Coup classique dans toutes les bourgeoisies de cette « planète des singes » qu’est la nôtre : le tableau masque la porte du coffre-fort rébarbatif. Le gag du tableau fait pisser de rire les cambrioleurs dans leur culotte. Moi qui ai eu le privilège de sauter Jo-le-Stéphanois, grand spécialiste du craquage de coffiots, je peux te dire qu’ils les trouvent plaisantes, les œuvrettes-cache-fortune, Messieurs les Mecs ! Se les racontent aux veillées.
Il disait, Jo, que lorsqu’il s’agissait d’un portrait, il pouvait pas résister à le graffiter, soit en lui dessinant des moustaches et des lunettes, comme tout le monde fait sur la pube des magazines, soit en lui plaçant un paf dans la bouche. Il expliquait comme quoi, lors d’un cassement chez des richards, il avait trouvé un godemichet dans le tiroir de leur table de chevet et avait enquillé la mignonne prothèse dans la clape d’une grand-mère à bonnet blanc de l’école Hollandaise. Selon lui c’était irrésistible et il regrettait de n’avoir pas disposé d’un Polaroïd pour flasher le chef-d’œuvre.
Or, donc, le père Lincoln pivote avec son assassin et la redoutable porte d’acier apparaît. Pas de clé : à système. Double cadran. Un à chiffres, un à lettres. Le paralysé grince :
— Eh bien ! Barbara, détournez-vous !
Elle.
M’est avis que c’est le tout vieux grigou, cézigue. Il doit compter les morceaux de sucre à la cuisine et mettre le chauffage en veilleuse quand ils sont couchés. Sa dame, c’est pas lui qui lui paie ses bioutifoules toilettes, j’en mettrais ma main à ses fesses (à celles de la dame).
Il ne s’est pas aperçu de notre présence, faut dire que nous nous trouvons à l’entrée du burlingue. Le voilà qu’escrime sur ses grosses molettes. Tic tic tic tac ; tac tic tic tic… Ça dure chiément !
Enfin la porte s’ouvre.
Et là, mon petit canaillou chéri, là, ma praline rose, les événements ne se précipitent pas : ils se ruent. Barbara, au lieu d’aller au coffre choper sa montre, retrousse sa jupe jusqu’aux cuisses. On égosille de la prunelle, tant tellement c’est féerique, inattendu à craquer sur le tapis !
Elle glisse la main entre ses cuisses pour saisir quelque chose. Et ce quelque chose, je te donne pas à chercher le ce dont il s’agite : un feu ! Celui qu’elle a réclamé à Mister Blanchâtre. Elle l’avance jusqu’à la nuque de son mironton et presse la détente. Putain, ce travail ! On voit l’impact, comme dans les films de violence au cinoche. Le raisin qui part en gerbe, le crâne qui explose, tout impec, clair et net, malgré la fumaga qui sort en lentes volutes de l’arme.
La madame est d’un calme qui en remontrerait à la Statue de la Liberté. Tu sais quoi ? Elle pose le pistolet sur un siège proche, fait tourner sa jupe de manière à placer le derrière devant, reprend le feu, écarte ses jambes et, tenant sa main armée devant elle, tire les deux dernières balles à travers l’étoffe. Puis elle replace sa jupe dans le bon sens et jette le flingue sur le tapis. Alors elle se met à hurler de façon hystérique. Des cris d’un aigu insoutenable ! Tout en criant, elle se dégante, la vache, (car elle était restée gantée) et lance les gants dans la cheminée où flambe un discret feu de charbon.
On se visionne mutuellement, Jéré et ma pomme.
Dans le regard de mon pote il y a cette muette interro : « Elle est folle ? » Le mien répond : « Et mon beau gros nœud à tête ronde, il est fou ? » D’un éclair de ma vaste intelligence de première qualité, j’ai tout compris. Il m’a fallu un millième de seconde pour piger, mais je vais devoir employer davantage de temps pour t’expliquer.
