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Elle soupire :

— Vous seriez venu trois minutes plus tôt, le docteur Robinson se trouvait encore là et nous serions passés à côté d’un sacré moment.

Elle demande, avec un sourire :

— Vous êtes coutumier du fait ? Vous sautez souvent sur les femmes ?

— Seulement lorsqu’elles ont envie de moi.

— Alors, vous ne devez faire que ça ! rétorque-t-elle.

Gentil, non ?

Son regard confirme ses paroles. Les yeux sont la fenêtre de l’âme, comme la braguette est celle de la bistoune, a écrit Stendhal.

— J’étais venu demander l’autorisation de visiter un de vos pensionnaires, reviens-je à mes moutons.

— Le docteur n’est pas là pour vous remettre un bon de visite, déplore-t-elle.

— Le docteur non, mais vous si, Margaret. Ecrivez mon nom sur une fiche et flanquez-y un coup de tampon, ça ira.

Là, changement à vue. Elle s’éloigne de moi à tire-d’aile. Avec cette survoltée du réchaud, il ne faut pas courir plusieurs lèvres à la fois.

— Pensez-vous ! C’est impossible, déclare-t-elle tout de go. Si une chose pareille se savait, je serais sacquée immédiatement. Le docteur Robinson ne plaisante pas avec la discipline.

— Voyons, il n’en saura rien, ma chérie.

— Vous croyez ça ! On ne fait pas un geste dans cette maison sans qu’il en soit informé. Il y a autant d’espions que d’employés, à Cracket Springs.

J’insiste, me fais suppliant. Elle reste intraitable !

Salope !

Je ne peux même pas lui reprendre le pied que je viens de lui offrir ! A quoi me servirait-il ? Le foutre ne se remet pas en bouteille.

Je finis par la quitter en penaudant comme un malheureux.

J’ai la nouvelle déconvenue de ne pas trouver Jérémie dans le couloir.

Où est-il passé, ce branque ? Il ne veillait donc pas sur mon calme ?

Je gagne le hall d’entrée : nobody ! La blondasse de la réception s’est remise à piloter son grand livre. Je sors sur le parking. Toujours pas de Jérémie Blanc. Ça veut dire quoi ?

C’est alors que son coup de sifflet trémulant me zigouigouite le tympan. Ça vient d’en haut. Je lève la tête. Il est derrière les barreaux serrés d’une fenêtre située au premier étage.

— Qu’est-ce que tu fais ? m’enquis-je.

— Je suis avec Standley Woaf, répond le all black.

— Mais comment diantre ?…

— Je t’expliquerai. Tu veux le voir ? Attends, je vais essayer de te l’amener jusqu’à la fenêtre ; pas facile, c’est un légume !

Le Noirpiot disparaît. Un peu de temps s’écoule. Et puis je le vois revenir, soutenant une épave humaine. Le jumeau de feu Jess Woaf n’est plus qu’un tas de viandasse morte. Il a la boule rasée triple zéro, biscotte les électrodes qu’on doit lui cloquer sur le cigare. Regard vitreux, autant que j’en puisse juger. On distingue une plaie très laide sous son oreille gauche. Elle lui va jusqu’à la glotte. Ce doit être la cicatrice de la bastos que son frelot lui a virgulée au cours de leur dernier numéro de music-hall.

— O.K. ! remercié-je.

Les deux visages abandonnent l’ouverture.

Je marche jusqu’à la chignole et m’installe au volant, en espérant un prompt retour de mon pote. Ce qui ne tarde pas.

La démarche féline, Jéjé. Il retrouve une allure ancestrale, Messire le Mâchuré. Un peu primate, si tu vois ? Bourré de muscles bien fourbis.

Il s’assied en souplesse à mon côté.

— Démarre, murmure-t-il, les gars commençaient à s’énerver.

— Quels gars ?

— Les employés de l’asile. Tous de vilains costauds pas aimables. Ils n’ont pas apprécié que je fasse lever notre homme. M’ont fait un vrai branle !

— De quelle façon t’y es-tu pris pour pénétrer dans sa chambre ?

