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En los campos de Ocaña,

Prisonero cai;

Me llevan à Cotadilla;

Desdichado fui! [58]

Cette fois, il n'y avait plus de rêve. C'était la voix de Pierrot! Un moment après, elle s'éleva encore dans l'ombre et le silence, et fit entendre pour la deuxième fois, presque à mon oreille, l'air connu: Yo que soi contrabandista. Un dogue vint joyeusement se rouler à mes pieds, c'était Rask. Je levai les yeux. Un noir était devant moi, et la lueur du foyer projetait à côté du chien son ombre colossale; c'était Pierrot. La vengeance me transporta; la surprise me rendit immobile et muet. Je ne dormais pas. Les morts revenaient donc! Ce n'était plus un songe, mais une apparition. Je me détournai avec horreur. À cette vue, sa tête tomba sur sa poitrine.

– Frère, murmura-t-il à voix basse, tu m'avais promis de ne jamais douter de moi quand tu m'entendrais chanter cet air; frère, dis, as-tu oublié ta promesse?

La colère me rendit la parole.

– Monstre! m'écriai-je, je te retrouve donc enfin; bourreau, assassin de mon oncle, ravisseur de Marie, oses-tu m'appeler ton frère? Tiens, ne m'approche pas!

J'oubliais que j'étais attaché de manière à ne pouvoir faire presque aucun mouvement. J'abaissai comme involontairement les yeux sur mon côté pour y chercher mon épée. Cette intention visible le frappa. Il prit un air ému, mais doux.

– Non, dit-il, non, je n'approcherai pas. Tu es malheureux, je te plains; toi, tu ne me plains pas, quoique je sois plus malheureux que toi.

Je haussai les épaules. Il comprit ce reproche muet. Il me regarda d'un air rêveur.

– Oui, tu as beaucoup perdu; mais, crois-moi, j'ai perdu plus que toi.

Cependant ce bruit de voix avait réveillé les six nègres qui me gardaient. Apercevant un étranger, ils se levèrent précipitamment en saisissant leurs armes; mais dès que leurs regards se furent arrêtés sur Pierrot, ils poussèrent un cri de surprise et de joie, et tombèrent prosternés en battant la terre de leurs fronts.

Mais les respects que ces nègres rendaient à Pierrot, les caresses que Rask portait alternativement de son maître à moi, en me regardant avec inquiétude, comme étonné de mon froid accueil, rien ne faisait impression sur moi en ce moment. J'étais tout entier à l'émotion de ma rage, rendue impuissante par les liens qui me chargeaient.

– Oh! m'écriai-je enfin, en pleurant de fureur sous les entraves qui me retenaient, oh! que je suis malheureux! Je regrettais que ce misérable se fût fait justice à lui-même; je le croyais mort, et je me désolais pour ma vengeance. Et maintenant le voilà qui vient me narguer lui-même; il est là, vivant, sous mes yeux, et je ne puis jouir du bonheur de le poignarder! Oh! qui me délivrera de ces exécrables nœuds?

Pierrot se retourna vers les nègres, toujours en adoration devant lui.

– Camarades, dit-il, détachez le prisonnier!

XLI

Il fut promptement obéi. Mes six gardiens coupèrent avec empressement les cordes qui m'entouraient. Je me levai debout et libre, mais je restai immobile; l'étonnement m'enchaînait à son tour.

– Ce n'est pas tout, reprit alors Pierrot; et, arrachant le poignard de l'un de ses nègres, il me le présenta en disant: – Tu peux te satisfaire. À Dieu ne plaise que je te dispute le droit de disposer de ma vie! Tu l'as sauvée trois fois; elle est bien à toi maintenant; frappe, si tu veux frapper.

Il n'y avait ni reproche ni amertume dans sa voix. Il n'était que triste et résigné.

