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Mais faut que je te campe de first force ce panorama exceptionnel. Magine-toi la forêt de sapins, très noire. Et puis une déchirure, et là t’as deux éléments primordialeurs : sur la gauche, un lac bleu sombre, couleur épinard ; sur la droite, la montagne avec une cascade féerique comme celle du Lido de Paris, sauf qu’a pas de gonzesses avec plumes dans le fion pour gambader autour, mais des vraies biches. Tu crois rêver. Au centre de ce site enchanteur, tu sais quoi ? Une sorte d’espèce d’isba de rondins (pléonasme, les isbas étant toujours faites de rondins) évoquant une pendule suisse (made in Formose).

Superbe, que je te dis. Chromo ! Le rêve « Sam-’Suffit » en pleine apothéose !

On stoppe devant la lourde. Je vais y frapper à index replié. Mais, comme prévu, onc ne répond. Alors, mû par une impulsion de toute beauté, je contourne la construction pour aller placarder notre tire dans la forêt. N’ensuite on se rabat sur le chalet, je le force sans barguigner avec mon sésame et nous voici à pied d’œuvre.

Nid d’amoureux. Murs tendus de tissu cretonne. Mobilier d’arole plein de jolis nœuds. Objets délicats (bouquets séchés sous globe, instruments de musique très anciens, tableautins dans le style galant). Ça sent les plantes odoriférantes, le tabac blond, l’encaustique à la pure cire d’abeilles. C’est délicat, un brin foufou, vaporeux. La joliesse de l’habitat détonne avec l’ampleur du panorama servant de cadre au chalet.

— Vous êtes téméraire d’entrer chez quelqu’un que vous ne connaissez pas, s’enhardit Margaret, époustouflée par mon audace.

— Cas de force majeure, lui objecté-je. Nous allons nous installer là pour la nuit en attendant le retour de Robinson.

On bivouaque, malgré les protestations de la jeune fille qui demande à ce que nous la conduisions chez elle.

Quelques boîtes de conserve nous défringalent un peu ; une bouteille de vin californien nous réconforte. Bientôt nous sommes languissamment vautrés sur les canapés du toubib, contemplant par les baies le lac désert et immobile.

Seul le grondement monotone de la cascade rompt le silence.

Nous avons décidé de faire le guet, à toutes fins utiles, afin de ne pas nous laisser surprendre. C’est à Jérémie qu’échoit le premier tour de garde. Assis, face au chemin d’arrivée, à l’abri d’un rideau de tulle, il sonde les alentours de son regard de guerrier noir tandis que je mandoline avec deux doigts futés la culotte de Margaret.

C’est un instant d’extrême délicatesse. Suave. Tu vois le climat ? Le mec fatigué, surmené, qui est assis dans les pénombres confortables, tandis que la nuit magistrale monte lentement et qu’il caresse une jeune chatte frémissante. Il est bénaise. Nuageux ! Flottant. Il bandoche mollo dans son kangourou, en réfléchissant à son affaire en cours. Il fait le point. Capital ! Le point, c’est déterminant dans notre job. Quand tu fais une addition, faut tirer un trait sous les chiffres alignés.

Alors, je tire un trait.

Et je compte…

Les frères Karamazov, tu parles d’un cadeau ! Tout est singulier dans leur vie, et même avant leur vie. Leur papa et leur maman ne se sont jamais rencontrés ; que dis-je : ils n’ont jamais su qu’ils existaient. Papa Bérurier en Normandie. Maman Martha dans le Colorado. Trait d’union : le docteur Golstein. Ce savant traqué par les nazis continue vaille que vaille ses expériences sur la génétique. C’est lui qui va prélever la semence du père Béru pour aller, plus tard, l’inséminer sur Martha (future Woaf). Clic-clac ! merci Kodak ! Résultat : des jumeaux ! Le père Golstein les a voulus. Ce doublé faisait partie de son expérience. Par quel moyen a-t-il pu conserver le foutre de Bérurier père et lui faire traverser l’Atlantique ? Mystère ! Mais les faits furent là !

Passons.