Il sourit.

— Ben, grâce à mon bon de visite !

— Que tu as pêché où ?

— Dans un tiroir du docteur pendant que tu entreprenais sa secrétaire. Je l’ai signé moi-même avec un beau coup de tampon par-dessus.

— Formidable !

Je franchis les limites de la propriété ; il fait beau, les montagnes rupinent.

— Tu l’as trouvé comment, le dernier des Woaf ?

— Inexistant. Il est complètement out. C’est fou ce que ces gars ressemblaient à Béru ! Standley un peu moins que son jumeau, d’après les photos que tu m’as montrées ; mais il faut dire qu’il a été très abîmé.

— Tu as essayé de lui parler ?

Jérémie ricane :

— T’es chié, toi ! Lui parler ! Essaie de parler à ton rétroviseur, tu verras ce qu’il te répondra !

— Il ne me répondra pas, mais il réfléchira, dis-je.

— Eh bien, Standley ne peut même plus réfléchir. Tu piges, boss ? C’est de la viande et rien d’autre ! Et pas de la fraîche.

— En somme, tu espères quoi ? demande Jérémie au moment où je range notre épave quincaillante devant un modeste établissement de Lyons.

— Rien, réponds-je, et par conséquent tout !

— Puisque leur mère est morte, quels renseignements pourrais-tu obtenir ?

— Avant de mourir, la vieille Martha a fatalement fréquenté des vivants qui le sont peut-être encore et à qui elle a pu se confier…

Nous prenons nos deux bagages légers et pénétrons dans une vague auberge très couleur locale. Etablissement à un étage, plus ou moins victorien malgré la peinture d’un bleu intense qui le recouvre de la tête au pied (à l’exception de l’entourage des portes et des fenêtres qui est jaune canari). Une partie fait épicerie, le reste est un café-restaurant, avec un long comptoir de bois, une immense glace lépreuse dans laquelle se reflètent des bouteilles qui ne doivent pas servir beaucoup, les clients du coin s’abreuvant de bière et de bourbon. Entre l’épicerie et le bistrot, il y a un escalier de fer forgé qui vaudrait une fortune chez un antiquaire londonien.

La taule est vide. Quelques tables, un piano droit, un jeu de fléchettes, des posters gondolés représentant les Rocheuses. Sur l’une des tables, il y a une boutanche de bibine et un chapeau Stetson. On perçoit, en fond sonore, le déclenchement niagaresque d’une chasse d’eau. Bientôt, un gros vieux type à poils durs se pointe en rajustant son bénouse. T’as plein de mecs qui jouent de la musique en déambulant, lui il est capable de se reculotter en marchant. Il va reprendre sa place devant son chapeau, empoigne sa bière et s’en téléphone quelques centilitres sur les amygdales. Il est chenu mais vivace, le doyen. Rides au burin dans de la chair d’arpenteur de cols.

— Excusez, l’abordé-je, il y a quelqu’un qui reçoit les clients, dans cet hôtel ?

— Ben, d’habitude, y a uncle Jerry, glaviote le vioque, mais je l’ai entendu qui baisait sa servante dans la resserre. Lui, c’est un sacré lapin : faut qu’il tire ses deux coups par jour, sinon il tombe malade. Ses putains de servantes n’ont plus le temps de s’asseoir, les pauvrettes !

Il entifle une nouvelle lampée et rote creux. Ça me rappelle Béru. Je larmalœille. Le Gros ! Comme la planète est devenue immense, sans lui !

— Les coïts d’uncle Jerry durent longtemps ? m’informé-je.

— Très, son père était pasteur.

— Je ne vois pas le rapport ?

— Ça veut dire que le père Jefferson a élevé son garçon dans la notion du péché. Alors Jerry prie en forniquant, ce qui retarde le travail de ses putains de glandes, comprenez-vous ? Parfois, la poussée de sa foi est si forte qu’il ne parvient pas à jouir ; il est obligé d’aller se mettre à jour chez Miss Mabel qui est une vraie démone, question de la chose, et sait vider les bourses les plus coincées !