— Vous désirez ?
— C’est pour une visite à un de vos pensionnaires.
— Vous êtes de sa famille ?
— Je suis son beau-frère.
— Vous figurez sur la liste des personnes ayant un droit de visite ?
— Pas encore.
— En ce cas, je ne pense pas que vous puissiez le voir.
— Il va bien falloir, pourtant, soupiré-je, j’ai traversé l’Atlantique pour ça.
— La quoi ?
— L’Atlantique, vous savez, c’est ce plan d’eau qui sépare l’Amérique de l’Europe et de l’Afrique ; on fait du canotage dessus.
— Oui, je vois, fait l’érudite, mais je ne peux pas vous laisser visiter un malade si vous n’êtes pas accrédité.
Je lui déballe mon grand jeu pour personne mûre-variqueuse-à-cellulite-et-début-de-fibrome. Ça consiste à poser sur elle un regard noyé, à entrouvrir légèrement la bouche et à frétiller doucement de la menteuse comme si j’aspirais à poursuivre cette menue opération sur son escarguinche à crinière.
Mais elle doit être frigide car je me ramasse un bide.
— Je ne peux rien faire, intransige-t-elle. Voyez le docteur Robinson.
— Où puis-je le rencontrer ?
— Prenez cette porte vitrée, tournez à gauche, c’est la dernière pièce au fond du couloir.
Putain, cette plongée ! Tu verrais les gaziers en errance dans la bâtisse, Narcisse ! C’est duraille à contempler, la folie. Ils portent tous une espèce de training bleu avec des chaussons de cuir, et tous se ressemblent plus ou moins, pas tellement à cause de leur mise identique, mais parce que la démence uniformise leurs traits. Les regards sont « absents », les joues affaissées, les épaules voûtées. Je gage que ceux qui circulent sont les moins « touchés » ; dans quel état se trouvent les autres !
Çà et là, un infirmier à bouille chourineuse déambule pour s’assurer que tout est O.K. chez les frappadingues. L’enfer ! Dante ! Jérôme Bosch ! Y en a un, un vieux, qui traîne une chaise par son dossier en psalmodiant : « Laissons passer ! Laissons passer ! » Un autre qui se secoue les burnes à travers ses braies. Un troisième qui reste sur place, mais se balance d’un pied sur l’autre sans changer de rythme. Un quatrième désigne le plafond, ou le ciel, comme pour inviter les autres à tout craindre.
Ceux qui ne sont pas siphonnés en arrivant ici doivent vite le devenir.
« Docteur W.G. Robinson »
Je frappe.
— Entrez, fait une voix de femme.
J’entre donc et m’en félicite. La petite brunette qui se fait les ongles à une table annexe te ragaillardit la rétine après cette traversée de couloir. Jeune et jolie, elle possède un regard qui enraye la fermeture Eclair des braguettes les plus paisibles.
Elle me sourit comme si j’étais le mec de sa vie en retard au rendez-vous.
— Bonjour, vous ! lui coulé-je. Je voudrais parler au docteur Robinson.
— Pas avant trois jours ! répond-elle sans cesser de me sourire.
Elle me désigne par une grande vitre le parking où j’ai abandonné notre bolide.
— Il s’en va pour un week-end prolongé, déclare friponnette. La grosse voiture noire près de la petite verte qui est à moi.
En effet, je vois une grosse Ford qui manœuvre et s’éloigne.
— Tant pis, dis-je, nous ferons sans lui. Vous êtes sa jolie secrétaire, je suppose ?
— Il n’en a pas d’autres.
— Avec une comme vous, ce serait superflu ! Et je pose un coin de mon cul sur un coin de son burlingue.
— Il n’y a pas longtemps que vous travaillez à Cracket Springs ?
— Trois mois.
— N’y restez pas trop, vous risqueriez de vous étioler parmi ces dingues et ce serait un crime, une gosse comme vous !
Tu connais mon audace ? Y a des fois, je me contiens plus, faut que je me fasse contenir par quelqu’un d’autre !
