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Magine-toi que, brusquement (tiens, voilà un adverbe qui nous aide dans notre métier d’écrivailleur populaire ! « Brusquement », c’est un coup de gong dans notre prose de pisseurs de lignes. Ça réveille, ça fait sursauter) le cheval (blanc comme celui d’Henri IV) et sa passagère disparaissent. Pourtant nous sommes dans une morne plaine et il n’y a pas de bosquets à la ronde. Qu’est-ce à dire ? Caisse à savon ?

Je continue d’avancer, mais plus prudemment. Parviens à la zone de disparition de la cavalière. Et je pige.

Que ne pigeré-je, puisque je vois !

Le champ de maïs produit une cassure avec une brusque dénivellation d’au moins quinze à vingt mètres. Cette dénivellation a été aménagée, l’homme étant ingénieux, en une voie rurale, plus large qu’il n’est habituel d’en pratiquer pour desservir les zones agricoles.

A cause des hautes tiges de maïs et de leurs épis, cavalier et monture ne se sont aperçu de l’accident géologique qu’au tout dernier moment. Le bourrin s’est alors arc-bouté de toutes ses forces. Mais il a malgré tout glissé car c’était trop tard ; sa cavalière, désarçonnée, a piqué un valdingue épique. Et tu vas voir combien le mot « épique » est judicieux : Barbara a terminé son plongeon dans la combe en s’embrochant sur les fourches nombreuses d’une vieille moissonneuse rouillée abandonnée là.

Vision dantesque, comme on dit puis en pareil cas. L’une des fourches lui a traversé la gorge et une partie du visage. Une seconde lui perfore la poitrine, une troisième le ventre et une quatrième et dernière la cuisse droite.

Je contemple l’hideux spectacle depuis ma monture écumante. Je pense à la justice immanente qu’on te cause dans les écoles. Son veuvage provoqué aura été de courte durée, à Mme X (car j’ignore toujours son nom de famille). Elle gît, perforée de toutes parts et de part en part sur ce vétuste engin de culture. Des ruisselets de sang lui dégoulinent le long du corps par une vingtaine d’orifices.

Son cheval qui lui n’est pas mort, hennit à la renverse, en agitant misérablement ses grosses pattounes. Visiblement, il a les reins brisés.

Conscient de ce qu’il est malsain de s’éterniser ici, je le laisse à son agonie pour aller rejoindre Messire Blanc.

* * *

En fin de journée, nous atteignons Cracket Springs. Nous sommes vannés, fanés, moulus. L’épine d’or sale pareille à un jeu de dominos mis debout, queue leu leu avant d’être renversés.

Que je te fasse poiler : on a pu récupérer le bourrin de Jérémie. Après son canter solitaire, cet enfoiré de gail s’était mis à se goinfrer de maïs pour se refaire une santé. Ce con avait découvert que c’était une denrée comestible qu’il foulait de ses sabots et il s’en faisait craquer la sous-ventrière. On l’a approché sans mal et Jéré l’a escaladé.

Il en revenait pas, le Négus, de la mort brutale de Barbara. En attendant, elle solutionnait mes préoccupations concernant l’avenir immédiat de cette garce. La Providence lui avait présenté sa facture plus vite qu’espéré.

Donc, nous voici à quelques encablures de l’hospice où l’on s’occupe de Standley Woaf. Sur fond de couchant, il fait sinistre.

On a mis pied à terre dans un bois de mélèzes. Les chevaux sont k.-o. debout (c’est le cas ou jamais de le dire).

— Qu’en faisons-nous ? demande mon subordonné.

— On va les desseller.

A ne pas confondre avec le verbe déceler, lequel n’apporterait rien à leur confort.

— Et après ?

— On planque le harnachement dans le grand fourré que voilà et on les laisse vivre leur vie. Quand ils auront récupéré, ils partiront à l’aventure.

Un peu plus tard, deux hommes se tiennent sur le chemin conduisant à l’asile.

Deux beaux garçons dans la farce de loge. Je veux dire : dans la force de l’âge. Un Noir, un Blanc. Tous deux bien membrés et d’une intelligence supérieure à la moyenne d’au moins trente centimètres. Tu as deviné ? Nous !

Embusqués derrière de gros rochers moussus. Guettant.