Cette voie inattendue ouverte à ma vengeance par celui même qu'elle brûlait d'atteindre avait quelque chose de trop étrange et de trop facile. Je sentis que toute ma haine pour Pierrot, tout mon amour pour Marie ne suffisaient pas pour me porter à un assassinat; d'ailleurs quelles que fussent les apparences, une voix me criait au fond du cœur qu'un ennemi et un coupable ne vient pas de cette manière au-devant de la vengeance et du châtiment. Vous le dirai-je enfin? il y avait dans le prestige impérieux dont cet être extraordinaire était environné quelque chose qui me subjuguait moi-même malgré moi dans ce moment. Je repoussai le poignard.

– Malheureux! lui dis-je, je veux bien te tuer dans un combat, mais non t'assassiner. Défends-toi!

– Que je me défende! répondit-il étonné! et contre qui?

– Contre moi!

Il fit un geste de stupeur.

– Contre toi! C'est la seule chose pour laquelle je ne puisse t'obéir. Vois-tu Rask? je puis bien l'égorger, il se laissera faire; mais je ne saurais le contraindre à lutter contre moi, il ne me comprendrait point. Je ne te comprends pas; je suis Rask pour toi.

Il ajouta après un silence:

– Je vois la haine dans tes yeux, comme tu l'as pu voir un jour dans les miens. Je sais que tu as éprouvé bien des malheurs, ton oncle massacré, tes champs incendiés, tes amis égorgés; on a saccagé tes maisons, dévasté ton héritage; mais ce n'est pas moi, ce sont les miens. Écoute, je t'ai dit un jour que les tiens m'avaient fait bien du mal; tu m'as répondu que ce n'était pas toi; qu'ai-je fait alors?

Son visage s'éclaircit; il s'attendait à me voir tomber dans ses bras. Je le regardai d'un air farouche.

– Tu désavoues tout ce que m'ont fait les tiens, lui dis-je avec l'accent de la fureur, et tu ne parles pas de ce que tu m'as fait, toi!

– Quoi donc? demanda-t-il.

Je m'approchai violemment de lui, et ma voix devint un tonnerre:

– Où est Marie? qu'as-tu fait de Marie?

À ce nom, un nuage passa sur son front; il parut un moment embarrassé. Enfin, rompant le silence:

– Maria! répondit-il. Oui, tu as raison… Mais trop d'oreilles nous écoutent.

Son embarras, ces mots: Tu as raison, rallumèrent un enfer dans mon cœur. Je crus voir qu'il éludait ma question. En ce moment il me regarda avec son visage ouvert, et me dit avec une émotion profonde:

– Ne me soupçonne pas, je t'en conjure. Je te dirai tout cela ailleurs. Tiens, aime-moi comme je t'aime, avec confiance.

Il s'arrêta un instant pour observer l'effet de ses paroles, et ajouta avec attendrissement:

– Puis-je t'appeler frère?

Mais ma colère jalouse avait repris toute sa violence, et ces paroles tendres, qui me parurent hypocrites, ne firent que l'exaspérer.

– Oses-tu bien me rappeler ce temps? m'écriai-je, misérable ingrat!

Il m'interrompit. De grosses larmes brillaient dans ses yeux.

– Ce n'est pas moi qui suis ingrat!

– Eh bien, parle! repris-je avec emportement. Qu'as-tu fait de Marie?

– Ailleurs, ailleurs! me répondit-il. Ici nos oreilles n'entendent pas seules ce que nous disons. Au reste, tu ne me croirais pas sans doute sur parole, et puis le temps presse. Voilà qu'il fait jour, et il faut que je te tire d'ici. Écoute, tout est fini, puisque tu doutes de moi, et tu feras aussi bien de m'achever avec un poignard; mais attends encore un peu avant d'exécuter ce que tu appelles ta vengeance; je dois d'abord te délivrer. Viens avec moi trouver Biassou.

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[58] Dans les champs d'Ocaña,

Je tombai prisonnier;

Ils m'emmenèrent à Cotadilla;

Je fus malheureux.