Выбрать главу

Elle s’installa dans un fauteuil, croisa ses jambes et regarda les images sans comprendre. Manuel entra, alla couper le téléviseur.

— Un vieux couple pépère… Ne manquent que les pantoufles et le tilleul du soir.

Il s’approcha, mit les deux mains sur les accoudoirs, se pencha pour l’embrasser légèrement sur le front. Puis il se laissa tomber à genoux, remonta sa jupe.

— J’en étais sûr, des collants ! Grogna-t-il.

Elle sourit, ferma les yeux, se souleva pour qu’il les enlève, le laissa faire sans chercher à quitter le fauteuil.

Quand elle rouvrit les yeux, apaisée, il n’était plus là. Elle hésita dix minutes. Il n’avait même pas essayé de prendre sa part.

Il fouillait la chambre mortuaire et elle resta sur le seuil, flairant à petits coups, comme si elle cherchait quelques molécules de gaz oubliées ou de décomposition.

— Ça voulait dire quoi ? Demanda-t-elle.

— Au journal il y avait une femme qui croisait toujours les jambes comme toi tout à l’heure et pendant des semaines j’ai eu envie de tomber à ses genoux pour lui donner du plaisir. Ça te gêne ?

— Non.

— Il n’y a guère de papiers personnels. Les flics ont dû en emporter quelques-uns, mais pas tous. Les autres copropriétaires, le reste, mais on oublie toujours quelque chose. La preuve, cette feuille d’impôts locaux. Tu ne veux vraiment pas faire un effort pour te renseigner ? Il me semble que ça intéresserait Bossi, non ? Tu devrais la lui confier pour qu’il se renseigne.

— J’ai pas l’intention de le voir ces temps-ci.

L’humiliation de la veille était trop récente, trop cuisante. Il l’avait traitée de putain, avait fourré les billets dans son sac et elle n’avait pas eu le courage de les lui jeter au visage. Minable, elle avait été minable et s’il lui avait ordonné de se mettre à genoux elle aurait subi son caprice. Il était si gluant qu’elle se laissait piéger par sa laideur physique et morale. Le gros la dénudait d’un seul regard, au-delà de ses seins, de son ventre, de son cul.

Bien au-delà et c’était fascinant, destructeur.

— C’est certainement d’une importance moyenne, mais sait-on jamais ?

— Tu n’as aucun scrupule à fouiller ?

— Tu en as, toi, lorsque tu bouffes leur pain sorti du congélateur, le sucre pris dans leur réserve ?

— Le bistrot pense qu’ils avaient des projets, qu’ils projetaient de retourner en Espagne acheter un bistrot.

— C’étaient des pieds-noirs, Français depuis pas mal de temps. Ça, j’en suis certain.

— Je ne fais que rapporter ce que raconte ce bistrot.

— En Espagne ? Ils ne parlaient même pas la langue si ça se trouve.

— Ils cherchaient un endroit très éloigné, peut-être.

— Tu penses, l’Espagne. Des millions de Français l’écument durant l’été…

— Oui, mais ils avaient peut-être trouvé un endroit secret…

— Tu persistes et tu signes.

Il revint vers elle, plaça une main au-dessus de sa tête, se mit en perte d’équilibre. Son bras faisait comme une toise frôlant ses cheveux.

— Je sais que je ne fais qu’un mètre cinquante-huit, que tu frôles le mètre quatre-vingt.

— D’après toi, ils voulaient s’enfuir, se terrer en Espagne à cause de leurs vilains voisins. Peux-tu me dire pourquoi ?

— Ils désertaient le front uni de la résistance contre l’impérialisme municipal.

— C’est ça, déconne ! Mais dans cette tronche têtue ça rumine pas mal de choses. Il faudrait tout de même savoir une chose toute bête, toute simple. Existe-t-il un document, une lettre faisant part de la destruction future de cette maison ?

— Ça doit exister. Il n’y a aucune raison pour que les flics ou les voisins l’aient fauchée.

Il s’éloigna vers l’autre chambre et elle regretta de ne plus être sous la toise de son bras. Durant une minute elle avait eu seize ans, s’était revue flirtant avec un copain qui avait aussi l’habitude de s’appuyer de la sorte, souvent le platane contre lequel elle calait ses fesses, émue à la pensée qu’il aurait pu l’embrasser.

