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Les motards nous doublent et matent les tires qui nous précèdent. Alors là, je SAIS que c’est vraiment Martha qui nous a filé ce joker providentiel. Ces draupers motorisés sont lancés à nos trousses et il s’en est fallu d’un moins que rien qu’ils nous coiffent !

Je me laisse aller à une sotte gratitude. Faut être jobastre pour croire à des trucs pareils ! Si je continue sur ce tracé, bientôt je vais faire tourner les tables et étudier le marc de caoua. La réalité ne me suffit plus, en somme ! Et pourtant ce qu’elle est copieuse, la salope ! Mais non, faut que je tète les mamelles du merveilleux, tu penses ! Que je foisonne, signedecroise, fasse des pipes aux premiers présages qui passent à portée. Qu’on m’oracle de la tête aux pieds, bénisse, miraculise ! Qu’on me flamboie, irradise, rayonne, auréolise. Un complet, je veux !

La conductrice ressemble un peu à l’exquise et regrettée Romy Schneider dans La Banquière. Moi, insatiable, toujours survolté de la membrane, je suis en train d’imaginer sa chatte. Mon dada ! Dès que j’aperçois une gerce de plus de quinze ans et de moins de quatre-vingt-dix, boum ! Je « vois » son frifri, hypothèse sa couleur, sa conformation, son manteau, sa puissance énergétique, sa saveur. Ah ! c’est éprouvant d’être un homme de cul ! Faut rester sur la brèche vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l’arme à l’épaule, sentinelle du chibre toujours sur le qui-vive. Vigiler sans la moindre relâche pour répétitions ! Un apostolat, quoi !

Elle roule sans se presser, soucieuse de respecter la speed limit.

Au bout d’un peu, elle remarque :

— Je crois que vous êtes étrangers, non ?

— Gagné !

— Italiens ?

— Pas encore, seulement français. Vous savez : Paris, le Mont-Saint-Michel, la Côte d’Azur, les châteaux de la Loire…

— Je ne connais pas.

— Je vais vous donner mon adresse et si vous vous décidez à visiter la France, je vous servirai de guide.

— Où souhaitez-vous aller ?

— Denver. Mais si ça vous pose problème, laissez-nous où vous voudrez.

Elle murmure :

— Voilà ce que nous allons faire : on passe chez moi à Crackbitt City, on y prend un petit lunch et je vous conduis ensuite à Denver où j’ai affaire.

Je reconnais là l’hospitalité américaine. Te dire si j’accepte ! L’aubaine.

— Vous êtes dans le commerce ? je demande.

— Non, je suis avocate.

— Etre défendu par vous, c’est déjà une grâce du Ciel.

Elle rit langoureusement, en bonne baiseuse. Puis, soudain sérieuse :

— Cela ennuierait votre ami de se défaire du pistolet qu’il trimbale dans sa ceinture ?

Froidement, comme ça. Déjà, elle tend entre nos deux sièges sa fine main gantée de peau de cavouille des Andes.

— Donne à madame ! conseillé-je à Jérémie. Il offre son feu, galamment, par le canon.

— Merci, dit-elle. Peut-être est-ce de la déformation professionnelle, mais la présence d’une arme m’incommode.

Et elle glisse le pétard dans le vide-fouilles de sa portière.

— Soyez sans crainte : je vous le rendrai à Denver, assure l’avocate.

J’éprouve quelque embarras. Je pourrais bredouiller des explications pour justifier que mon pote se promène avec ce gadget mais cette gonzesse n’est pas du genre pomme cuite. Elle ne doit pas couper facilement à des vannes blettes. Alors bon, je prends le parti de laisser quimper. Cette jolie dadame me paraît plutôt étrange. Sa réflexion, tout à l’heure, sur les vitres teintées de son char quand les poulardins s’intéressaient aux bagnoles indiquerait qu’elle est parfaitement consciente que notre position n’est pas blanc-bleu ; mais comme elle semble s’en foutre, tout baigne !

