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Mon plan (à genêt) est le suivant.

Je me pointe en trombe (d’Eustache). Peggy Ross doit attendre dehors la venue d’Horace et…

Fondu enchaîné.

La piste de l’aérodrome est éclairée, mais une aube livide commence à argenter la nuit. J’avise, de loin, un Sisnétoi 18 biréacteur à ovulation précoce en train de chauffer.

A droite s’élève un baraquement de planches sur le toit duquel on peut lire (quand on sait lire, naturellement) « Lyons Aeroclub ». Une biroute pendouille au faîte d’un mât. Derrière le baraquement, un parking où sont stationnés quelques véhicules (biliaires).

Devant le club-house, j’aperçois trois silhouettes : une femme, deux hommes.

Au lieu d’obliquer vers le parking, je fonce en direction de la piste en faisant des appels de phares. La gonzesse qui est bel et bien Peggy Ross lève la main en reconnaissant la voiture. Je bombe comme un perdu sur le trio, mais alors droit sur lui. Instinctivement, les trois personnages ont un mouvement de reculette. Je freine à mort une fois parvenu à leur hauteur, stoppe sans couper le moteur.

Nous bondissons simultanément de la guinde, Jérémie et bibi. Lui se tenait à l’arrière. Et le travail qu’il accomplit est digne des doges, comme on dit à Venise. Il a le revolver de feu Berkley en main mais il le tient par le canon. Cette agilité ! Cette promptitude ! Grâce et souplesse. Les compagnons de la gosse n’ont pas le temps de piger. En deux gestes précis, il les rétame l’un et l’autre. Ça fait un double bruit comme, en moins bruyant, un bang supersonique : vlan… lan ! A terre ! Deux descentes de lit !

Pour ma part, je me suis contenté de la besogne la plus facile et la plus lâche, ajouteré-je manière de faire mon m’encule-pas (disait ce pauvre Béru). Ma manchette asphyxiante à la glotte si gracieuse de Miss Peggy. Elle suffolk, suffoque, couine du corgnolon, tombe à genoux. Je la ramasse tel un pacsif de linge sale et la jette à l’arrière de la bagnole. M. Blanc la rejoint.

Décarrade à l’arraché. Bien joué ! Temps de l’opération : quatre secondes six dixièmes ! Y a mieux, mais dans les dessins animés seulement.

Notre action se décompose de la façon ci-dessous et suivante :

Neutralisation de notre prisonnière par l’irremplaçable M. Blanc.

Récupération de notre propre tire à quinze cents mètres de là.

Le Noirpiot la drive.

On retourne à l’esplanade aux travaux sur la route de la Cordelière des Indes (toujours le regretté Béru dixit). Pour quelle raison prends-je un tel risque ? Parce que, mon vieux protozoaire décadent, quand on a accidentellement commis une bavure de ce tonneau, il faut en tirer profit, afin de « l’amortir ». Ce qui va maintenant se dérouler (c’est le verbe idéal), je te parie une orchite double contre une cornemuse écossaise que cela doit nous assurer en un temps record la totale confession de Peggy Ross.

Je la fais descendre de bagnole. Elle a les poignets liés dans son dos et ses chevilles sont entravées de telle sorte qu’elle ne peut pas se permettre des enjambées supérieures à douze centimètres pièce.

— J’espère que vous avez le cœur bien accroché, douce Peggy, ma superbe tubéreuse de l’ombre.

J’adresse un signe d’intelligence (rien ne m’est plus aisé) à Jérémie et le voilà qui gravit le marchepied donnant accès à la cabine du cylindre.

Moteur !

Je crois tourner un film.

Action !

Cette fois, la pesante et trépidante machine se met à reculer lentement. Je braque le faisceau d’une torche électrique sur le sol, au ras de la roue de fonte et d’acier.

Hug ! Je te mets au défi de pas gerber, même que tu sois chirurgien ou boucher. Tu balances ta fusée éclairante, devant un aussi ignominieux spectacle. La tronche à Horace est large comme un couvercle de lessiveuse. On le devine à peine dans cette flaque : aplatis de la sorte, les poils de sa barbe restent en partie collés après le cylindre. Ah ! l’abomination !

