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— C’est quand même étrange. C’était où ?

— Dans les journaux ficelés. Des journaux du mois d’août et uniquement du mois d’août, ce qui prouve qu’ils servaient de planque, peut-être aussi au fric. Il n’y a ni ceux de septembre ni d’octobre. Ils ont dû les filer à Caducci. Mais évidemment ça ne prouve rien. C’est peut-être également un accident.

Il regarda sa montre :

— On se couchera tôt pour se lever vers les trois heures environ.

— Pour quoi faire ?

— Tu as oublié ? Le verrou. On percera pour le placer.

En fourrant la chignole dans un coussin ça doit marcher.

— Mais si jamais ils entendent ? Et qu’est-ce que je vais faire de leurs clés, moi ? Je n’aurai plus aucune raison de les garder et en quelque sorte c’est leur déclarer la guerre, non ?

CHAPITRE XVIII

En passant devant la porte de l’appartement on ne faisait pas tellement attention au rond de laiton du verrou. Manuel l’avait astucieusement placé pour ne pas saturer l’œil. Mais Alice savait que Pierre Arbas l’apercevrait très vite. Il devait connaître dans les moindres détails sa cage d’escalier et la moindre transformation devait retenir son attention.

— J’y vais, déclara-t-elle. Je lui proposerai de faire ses courses. Elle ne sort presque jamais.

Elle emporta le paquet de journaux du mois d’août qui formaient un gros pavé, mais une fois collés pages après pages qu’en restait-il ?

Elle s’attendait à tout sauf à cette grande femme brune aux yeux très maquillés, vêtue d’une sorte de voile mauve transparent. Mais, en dessous, Mme Caducci portait un survêtement de la même teinte.

— Oh ! Que vous êtes gentille ! S’exclama-t-elle en souriant à Alice, entrez vite, il ne fait pas chaud.

L’appartement était surchauffé, une touffeur de serre et à côté la température pourtant acceptable du palier pouvait paraître polaire.

— Mon mari sera très heureux mais je ne peux le déranger en ce moment. Il est en train de modifier la chambre centrale, vous comprenez ?

Le fantastique commençait tout de suite à gauche dans l’ancien living transformé en atelier de collage. Il y avait des piles de journaux qui atteignaient le plafond.

Rangés par titres.

— Le journal local est le plus grand et Richard le préfère au Monde ou au Matin mais il ne méprise pas ces quotidiens, bien au contraire. Ils lui servent pour les constructions d’angle, vous comprenez ?

Des planches sur tréteaux, des sacs de farine, une vieille cuisinière au gaz, une presse à bras sous laquelle achevait de sécher un pavé de soixante sur cinquante environ, une sorte de pâté monstrueux, elle n’osait pas penser mille-feuilles et pourtant, avec la colle qui avait débordé comme une crème et qu’on avait soigneusement tartinée sur les bords c’était à peu près ça.

— Extraordinaire, dit-elle en regardant les trente ou quarante pavés déjà prêts, empilés dans un coin. Mais ça doit terriblement peser ?

— Une vingtaine de kilos selon la couche de colle mais certains sont encore plus lourds, le double, le triple et même le quadruple.

Elle se rendit compte qu’il y avait deux autres presses dans un coin.

— Richard obtient des pièces de deux mètres sur un et qui peuvent peser quatre-vingts, cent kilos. Nous avons dû acheter un diable d’occasion et…

Alice leva les yeux, vit le palan à chaînes accroché au plafond.

— Il faut ça pour soulever ces monstres, dit Mme Caducci avec une fierté visible.

Nulle trace d’humour ni de sarcasme. Elle vivait avec une sorte d’artiste fou qui, entre deux neuroleptiques, avait trouvé comment liquider ses angoisses, ses inhibitions et sa terreur du monde extérieur.

