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Elle s’enferma dans la salle de bains pour bien montrer son indépendance mais, une fois dans l’eau chaude, elle s’alanguit, ferma les yeux pour imaginer complaisamment ce qui aurait pu arriver si…

Quand elle sortit, le cheveu humide, elle pensa qu’il était parti, mais le retrouva en haut dans le pigeonnier. Il avait démonté la banquette, juste une grosse planche soutenue par des murets de briques, et il étudiait le trou du chat.

— Tu vois quelque chose ?

De la main, il lui fit signe de se taire. Elle s’allongea pour essayer de voir. Il avait gratté un peu à côté et découvert le rose d’une brique.

Il se releva, lui fit signe de descendre.

— Il y avait six appartements, dans le temps. Maintenant, il n’y en a que cinq. Deux au premier dont celui-ci, deux au troisième avec les Roques et les Caducci, un seul au deuxième. Je pense qu’ils ont dû partager à trois. Deux escaliers à vis et pour Arbas une simple porte de communication.

— Le chat appartient à Arbas. Pourquoi laisser un trou ?

— Je n’en sais rien.

— Pour écouter la conversation des Sanchez quand ils montaient dans le pigeonnier ?

— Tu persistes dans l’idée que les Sanchez étaient devenus suspects pour les autres ? C’est ce que tu vas raconter au gros Bossi, hein ? Comme ça, il sera pleinement rassuré et aura la preuve que les Sanchez ne sont pas morts de crainte d’une expropriation mais assassinés par les autres copropriétaires pour des raisons obscures. Comme cela, tout le monde sera content. Soulagé. Tu auras droit à une belle prime, à un poste d’assistante sociale.

— Tu es vraiment dégueulasse ! Toi, tu veux absolument prouver que ces gens-là sont morts à cause de la société. Qu’ils ne supportaient pas l’idée d’aller habiter ailleurs… Tu veux en quelque sorte prouver qu’en utilisant le mot expulsion au lieu d’expropriation tu n’étais pas loin de la vérité. Tu es venu ici pour ta vérité…

— Du moins, c’est la mienne, pas celle de la mairie.

— Si je voulais vraiment faire le jeu de la mairie je parlerais plutôt d’accident, non ? Bon, je préfère filer. J’ai besoin de fringues et de calme.

— Attends, rapporte-moi des gauloises, un rasoir, de la mousse.

— D’accord mais je ne fais pas crédit.

— Tu as peur que je joue les gigolos ?

— Tu es vraiment très délicat de me rappeler la différence d’âge… Je ne sais pas quand je rentrerai.

— Annonce-toi. Je n’ai pas l’intention de les laisser entrer ici à leur guise. Ramène un autre verrou. Nous l’installerons cette nuit. En attendant, je vais pousser un truc contre la porte.

— Mais ils se douteront qu’il y a quelqu’un ici.

— Et alors ? Ils ne pourront quand même pas s’en formaliser ?

CHAPITRE XIII

Elle faillit oublier le verrou, dut chercher une quincaillerie pour en trouver un, revint très joyeuse dans le quartier du Bunker. Pas une fois elle n’avait songé à pénétrer dans un bar, mais lorsqu’elle fut en face du bistrot elle en franchit le seuil, espérant que Manuel guettait son retour et la verrait. Un défi.

— Un café.

Il était plus de midi, mais elle n’avait pas envie d’autre chose.

— Alors vous vous installez ? Sans regrets ? Je vous admire, dit le patron. Moi, je ne pourrais pas.

— Vous connaissiez les Sanchez ?

— C’était le seul en face à venir, de temps en temps, prendre un verre. Une ou deux fois par semaine. Pas l’habitué, mais tout de même. Un brave type, travailleur…

Il n’arrêtait pas. Il devait faire deux journées… Il projetait d’acheter un bistrot en Espagne à mon avis… Il posait des questions sur le métier, sur des tas de choses.

