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Il ne parut pas s'apercevoir de l'impression qu'avaient produite sur moi ces dernières paroles.

– L'on m'avait dit, reprit-il, que tu étais de ton côté prisonnier au camp de Biassou; j'étais venu pour te délivrer.

– Pourquoi me disais-tu donc tout à l'heure que tu n'étais pas libre?

– Il me regarda, comme cherchant à deviner ce qui amenait cette question toute naturelle.

– Écoute, me dit-il, ce matin j'étais prisonnier parmi les tiens. J'entendis annoncer dans le camp que Biassou avait déclaré son intention de faire mourir avant le coucher du soleil un jeune captif nommé Léopold d'Auverney. On renforça les gardes autour de moi. J'appris que mon exécution suivrait la tienne, et qu'en cas d'évasion dix de mes camarades répondraient de moi. – Tu vois que je suis pressé.

Je le retins encore.

– Tu t'es donc échappé? lui dis-je.

– Et comment serais-je ici? Ne fallait-il pas te sauver? Ne te dois-je pas la vie? Allons, suis-moi maintenant. Nous sommes à une heure de marche du camp des blancs comme du camp de Biassou. Vois, l'ombre de ces cocotiers s'allonge, et leur tête ronde parait sur l'herbe comme l'œuf énorme du condor. Dans trois heures le soleil sera couché. Viens, frère, le temps presse.

Dans trois heures le soleil sera couché. Ces paroles si simples me glacèrent comme une apparition funèbre. Elles me rappelèrent la promesse fatale que j'avais faite à Biassou. – Hélas! en revoyant Marie, je n'avais plus pensé à notre séparation éternelle et prochaine; je n'avais été que ravi et enivré; tant d'émotions m'avaient enlevé la mémoire, et j'avais oublié ma mort dans mon bonheur. Le mot de mon ami me rejeta violemment dans mon infortune. Dans trois heures le soleil sera couché! Il fallait une bonne heure pour me rendre au camp de Biassou.

– Mon devoir était impérieusement prescrit; le brigand avait ma parole, et il valait mieux encore mourir que de donner à ce barbare le droit de mépriser la seule chose à laquelle il parût se fier encore, l'honneur d'un français. L'alternative était terrible; je choisis ce que je devais choisir; mais, je l'avouerai, messieurs, j'hésitai un moment. Étais-je coupable?

XLVIII

Enfin, poussant un soupir, je pris d'une main la main de Bug-Jargal, de l'autre celle de ma pauvre Marie, qui observait avec anxiété le nuage sinistre répandu sur mes traits.

– Bug-Jargal, dis-je avec effort, je te confie le seul être au monde que j'aime plus que toi, Marie. – Retournez au camp sans moi, car je ne puis vous suivre.

– Mon Dieu, s'écria Marie respirant à peine, quelque nouveau malheur!

Bug-Jargal avait tressailli. Un étonnement douloureux se peignait dans ses yeux.

– Frère, que dis-tu?

La terreur qui oppressait Marie à la seule idée d'un malheur que sa trop prévoyante tendresse semblait deviner me faisait une loi de lui en cacher la réalité et de lui épargner des adieux si déchirants; je me penchai à l'oreille de Bug-Jargal, et lui dis à voix basse:

– Je suis captif. J'ai juré à Biassou de revenir me mettre en son pouvoir deux heures avant la fin du jour; j'ai promis de mourir.

Il bondit de fureur; sa voix devint éclatante.

– Le monstre! Voilà pourquoi il a voulu t'entretenir secrètement; c'était pour t'arracher cette promesse. J'aurais dû me défier de ce misérable Biassou. Comment n'ai-je pas prévu quelque perfidie? Ce n'est pas un noir, c'est un mulâtre.

– Qu'est-ce donc? Quelle perfidie? Quelle promesse? dit Marie épouvantée; qui est ce Biassou?

– Tais-toi, tais-toi, répétai-je bas à Bug-Jargal, n'alarmons pas Marie.

– Bien, me dit-il d'un ton sombre. Mais comment as-tu pu consentir à cette promesse? pourquoi l'as-tu donnée?

– Je te croyais ingrat, je croyais Marie perdue pour moi. Que m'importait la vie?

– Mais une promesse de bouche ne peut t'engager avec ce brigand?

– J'ai donné ma parole d'honneur.

Il parut chercher à comprendre ce que je voulais dire.

– Ta parole d'honneur! Qu'est-ce que cela? Vous n'avez pas bu à la même coupe? Vous n'avez pas rompu ensemble un anneau ou une branche d'érable à fleurs rouges?

– Non.

– Eh bien! que nous dis-tu donc? Qu'est-ce qui peut t'engager?

– Mon honneur, répondis-je.

– Je ne sais pas ce que cela signifie. Rien ne te lie avec Biassou. Viens avec nous.

– Je ne puis, frère, j'ai promis.

– Non! tu n'as pas promis! s'écria-t-il avec emportement; puis élevant la voix: – Sœur, joignez-vous à moi! empêchez votre mari de nous quitter; il veut retourner au camp des nègres d'où je l'ai tiré, sous prétexte qu'il a promis sa mort à leur chef, à Biassou.

– Qu'as-tu fait? m'écriai-je.