— Avec ce que vous apportez il fera un joli pavé. Mais j’ai dû découvrir des fournisseurs, vous vous en doutez, et lorsque la matière première manque ils me livrent en camionnette le matin très tôt et toute la maison se met au travail pour grimper les paquets de journaux jusqu’à notre troisième. Tout le monde est si gentil.

Alice s’approcha des pavés, remarqua que certains luisaient d’étrange façon.

— Ils sont plastifiés. Richard fait un essai. Il pense que ce matériau pourrait servir pour construire des maisons individuelles. Il en a plongé un dans la baignoire depuis un mois et, ma foi, il semble que l’eau n’y pénètre pas.

— Mais comment faites-vous ?

— On se douche simplement à côté du pavé. De cette façon on peut voir si le savon, les sels de bains, le shampooing ne peuvent l’attaquer. C’est assez excitant, vous comprenez ? Une sorte de matériau nouveau. Nous pensons qu’on pourrait construire des bateaux à bon marché.

Alice glissait le long des pavés déjà prêts, se demandant comment le plancher pouvait supporter ce poids

énorme. Elle aurait aimé approcher du fameux labyrinthe, pas y pénétrer mais juste en voir l’une des entrées. Léonie Caducci parut lire dans sa pensée :

— Vous reviendrez bien, n’est-ce pas ? Tout est en totale transformation. Richard a eu une inspiration assez fantastique et je ne voudrais pas le déranger. Il ne nous en voudrait pas mais il en serait perturbé pour plusieurs jours. Vous n’ignorez pas qu’il est très dépressif, névrosé.

Je préfère qu’il empile ces agglomérés de journaux plutôt que prendre des neuroleptiques. Après une journée de travail intensif, tant manuel que mental, il est heureux, détendu, presque comme avant. Il dévore, il dort comme un enfant. Et puis, l’œuvre achevée, il tombe dans une apathie de quelques jours, devient peu à peu inquiet, angoissé, et je sens qu’il a besoin d’entreprendre une autre œuvre ou de prendre des neuroleptiques. Faute d’idées il se résout aux médicaments, mais ce n’est pas une solution.

Elle soupira :

— Ce qui le navre c’est de détruire pour recommencer. Il préférerait accumuler ses œuvres. Ce sont des chefs-d’œuvre, vous savez, une nouvelle architecture.

— Comme le facteur Cheval ?

— Je vous en prie, ne prononcez pas ce mot devant lui.

Il affirme que c’était un ignare, un intuitif alors que lui, mon mari, suit les prescriptions du grand Salomon. Il construit des temples initiatiques en forme de labyrinthe.

Vous prendrez bien un petit café ?

Elle quitta à regret l’atelier. Il lui faudrait revenir avec un appareil de photographie. Dans le couloir elle jeta un regard vers le fond mais ne vit que des portes fermées.

— Nous ne disposons que d’une seule chambre, dit la grande femme en versant le café dans deux tasses.

Richard a besoin du reste et de la pièce en dessous.

— Vous avez aussi une pièce ? fit Alice fébrile… Au second étage ?

— Bien entendu. Comme vous. Comme tout le monde.

L’appartement du second était si grand que nous avons pu le partager équitablement, Mais il n’y a pas d’escalier à vis. En fait j’ignore ce qu’il y a car je ne m’aventure jamais aussi loin dans le labyrinthe. Richard me dit qu’il a construit un plan incliné avec des pièges, des chausse-trappes, des mini-oubliettes. Mais je me fais du souci.

Il finira par manquer de place et précisément nous pensions que le vieux Cambrier accepterait de nous vendre une partie de l’appartement du premier. Je vous avoue que lorsque j’ai su que vous le louiez je vous en ai voulu mais maintenant que je vous vois je ne peux pas vous détester, vous êtes si sympathique.

— Vous auriez pris tout l’appartement ?

— D’abord la pièce du second où vous accédez par la vis, puis peut-être les deux chambres. Richard aurait pu réaliser son grand projet de grand temple…