Je cueille délicatement le frais menton de Margaret (son blase est écrit sur une plaque dont elle se sert comme presse-papelards). Je me penche, effleure ses lèvres des miennes, renouvelle l’opération jusqu’à ce que sa bouche s’entrouvre et que j’aie l’opportunité de la galocher à la savoureuse. En résulte un léger goût de café, de menthe et de rouge à lèvres.
M. Blanc, un rien époustouflé, ressort pudiquement du cabinet.
J’espère qu’il va faire bonne garde car ma dextre est déjà engagée dans le décolleté de Maggy. Ah ! c’est pas du potage ! Voilà des roberts qui tiennent la route ! J’arrête pas de lui bouffer la gueule, cette chérie. Une fille aussi spontanée, passive et nue sous une blouse blanche, tu juges de l’aubaine, Germaine ?
« Y a rien à se dire, y a qu’à s’aimer », que chantait la brave Colette Renard. C’est si simple ! Je pige pas les bégueules qui font leur mandoline au lieu de laisser filer la corde à nœuds. Des rétives, des coincées. Des qu’ont envie mais qui croivent qu’il faut ergoter, quitte à laisser chuter le soufflé ! Des qui causent là où il faut simplement laisser agir ! Les rateuses de coups ! Les importunes de la moulasse ! Les vergondées à la branle-toi-Ninette ! Si simple pourtant, je te dis. Un enchantement de l’instant. Des ondes qui se font du pied ! Un coma musical dans ta garce de vie ! Les délices sensorielles.
Avant tout, tu la boucles, d’ailleurs on ne doit pas jacter la bouche pleine. Le gusman qui connaît sa partition t’entreprend superbe. Deux mains, une bouche, un zob ! Quatre raisons d’aimer la nique et de la pratiquer au débotté. Le fougueux t’empare, t’amène au point suprême de lubrification avant de lâcher son os sur le toboggan à faux plis. Il t’empare, te comble de fond en comble ! Il court, il court, l’affuré ! Il est passé par ici : vzimm ! Il repassera par là : vzamm ! Tu limonades du glandulaire, ma fille ! Tu morfles de partout en même temps : doigt de cour, bitautrain, langue fourrée, va-et-vient dans la fourrure ! C’est ça, vivre, ma poule ! C’est ça, s’accomplir !
Elle l’a bien pigé, Margaret ! M’a reconnu au premier raz bord ! Elle a pas voulu interposer. S’est embarquée dare-dare sur la nacelle, la gloutonne, avec le Mathurin de service bourré de spinaches ! Tututtt ! Zizi panpan la belle figue ! Oh ! dis donc, si elle cachait bien son jeu, Guiguite ! L’estuaire de l’Amazone ! Un trognon de deux sous ! La taille goulot de bouteille et la chaglatoune cul de la mère bouteille ! Va-t’en piger les mystères de la nature, toi ! Surtout la féminité. On est lâchés dans le cosmos avec nos bibites et nos frifris. A se donner le change et du bon temps ! Merci, mon Dieu, y a que Vous pour avoir pensé à tout ça.
Je la tagadate à corps perdu, sur sa table de travail devenue, par la fougueusité de nos sens, lit de repos. La chouette aubaine ! Le carrefour des coups de rapière ! On démantèle. On cause pas. Juste elle criotte pour musiquer l’instant, lui donner du cristallin. On va bon train dans la brise du désir, comme l’a écrit cette salope de mère Sévigné. Toutes voiles gonflées ; en totale dilatation. On s’harmonise ; dans l’accouplement, le synchronisme est un facteur primordial. On rentre en gare en même temps. Butoirs contre butoirs. Jet de vapeur ultime. Nuage de fumée. Contentement indicible de soi. Reconnaissance pour l’autre. Charrrogne que c’était good ! Merci, ma jolie ! Pas de quoi, mon tout beau, j’en ai autant à ton service !