paf du dernier mec qui l’a tirée ! Je peux pas m’empêcher de me retourner ! Cette silhouette ! Et ce regard vert ! Je crois le voir encore bien qu’elle soit de dos !

On aboutit devant une porte marquée « Formellement interdit à toute personne non accréditée ». L’officier presse un timbre. Un judas est actionné, on nous frime, nous admet, car la porte s’ouvre.

Un poulardin en chemise bleue et casquette plate nous accueille. Lorsque nous avons pénétré, il abaisse un levier et l’huis se rebloque.

— Number four ! fait-il.

On suit un couloir étroit et désert jusqu’à une porte portant le chiffre « 4 » au-dessus de sa sonnette individuelle.

Nouvelle cérémonie du judas. Cette fois, on déboule dans une chambre de clinique puissamment équipée. Un nouveau flic s’y trouve, revêtu d’une longue blouse verte aseptisée, un masque de tulle devant la clape. Il nous désigne une sorte de dressing et nous nous y rendons afin de nous munir chacun d’une blouse et d’un masque. Cérémonie muette, impressionnante.

La chambre, assez vaste, est coupée en deux par une cloison de verre. Dans la partie du fond se trouve un lit flanqué de tout un attirail de survie ultra-sophistiqué. Un homme gît sur le lit.

Le flic préposé à sa garde fait coulisser une paroi de glace.

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1

Le second « nez » de nez à nez en majuscule parce qu’il s’agit de celui de De Gaulle, dont le « pic-fraise » ressemblait à la flèche de Notre-Dame.

San-A.