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Pendant que le vieux soldat m'exposait ainsi sa politique étroite, mais pleine de franchise et de conviction, l'orageuse discussion continuait. Un colon, du petit nombre de ceux qui partageaient la frénésie révolutionnaire, qui se faisait appeler le citoyen-général C***, pour avoir présidé à quelques sanglantes exécutions, s'était écrié:

– Il faut plutôt des supplices que des combats. Les nations veulent des exemples terribles: épouvantons les noirs! C'est moi qui ai apaisé les révoltes de juin et de juillet, en faisant planter cinquante têtes d'esclaves des deux côtés de l'avenue de mon habitation, en guise de palmiers. Que chacun se cotise pour la proposition que je vais faire. Défendons les approches du Cap avec les nègres qui nous restent encore.

– Comment! quelle imprudence! répondit-on de toutes parts.

– Vous ne me comprenez pas, messieurs, reprit le citoyen-général. Faisons un cordon de têtes de nègres qui entoure la ville, du fort Picolet à la pointe de Caracol; leurs camarades insurgés n'oseront approcher. Il faut se sacrifier pour la cause commune dans un semblable moment. Je me dévoue le premier. J'ai cinq cents esclaves non révoltés; je les offre.

Un mouvement d'horreur accueillit cette exécrable proposition.

– C'est abominable! c'est horrible! s'écrièrent toutes les voix.

– Ce sont des mesures de ce genre qui ont tout perdu, dit un colon. Si on ne s'était pas tant pressé d'exécuter les derniers révoltés de juin, de juillet et d'août, on aurait pu saisir le fil de leur conspiration, que la hache du bourreau a coupé.

Le citoyen C*** garda un moment le silence du dépit, puis il murmura entre ses dents:

– Je croyais pourtant ne pas être suspect. Je suis lié avec des négrophiles; je corresponds avec Brissot et Pruneau de Pomme-Gouge, en France; Hans-Sloane, en Angleterre; Magaw, en Amérique; Pezll, en Allemagne; Olivarius, en Danemark; Wadstrohm, en Suède; Peter Paulus, en Hollande; Avendano, en Espagne; et l'abbé Pierre Tamburini, en Italie!

Sa voix s'élevait à mesure qu'il avançait dans sa nomenclature de négrophiles. Il termina enfin, en disant:

– Mais il n'y a point ici de philosophes!

M. de Blanchelande, pour la troisième fois, demanda à recueillir les conseils de chacun.

– Monsieur le gouverneur, dit une voix, voici mon avis. Embarquons-nous tous sur le Léopard, qui est mouillé dans la rade.

– Mettons à prix la tête de Boukmann, dit un autre.

– Informons de tout ceci le gouverneur de la Jamaïque, dit un troisième.

– Oui, pour qu'il nous envoie encore une fois le secours dérisoire de cinq cents fusils, reprit un député de l'assemblée provinciale. Monsieur le gouverneur, envoyez un aviso en France, et attendons!

– Attendre! attendre! interrompit M. de Rouvray avec force. Et les noirs attendront-ils? Et la flamme qui circonscrit déjà cette ville attendra-t-elle? Monsieur de Touzard, faites battre la générale, prenez du canon, et allez trouver le gros des rebelles avec vos grenadiers et vos chasseurs. Monsieur le gouverneur, faites faire des camps dans les paroisses de l'est; établissez des postes au Trou et à Vallières; je me charge, moi, des plaines du fort Dauphin. J'y dirigerai les travaux; mon grand-père, qui était mestre-de-camp du régiment de Normandie, a servi sous M. le maréchal de Vauban; j'ai étudié Folard et Bezout, et j'ai quelque pratique de la défense d'un pays. D'ailleurs les plaines du fort Dauphin, presque enveloppées par la mer et les frontières espagnoles, ont la forme d'une presqu'île, et se protégeront en quelque sorte d'elles-mêmes; la presqu'île du Mole offre un semblable avantage. Usons de tout cela, et agissons!

Le langage énergique et positif du vétéran fit taire subitement toutes les discordances de voix et d'opinions. Le général était dans le vrai. Cette conscience que chacun a de son intérêt véritable rallia tous les avis à celui de M. de Rouvray; et tandis que le gouverneur, par un serrement de main reconnaissant, témoignait au brave officier général qu'il sentait la valeur de ses conseils, bien qu'ils fussent énoncés comme des ordres, et l'importance de son secours, tous les colons réclamaient la prompte exécution des mesures indiquées.