Cette gonzesse mariée au paralytique grigou rêve de s’en débarrasser. Ce matin, en roulant sur l’autoroute, elle écoute la radio. Que dit-on aux infos locales ? Qu’un Noir et un Blanc sont recherchés pour meurtre (on a découvert le corps d’Horace) et rapt. Signalement de notre caisse, de nous un peu aussi, probably. La femme à la Cadillac soudain nous aperçoit en rideau sur la route. Elle a des couilles grosses commak. S’arrête, nous charge, repart. La survenance des draupers à moto la conforte dans sa certitude : oui, nous sommes bien les « dangereux » hommes recherchés. D’ailleurs, elle a aperçu le feu de M. Blanc (celui d’Horace que le Noirpiot a conservé). Avec une autorité et un culot phénoménaux, elle exige qu’il le lui remette.
Une fois chez elle, elle nous installe, retourne chercher le feu dans la voiture, se le fourre dans la culotte (où je prendrais volontiers sa place) va annoncer à sa servante que nous sommes de dangereux gangsters qui les menaçons et lui ordonne de courir chercher du secours. Elle revient et fait ce que tu sais.
Officiellement, elle déclarera que nous avons contraint son vieux à nous ouvrir son coffre, puis que nous l’avons tué et avons tiré sur elle pendant qu’elle s’enfuyait.
Justement, elle s’enfuit en hurlant à perte de vue, et emprunte la porte-fenêtre donnant sur la terrasse.
Sur ces entrechoses, une sirène de police retentit dans les lointains. Son sinistre glapissement se fait de plus en plus présent.
— De premier ordre ! murmuré-je.
M. Blanc qui vient enfin de comprendre également le topo opine.
Il demande, en désignant le paralytique au crâne fracassé :
— La peine de mort existe encore dans le Colorado ?
— Tu vas pouvoir te renseigner auprès des perdreaux : les voilà.
Maintenant, la sirène est proche.
J’ai une pulsion que d’aucuns qualifieraient d’incoercible. « Ah non ! Pas comme des rats ! Pas comme des ploucs ! Pas comme des cons, bordel ! »
— Viens !
Je me rue par la porte-fenêtre. La salope court à tue-tête en direction de l’entrée. Je fonce me réfugier derrière une haie de houx vert et de bruyère en fleur. Elle sépare la maison de la piscine. Une tire de police bleu et blanc, avec une barre lumineuse sur son pavillon et un gyrophare malade se pointe en vacarmant, freine comme pour un dérapage, dérape en effet et barre l’allée. Un shérif et son adjoint en descendent. Barbara-la-fumière se jette toute sanglotante sur eux en hurlant :
— Ils l’ont tué ! Vite ! Vite !
Pour lors, les deux mectons dégainent leurs Colt et bombent vers le perron à l’allure « trot attelé ». La salope les regarde filer en continuant de bieurler à la veuve.
Pour la seconde fois consécutive, je souffle à Jérémie :
— Viens !
Et ton Sana d’amour plonge à travers la haie.
« Alors, la vieille garde plongea dans la fournaise. » Je me récite ce vers d’Hugo en me jetant sur la Barbara pour lui appliquer ma fameuse manchette stranguleuse.
Bis repetita placent, comme dit le gentil page rose du Seigneur Larousse.
Oui, la vie est un recommencement. Deux gnères polyglottées dans la même journée, c’est une belle moyenne ! Vois combien les habitudes se contractent rapidement : tout naturellement, M. Blanc recueille la dame et m’aide à la coltiner dans sa voiture. Je flanque deux coups de tournevis dans la roue avant droite de celle des policiers et nous caltons.
Mais où ?
On baigne dans une telle mélasse que M. Blanc n’ose même pas me poser la question.
Nous sommes en pleine Amérique, avec une série de meurtres accrochés à nos basques. Et des chouettes, des pas banaux (comme les moulins). La merderie vérolisée ! Abjection, Votre Honneur ! Dans très peu de temps, ce sera l’arrestation et qui sait si, en haut lieu, des ordres officieux n’ont pas été donnés pour qu’on nous garenne sans sommation ? Tu les connais pas bien, toi, les Ricains. On peut tout attendre d’eux. C’est des julots étranges (venus d’ailleurs), bons garçons d’apparence, mais fumaraux dès que ça se biscorne.