Les jumeaux grandissent auprès d’une étrange maman détachée des joies de ce monde. Elle avait servi de cobaye à Golstein. Pour l’en remercier, il l’a dotée après l’avoir si étrangement mise enceinte. Vie détachée, pour ainsi dire. Ses deux jumeaux-du-diable se passionnent tout jeunes pour les armes à feu. Ils deviennent champions de tir au revolver, allant même jusqu’à perfectionner une arme tant leur ferveur est grande pour ce sport. Ils en font leur gagne-pain…

Oh ! tiens : mes doigts distraits ont cessé de taquiner la culotte de Margaret pour partir à l’aventure et les voilà qui folâtrent dans sa forêt amazonienne. Elle en roucoule d’aise, la mignonne !

Petit ange, va ! Je t’en glisserai une, ma poule, sois tranquille. Je ne suis pas homme à te laisser en rade de fade. Tu l’auras, ta troussée jolie, ma divine ! Avec une petite minouchette préalable pour te rendre la case trésor plus avenante encore.

Je t’en reviens aux frères Woaf…

Le cirque. Et puis la tuile, un jour. Ce pénible accident. Séparation. Dur dur pour des jumeaux. L’un part pour l’asile, l’autre pour la déchéance ; ce dernier est le plus à plaindre, sûrement. Il dévale la pente jusqu’au sous-sol des bas-fonds, Jess. Le voilà clodo ! Alcoolo ! Fin de section ! L’antichambre de la mort !

Qu’est-ce qui pourrait modifier l’ordre des choses ? Sa famille sombre mornement. La vieille Martha, veuve depuis lurette, va bientôt clamser. Sa frangine tapine dans un ignoble boui-boui. Elle est noire, obèse, chtouillée peut-être ? La tragédie silencieuse.

Et puis il se passe quelque chose. Jess refait surface. L’étrange lieutenant Mortimer prétend qu’il a été récupéré par une bande mystérieuse à cause de ses qualités de tireur pour perpétrer un coup fumant dans une base de recherche classée top secret. Balivernes ! Il était rincé, comme tireur d’élite, le mec. A preuve : avant de déchoir, il avait zingué accidentellement son frelot ; alors tu penses comme des années de cloche pouvaient se « remonter » !

Qu’est-ce qu’elle est en train de me bricoler, Margaret ? Oh ! dis, la v’là qui s’attaque à mon bénouze ! Se suspend à la tirette de ma fermeture Eclair ! Je bée du futal. Sa main faufileuse part à la recherche de coquette. La trouver est un jeu d’enfant (de pute) ; la dégainer présente par contre certaines difficultés, biscotte l’incompliance de mon kangourou que la dilatation rapide de ma marionnette à tête ronde rend duraille à manœuvrer. Mais enfin, la volonté vient à bout de tous les obstacles. Bonjour tout le monde ! Oh ! le beau bébé rose ! J’épanouis du joufflu. Dodeline du chauve à col montant. Et voilà-t-il pas que l’assistante du docteur Robinson m’entonne le Crusoé ! Merde, ça existe donc, la pipe, dans ces contrées perdues ? Elle est arrivée plusieurs siècles après le Mayflower ?

J’en reviens pas. Tu verrais comme elle m’extrapole le Nestor, la grande fille ! En toute délicatesse. Langue roulée Bocuse avec béchamel sur le mardi-gras ! Wahou ! J’en perds le fil de mes pensées ! Je disais quoi, tu te le rappelles ? Je causais de Jess Woaf. Oh ! oui, sa remontée des abîmes ! Mon œil ! De bronze !

C’est pas ses prestations qu’on lui a achetées ! C’est son revolver truqué ! L’invention qu’il avait mise au point avec son jumeau, à l’époque héroïque. Comment a-t-elle été connue ? Etait-elle donc si importante que cela pour qu’on s’y intéresse et qu’on lui en propose du blé ?

Là, mes pensées flottent, vu que la Margaret me fait un travail sur la tige à coulisse digne des meilleures pompeuses professionnelles de la chère Madame Claude.

Ce qu’elle n’a pas acquis d’expérience, elle le possède de tempérament. L’inspiration, c’est irremplaçable en ce domaine enchanté ! Quelle initiative ! Quelle subtilité ! Même un gonzier sourd et aveugle prendrait son foot à ce régime-là !