— Vous croyez vraiment qu’il aurait quitté le coin ? Il payait cet appartement en viager et devait aller jusqu’au bout…

— Ma foi, c’est ce que j’ai cru comprendre mais on peut se tromper. Possible qu’il ait trouvé un gars qui rachète le viager. À mon avis, il regrettait de toute façon cette opération.

Ne pas oublier que ce type travaillait certainement pour la mairie. Bénévole, mais intéressé quand même.

Chargé de distiller peut-être le poison de la calomnie.

Manuel n’apprécierait sans doute pas ces ragots et elle décida de ne pas en faire état.

— Un cognac, s’il vous plaît.

Juste pour l’haleine, qu’il n’aille pas s’imaginer ce jeune imbécile qu’elle connaissait la rédemption par l’amour et qu’elle ne boirait plus parce qu’un gamin essayait de se caser dans sa vie.

— J’ai eu l’impression qu’ils rôdaient sur le palier, qu’ils hésitaient. Ils devaient être deux.

— Roques est à son éventaire.

— Arbas et Caducci alors ?

— Tu es sûr de ne pas être le jouet de ton imagination ? Fit-elle goguenarde.

Elle l’embrassa sur la bouche pour qu’il sente bien le goût du cognac.

— Tu as le verrou ?

— Oui et il est superbe.

— J’ai trouvé une perceuse électrique. Cette nuit, on l’installera.

Il sortit un papier de sa poche :

— J’ai trouvé ça aussi.

— Taxe d’habitation pour 1981… à régler avant le 15 octobre. C’est tout récent, à peine cinq semaines… Mais ce n’est pas au nom des Sanchez. Ahmed Bachir ? Tu as trouvé ça avec la perceuse ?

— On l’avait planqué dans la boîte à outils. Sous une boîte de vis. Plié en huit.

— Ça veut dire quoi ?

Elle avait hâte de se changer. Elle avait trouvé une jupe en lainage, un pull fin qui lui faisait une jolie poitrine.

— Pourquoi les Sanchez possédaient cette demande de paiement, ça te laisse froide. C’est pour un appartement situé dans cet immeuble, tu comprends ? Il faudrait que tu ailles aux impôts pour savoir si c’est Sanchez qui a réglé.

— Oh ! Écoute, je n’ai pas envie de sortir et de faire ce genre de démarches.

— C’est facile. Tu te présentes comme nouvelle locataire et tu veux connaître la situation exacte de l’appartement.

— Pourquoi n’y vas-tu pas toi-même ? Tu peux quand même bien essayer de sortir de temps en temps ? Tu vas te cloîtrer encore longtemps ?

Il la regarda avec un petit sourire railleur et elle préféra filer dans la salle de bains. Elle n’avait plus envie de se changer, le fit, se contempla dans la glace sans enthousiasme. Elle avait aussi acheté une crème pour les soins du visage, mais comment dissoudre ces bourrelets de mauvaise graisse autour des yeux ?

— Ah ! Tu as fait des folies ? Pas mal, bon chic bon genre, non ? Avec quelque chose de décontracté.

— Dis-le que j’ai pris dix ans.

— Je ne suis quand même pas aussi mufle que tu le penses. Mon rasoir, ma crème à raser ?

— Désolée, dit-elle. J’ai failli oublier le verrou également.

— Tu n’as pas oublié de t’envoyer un cognac. Tu fleures le trois étoiles à dix mètres.

— Aujourd’hui je pensais à moi. Tu peux garder tes trois poils au menton, ça fait viril, tu sais.

Elle se prépara un sandwich, l’emporta devant la télé.

Ça ne s’arrangeait pas entre eux, au contraire. Ils avaient pourtant connu une certaine entente en faisant l’amour.

Il était doué et l’avait fait jouir, pas uniquement préoccupé de son plaisir. Dans le fond, il devait la trouver moche, avoir honte d’être attiré par un corps très comestible. Mais il y avait cette gueule d’alcoolo pas possible.

Et quand pourrait-elle s’enduire de cette crème si c’était uniquement la nuit qu’il se montrait tendre ?