On se dégage de l’autostrada pour enquiller une bretelle non asphaltée. Les States, on croit que c’est clean partout, organisé à mort, mais quand tu y es, tu t’aperçois qu’il y a pas plus débraillé et cradoche. Les poteaux électriques semblent dater de la guerre de Concession (Béru dixit), les trottoirs sont jonchés de détritus en tout genre, et dès que tu quittes une voie rapide, tu roules sur des chemins à la con en comparaison desquels nos vicinaux de la Creuse ressemblent à des nationales à grosse circulation.

Elle habite plus très loin, la dame. J’ai pas osé lui demander son blaze pour ne pas avoir à lui fournir le mien.

Voilà qu’elle engage la Cadillac bleu céleste dans une allée bordée d’ifs bien taillés. Tout au fond, on distingue une jolie maison ocre et blanche, avec un péristyle et des petits carreaux aux fenêtres. Pelouse sur le devant, piscaille sur le côté. Sans être l’opulence, c’est le grand confort. La « garçonne » roule jusqu’à un vaste garage dont les portes sont ouvertes. Dedans, se trouvent une Range Rover noire et une tondeuse à gazon grand modèle qu’on pilote comme un petit tracteur.

Notre hôtesse descend et on la filoche jusqu’à la maison. Une bonniche noire aux cheveux de neige qui semble sortie de Autant en emporte le vent nous accueille avec un sourire grand comme la partie « soleil » des arènes de Séville. Nous passons ensuite dans un vaste living où un vieux gazier voûté regarde la télé, assis dans un fauteuil d’infirme. Il a le poil aussi blanc que la servante, mais lui il est rouge de teint et sa peau ressemble à du crocodile finement travaillé pour la maison Hermès. Notre arrivée ne le décroche pas des aventures de « l’Inspecteur Baxter ».

— Je vous présente mon mari ! annonce notre sauveuse.

Elle a parlé fort, alors il s’est retourné. Il a le regard sombre, très enfoncé, surmonté d’épais sourcils blancs.

— Des clients ! annonce laconiquement l’avocate.

— Hello ! fait le vieux crabuchard.

Et nous, en écho :

— Hheelloo1 !

Les Ricains, franchement, ils ne se cassent pas le tronc en formules de politesse. Même les chiens en font davantage lorsqu’ils se rencontrent. Eux, au moins, ils se reniflent le trouduc et licebroquent une giclette pour se faire la fête.

Madame va donner des instructions à son ancillaire. Le monsieur aux quilles nazées, lui, se repassionne aussi sec pour ce con d’inspecteur Baxter. Nous, nous posons nos meules dans des fauteuils dodus.

J’ai une impression bizarre, dans cette turne. Comme si quelque chose clochait. L’ambiance, probable. Tu te croirais dans un polar d’Hadley Chase. Because le vieux mari paralytique et sa superbe jeune femme, œuf corse.

Justement, elle revient déjà :

— Willy ! fait-elle au croquant, tu veux bien m’ouvrir le coffre pour que j’y prenne mon autre montre, celle-ci s’est arrêtée.

Et elle agite une tocante d’un air dégoûté. Pépère, ça fait pas sa botte. Juste au moment que l’inspecteur Baxter s’introduisait chez l’entraîneuse du Red Fox pour lui faire dire la planque de Mustapha-le-Turc qui vient de s’échapper du pénitencier de San Diego Chiraco dans le Nevada d’où jamais on ne s’évada !

Il grogne :

— Un instant, Barbara, y a pas le feu aux Rocheuses !

Alors elle, pardon : du caractère, la donzelle ! Elle va au poste et coupe le contact. Puis elle saisit les mancherons du fauteuil roulant et sort de la pièce avec son époux. Avant de passer le seuil, elle nous adresse dans le dos du vieux (ce qui n’est pas difficile), un geste pour nous inviter à les suivre sans bruit. Oui, mon amour, d’une mimique, elle réussit à exprimer ça, la Barbara !

Bon, on se lève pour lui obéir.

Elle traverse le hall et pénètre dans une pièce plus petite que le salon servant de bureau-bibliothèque.

Le fauteuil est pulsé jusqu’à un panneau où est fixé un tableau peint à l’huile d’olive vierge et qui représente l’assassinat d’Abraham Lincoln comme si on y était.