Quoi ?

La sortie de l’établissement.

On se détend. Cette infernale randonnée en rang d’oignons fut une terrible épreuve. Mais le but est comme la tarte du même nom et dont je raffole : il est tatin[9] !

Nous n’avons pas longtemps à attendre.

Une petite voiture verte, de marque japonaise, hélas, finit par déboucher de la rébarbative entrée. De loin, je reconnais Margaret, la jolie et peu farouche secrétaire du docteur Robinson, le dirlo de l’établissement.

Aussitôt, je me place au mitan de la route, bras en croix pour stopper la gosse. Elle freine à bloc, puis me reconnaissant, amorce une marche arrière. Elle semble terrorisée par ma présence, sans doute a-t-elle eu de nos funestes nouvelles par les infos. Je pique une pointe de vitesse et parviens à déboulonner la portière, côté passager. Faut dire que les gerces ne sont pas émérites, question conduite ; elles, les marches arrière, c’est pas leur flacon de vernis à ongles. Elles zigzaguent piètros. Aussi bibi n’a aucun mal à sauter dans la tire et à couper le contact.

— Eh bien, qu’est-ce qui vous prend, ma chérie ? je susurre. Vous ne reconnaissez donc pas le chevalier Castor, l’homme à la grosse queue bâtisseuse ?

Et j’adresse, à travers le pare-brise, un geste pressant à Jérémie, lequel se dépêche de nous rejoindre.

La Margaret, c’est bien simple : elle castagnette des crochets. C’est le grand à glagla intégral dans son corps mignon.

— Mais n’ayez pas peur, ma chérie ! fais-je d’une voix caressante en promenant ma main sur sa cuisse. Je ne veux pas vous faire de mal. Votre attitude me donne à penser que vous avez appris de vilains mensonges à notre propos. Ce ne sont que des mensonges, chérie. Regardez-moi, ai-je une tête de bandit ? Tenez, voici mes papiers : Police ! Je suis flic en France et pris dans un vilain complot ici. Vous ne craignez rien, ma belle âme. Au contraire, aidez-nous à faire triompher la vérité et je ferai de vous une vedette que toutes les chaînes de télévision s’arracheront.

Ce langage la calme. Je dissipe ses ultimes frissons avec des bisous sucrés dans le cou et de légers attouchements intra-frifri ponctués de plongées circulaires dans le corneski.

— Nous devons dégager la route, réagis-je. Démarrez gentiment.

Elle tremble encore un peu, mais s’exécute. On dévale la côte sans se presser.

Au bas, y a une fourche (brrr ! ça me fait songer à Barbara) qui nous oblige à décider.

Elle balbutie :

— Où voulez-vous aller ?

— Chez le docteur Robinson.

— Mais je vous ai dit, l’autre jour, qu’il partait en voyage. Il ne doit rentrer que demain.

— Allons tout de même chez lui. Il est marié ?

— Divorcé.

— Il vit seul ?

— Il… il…

— Il, quoi, ma douceur parfumée ?

— Il vit avec un ami.

— Ah ! bon. Ce brave médecin a viré sa cuti ! Ce sont des choses qui arrivent en vieillissant. En prenant de l’âge, on prend aussi du rond. Où demeure-t-il ?

— Il a un appartement à l’asile, où il dort quand il y a des cas d’urgence, sinon il possède une maison forestière au bord du lac de Biteme The Knot, à vingt kilomètres de là.

— Mon rêve, fais-je. Allons-y vite !

L’endroit est d’une somptueuse sauvagerie. Surtout pas que je rate la descriptance. Tu sais ce que c’est : des fois, on a une gueule de bois tenace, ou bien des hémorroïdes en folie, quand c’est pas ta feuille d’impôts qui te déboule à l’improvisation (comme disait Béru) sur la marigoule, et t’es moins apte à te lancer dans l’agreste, l’enchanteur, le poétal.

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9

Parfois je me dis qu’il faut être débile profond pour écrire des conneries pareilles et que je devrais ouvrir un magasin d’articles de pêche au lieu de faire romancier, mais j’ai plein de lecteurs qu’insurgent et qui crient : « Mais non, mais non, continue : c’est drôle quand même ! » Alors, bon.