À ce mot, l'œil brillant du petit obi se fixa sur moi à travers les ouvertures de son voile, et je remarquai encore une fois un accent connu, caché en quelque sorte sous la gravité habituelle de sa voix. Il continuait avec la même intention de geste et d'intonation:
– … Chargée de petits cercles, la ligne de santé vous annonce un grand nombre d'exécutions nécessaires que vous devrez ordonner. Elle s'interrompt vers le milieu pour former un demi-cercle, signe que vous serez exposé à de grands périls avec les bêtes féroces, c'est-à-dire les blancs, si vous ne les exterminez. – La ligne de fortune, entourée, comme la ligne de vie, de petits rameaux qui s'élèvent vers le haut de la main, confirme l'avenir de puissance et de suprématie auquel vous êtes appelé; droite et déliée dans sa partie supérieure, elle annonce le talent de gouverner. – La cinquième ligne, celle du triangle, prolongée jusque vers la racine du doigt du milieu, vous promet le plus heureux succès dans toute entreprise. – Voyons les doigts. – Le pouce, traversé dans sa longueur de petites lignes qui vont de l'ongle à la jointure, vous promet un grand héritage: celui de la gloire de Boukmann sans doute! ajouta l'obi d'une voix haute. – La petite éminence qui forme la racine de l'index est chargée de petites rides doucement marquées: honneurs et dignités! – Le doigt du milieu n'annonce rien. Votre doigt annulaire est sillonné de lignes croisées les unes sur les autres: vous vaincrez tous vos ennemis, vous dominerez tous vos rivaux! Ces lignes forment une croix de Saint-André, signe de génie et de prévoyance! – La jointure qui unit le petit doigt à la main offre des rides tortueuses: la fortune vous comblera de faveurs. J'y vois encore la figure d'un cercle, présage à ajouter aux autres, qui vous annonce puissance et dignités!
«Heureux, dit Éléazar Thaleb, celui qui porte tous ces signes! le destin est chargé de sa prospérité, et son étoile lui amènera le génie qui donne la gloire.»
– Maintenant, général, laissez-moi interroger votre front. «Celui, dit Rachel Flintz la bohémienne, qui porte au milieu du front sur la ride du soleil une petite figure carrée ou un triangle, fera une grande fortune…» La voici, bien prononcée. «Si ce signe est à droite, il promet une importante succession…» Toujours celle de Boukmann! «Le signe d'un fer à cheval entre les deux sourcils, au-dessous de la ride de la lune, annonce qu'on saura se venger de l'injure et de la tyrannie.» Je porte ce signe: vous le portez aussi.
La manière dont l'obi prononça les mots, je porte ce signe, me frappa encore.
– On le remarque, ajouta-t-il du même ton, chez les braves qui savent méditer une révolte courageuse et briser la servitude dans un combat. La griffe de lion que vous avez empreinte au-dessus du sourcil prouve votre bouillant courage. Enfin, général Jean Biassou, votre front présente le plus éclatant de tous les signes de prospérité, c'est une combinaison de lignes qui forment la lettre M, la première du nom de la Vierge. En quelque partie du front, sur quelque ride que cette figure paraisse, elle annonce le génie, la gloire et la puissance. Celui qui la porte fera toujours triompher la cause qu'il embrassera; ceux dont il sera le chef n'auront jamais à regretter aucune perte; il vaudra à lui seul tous les défenseurs de son parti. Vous êtes cet élu du destin!
– Gratias, monsieur le chapelain, dit Biassou, se préparant à retourner à son trône d'acajou.
– Attendez, général, reprit l'obi, j'oubliais encore un signe. La ligne du soleil, fortement prononcée sur votre front, prouve du savoir-vivre, le désir de faire des heureux, beaucoup de libéralité, et un penchant à la magnificence.
Biassou parut comprendre que l'oubli venait plutôt de sa part que de celle de l'obi. Il tira de sa poche une bourse assez, lourde et la jeta dans le plat d'argent, pour ne pas faire mentir la ligne du soleil.
Cependant l'éblouissant horoscope du chef avait produit son effet dans l'armée. Tous les rebelles, sur lesquels la parole de l'obi était devenue plus puissante que jamais depuis les nouvelles de la mort de Boukmann, passèrent du découragement à l'enthousiasme, et, se confiant aveuglément à leur sorcier infaillible et à leur général prédestiné, se mirent à hurler à l'envi: – Vive l'obi! Vive Biassou! L'obi et Biassou se regardaient, et je crus entendre le rire étouffé de l'obi répondant au ricanement du généralissime.