À côté, c’était une chambre aussi impersonnelle, aussi glacée et ils auraient très bien pu y mourir.

— Une chambre d’amis qui ne servait jamais, je suppose. Et là-haut le pigeonnier.

On sonna à la porte.

CHAPITRE XIV

Manuel fila sur la pointe des pieds vers l’escalier à vis et elle pouffa, faillit éclater de rire au nez de Pierre Arbas qui se tenait devant la porte palière. Il souleva un trousseau de clés du bout de ses doigts :

— Voilà ce que vous avez réclamé.

— J’ai réclamé quelque chose, moi ? Fit-elle, joyeuse, en pensant à Manuel qui se terrait.

— Mais les clés des autres appartements puisque vous êtes des nôtres désormais.

— Des vôtres ?

Quand avait-elle pensé qu’ils formaient peut-être un groupe de fanatiques, une secte ? Arbas n’avait-il pas une arrière-pensée de la transformer en adepte ?

— Merci, dit-elle, alors je peux aller chez les autres comme ça, sans demander la permission ? Comme les autres peuvent venir chez moi ?

— N’exagérons pas… C’est juste en cas de nécessité absolue.

— Si j’ouvre le gaz comme les Sanchez ?

Il continua à sourire comme s’il s’attendait à cette réponse :

— Oui. Nous avons ouvert en effet, vu que nous ne pouvions rien faire, appelé la police. Nous n’avons pas jugé utile de leur raconter que nous pouvions pénétrer les uns chez les autres. C’est un petit secret. Vous le partagez maintenant.

— C’est sympa, fit-elle.

— Voulez-vous venir boire le thé chez moi ?

Elle s’y attendait si peu qu’elle le regarda bouche bée.

— Vous détestez le thé, je peux vous faire un café ou un chocolat. Vous me trouvez peut-être bien audacieux, mais la journée est terriblement longue et je suis très seul en fait.

— Je… je ne peux pas aujourd’hui…

— Dommage, dit-il avec un sourire vraiment attristé.

Je pensais que vous étiez affranchie de certaines convenances. Si j’invite Mme Roques ou Monique, je sens que je commets un impair, même plus, une sorte d’offense à leur fidélité conjugale.

— Et comme moi je vis seule, vous pensiez…

Un test habile parce qu’il soupçonnait la présence d’un homme dans cet appartement ? Une façon subtile de savoir si c’était pour le plaisir ou pour quelque chose de plus inquiétant.

— Non… Mais vous m’avez paru libérée de certaines aliénations. Vous pensez que si je vous invite je deviendrai aussitôt entreprenant ? Il ne ressemblait pas du tout à Poivre d’Arvor, en fait, et son trois-pièces ne lui allait pas du tout. Elle l’imaginait plus volontiers en tenue plus décontractée, même en combinaison de mécano par exemple. Pourquoi s’imposait-il cette élégance anglaise un peu plaquée, à cause de sa bonne femme, Magali la Mijaurée ?

— Je suis occupée et franchement j’ai envie de rester seule pour le moment.

— Vous seriez capable vous de m’inviter chez vous ?

— Oh ! Pourquoi pas ?

— Je peux aller chercher tout ce qu’il faut pour le thé et le confectionner aussi bien ici. Je sais très bien le faire et j’ai aussi des petits gâteaux que je fais moi-même. Il faut bien tuer le temps, n’est-ce pas ?

Brusquement, elle lui découvrit quelque chose de faux comme le costume. Sa petite combine devenait visible à l’œil nu. Il jouait le chômeur à bout de nerfs, à bout d’attente, le chômeur qui va bientôt basculer dans la déprime la plus totale et qui soudain se raccroche à des occupations dérisoires : les petits gâteaux, le thé, les voisines à domicile qu’on peut toujours draguer, comme le ferait n’importe quel type que la crise économique rend oisif. Mais Pierre Arbas était le petit malin. Il n’avait nul besoin de combler la tristesse de ses jours. Sa bonne femme devait bien se comporter au lit et le laissait comblé jusqu’au soir, de même s’il était sans emploi c’était certainement qu’il l’avait bien voulu. Elle irait se renseigner du côté des garages où il travaillait autrefois.