Peggy défaille.

— On peut pas croire que c’est Berkley, hein ? fanfaronné-je sinistrement.

Le rouleau démasque progressivement ce qui reste du corps d’Horace. Surréaliste dans l’horreur !

— Peggy Ross, fais-je en assurant ma voix (à la Lloyd), si vous ne répondez pas à mes questions avec la plus grande franchise, voilà ce que vous serez d’ici dix minutes. Horace m’a déjà dit beaucoup, suffisamment pour que je sois en mesure de savoir si vous mentez ou parlez vrai. Seulement, lui n’a pas tout dit, soit parce qu’il s’obstinait à nous faire des cachotteries, soit parce qu’il ne savait pas tout. Toujours est-il qu’il se retrouve dans ce triste état. J’ai voulu vous le montrer pour que vous compreniez notre détermination. Les menaces sont prises au sérieux quand on peut fournir la preuve de leur réalité. Sommes-nous bien sur la même longueur d’onde, avant de démarrer ?

Ah ! les femmes !

Tu sais quoi ?

Alors qu’elle est tétanisée (j’allais pas le rater, çui-là) par la terreur, vitrifiée à la vue du plus horrible spectacle jamais offert à l’homme depuis que sa mort a été inventée, oui, malgré elle, elle trouve le moyen de murmurer :

— Vous me tuerez, même si je parle !

— Quelle idée !

— Parce que vous ne pourrez plus me laisser en vie après ce que j’ai vu ! analyse-t-elle.

C’est charognard comme situation. Ce cadavre aplati me crédite d’un terrible préjugé. Il fait de nous, à ses yeux, des individus impitoyables pour qui la vie humaine compte moins qu’une épluchure de cacahuète sur le paillasson de Jimmy Carter. Elle se dit que nous sommes allés trop loin avec elle. En lui découvrant cette galette humaine, nous la condamnons à mort pour nous assurer de son silence, comprends-tu-t-il ? La logique même ! Et pourtant ! Tu me vois la buter ? Une fille comme elle, avec une peau de cette ambrerie, une chatte aussi veloutée, une cressonnière aussi luxurieuse (et ante). Mais ce serait de la confiture donnée à la mort ! Un crime de lèse-baise !

Je la prends par les épaules.

— Vous avez souvenir de mes caresses dans le palace de Denver ? Quand on fait à une femme ce que je vous ai fait cette nuit-là, on n’a pas envie de l’assassiner. Votre dernier atout est de croire en ma parole, Peggy. Si vous parlez, je vous jure que je ne vous tuerai pas. Je vous le jure sur la tête de ma mère qui est l’être que j’aime le plus au monde.

Elle objecte en montrant la cabine du rouleau compresseur.

— Mais lui, là-haut ?

— Il fait ce que je dis et rien de plus !

A présent, elle semble tout à fait en condition. Me reste plus qu’à lui soumettre le questionnaire décisif. Pas celui de Marcel Proust : le mien !

* * *

La maisonnette mauve ressemble à quelque illustration pour un conte de Grimm, dans l’éclairage incertain de l’aube.

Nous y parvenons par-derrière, en suivant une sente herbue que nous indique Molly, car nous ne voulons pas nous faire repérer par les voisins. Je laisse ma vieille tire (nous avons abandonné l’autre que les « amis » de Peggy doivent chercher ardemment) derrière un buisson de noisetiers et nous aidons Peggy à en sortir sans avoir à la détacher.

Une vingtaine de mètres nous amène sur la porte arrière de la masure, porte dont mon sésame se rit comme les sulfamides chargés de neutraliser une chtouille ordinaire. La gentille Molly, frêle et meurtrie, nous suit comme un chien perdu sans collier (je lui en achèterai un chez Cartier où je vais faire mes provisions avec un caddie).

On pénètre. J’explore. Choisis. Ce sera la soupente aménagée en dortoir. Il y a trois lits bas disposés n’importe comment. Une tabatière opacifiée par la poussière et les toiles d’araignée. On y conduit Peggy, plus morte que vive. Cette maison abandonnée ne lui dit rien qui vaille et elle craint que je ne faillisse à ma promesse.