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— La taxe d’habitation est bien au nom d’un précédent locataire de cet immeuble mais pour savoir qui a payé il faut vous rendre chez le percepteur. M. Bachir est resté une année environ dans cet immeuble. En quatre-vingts et depuis nous ne savions pas qu’il était parti. Il est possible qu’il y ait un autre locataire car dans le coin c’est fréquent. Les gens ne restent pas longtemps. Sauf…

— Oui, fit Alice tout sourire.

— Sauf les immigrés justement. Quand ils trouvent un appartement vide pas trop cher dans le centre en général ils ne le lâchent pas aisément et au besoin se le transmettent. Il y a quelquefois des trafics, des reprises mais n’allez pas me prendre pour une raciste.

— Bien, je vais aller à la perception.

Ce fut plus difficile et elle dut expliquer la raison de sa visite.

— Je suis locataire d’un appartement depuis trois jours et je n’ai pas envie d’avoir des ennuis avec l’administration.

On la fit attendre puis un jeune homme la fit entrer dans son bureau et lui annonça que pour l’année en cours tout était en règle.

— La taxe d’habitation a été payée par M. Pierre Arbas, même adresse, qui déclare servir de syndic à la copropriété.

— Pourquoi M. Bachir n’a-t-il pas réglé ?

— Je l’ignore complètement. Du moment que c’est payé, nous autres…

Certaine que Manuel Mothe lui en voudrait de rapporter si peu de renseignements, elle s’arrêta chez le bistrot d’en face mais but un Vittel fraise.

— Vous n’avez pas connu un Bachir, vous ?

— Bachir ? Bien sûr que si. Il vient même quelquefois dans le coin. Je l’ai vu il y a quinze jours. C’est un ancien harki. Il a même habité en face, mais maintenant il a acheté une petite maison à la campagne, vers Hyères…

Enfin, dans le coin. Il est malin, Bachir. Il est plein de fric.

Il louait de grandes maisons vétustes, les transformait en dortoirs pour ses collègues qui, eux, arrivaient directo d’Algérie ou du Maroc. Toujours des maisons vouées à la pioche mais qui n’étaient détruites que deux ou trois ans plus tard. Les propriétaires louaient sans garantie et puis lui trouvait vingt, trente lits, autant de bonshommes à qui il piquait au passage des loyers élevés. Quand on finissait par expulser les locataires, lui, il arrivait à se tirer des pattes. Il avait des relations dans le coin… Des pieds-noirs, des officiers de toute nature… Un petit malin…

Mais amusant… Il rigole tout le temps…

— Il habitait en face ?

— Oui… Il occupait le grand appartement du second et il a voulu refaire le coup, bien évidemment. Mais je crois que là il est tombé sur un bec et que vos voisins ne se sont pas laissé faire. Tout le monde a dû faire son bagage et filer. C’est alors qu’il a préféré s’installer à la campagne… On commençait à s’intéresser à lui, des organisations, des syndicats.

— Vous n’avez pas son adresse ?

— Qu’est-ce que vous en feriez ? fit le bistrot méfiant.

— J’ai un truc à lui que j’ai trouvé.

— S’il passe je vous l’enverrai.

Pour amadouer Manuel elle rapportait deux beef qu’elle entreprit de faire cuire, mais il ne paraissait pas de bonne humeur.

— Je croyais tenir une piste intéressante, dit-il. Je me demande bien pourquoi ce n’est pas Pierre Arbas qui a cette demande de paiement de taxe foncière.

— Sanchez paraissait la planquer, non ?

— Oui, mais c’est Arbas qui a payé. Il y a quand même un petit mystère et dans ce Bunker il ne faut rien négliger.

Tu devrais aller voir Bossi.

— N’y compte pas.

— Tu ne lui dois pas des rapports réguliers ?

— Il n’en a pas été question. Ce qu’il veut c’est une idée sur l’état mental de tous ces gens, savoir ce qui se passerait si jamais la procédure d’expropriation était décidée.

Ils ne veulent pas de nouveaux drames alors que les élections se rapprochent.

— Ils peuvent enterrer le projet pour deux années ?

— Oui, mais les intérêts des promoteurs doivent être compromis par cette attente.

— Tu devrais y aller. Demain il ne sera pas là puisque c’est samedi. Raconte-lui ce que tu veux et surveille ses réactions. Je suis certain qu’il laissera échapper un tuyau.

— Non, c’est non. Je n’ai pas du tout envie de me retrouver en face de cette limace visqueuse.

CHAPITRE XX

C’est Manuel qui lui rappela son invitation pour le soir même. L’apéritif promis à ses voisins. Il épluchait la revue immobilière espagnole, assis devant la table de la cuisine.

— Je n’ai pas envie de voir tous ces gens-là ici… D’ailleurs, où te planqueras-tu pendant ce temps ?

— Je ne me planquerai pas. Je serai présent pour voir leurs têtes… Mais je n’arriverai pas tout de suite.

Il fît sauter dans ses mains le trousseau de clés qui ouvraient tous les autres appartements.

— À la nuit je quitte la maison et dès qu’ils sont tous ici je reviens en douce faire quelques visites. J’ai envie de savoir comment ils vivent, moi.

— C’est de la folie, dit-elle, ils se méfieront.

— Tu vas les recevoir fastueusement. Tu vas les gaver et les faire boire. Ces petits bourgeois sont des goinfres et ils oublieront tout quand ils verront le buffet bien garni, les flacons rares et les lumières. Nous allons bien faire les choses. Tu vas investir du fric, ma cocotte.

Comme je vais le faire avec mon indemnité de licenciement. Ne lésine pas, choisis le bon traiteur, pense au porto, au pastis, au whisky twelve years. Prévois aussi du Champagne.

— Tu es fou ? Ils vont me prendre pour une milliardaire, me soupçonner.

— Qu’importe. Tu les abreuves, tu les empiffres et moi je visite les appartements. Il faut qu’ils soient tous là, même Léonie Caducci. Même les gosses d’en face. Fais les yeux doux à Trois-Pièces, fais-lui comprendre que tu regrettes ton geste mais qu’avec plus de douceur il aurait pu tout obtenir de toi.

— Tu crois que je vais vraiment accepter ce conseil ? Ce sale fumier qui m’arrachait les cheveux ?

— Ne sois pas stupide. Il faut que tu les mettes tous dans ta poche. Allez, file chez le traiteur tout de suite et fais livrer. Ne perds pas de temps. Ensuite tu feras la tournée des copropriétaires.

Il l’attira sur ses genoux et l’embrassa dans le cou. Elle restait figée et elle repoussa la main qu’il glissait sous sa jupe :

— Tu me prends pour une pute et une conne, hein ?

Il ne répondit pas mais l’embrassa tendrement sur la joue. Elle se pencha vers la revue espagnole, ouverte à la page où les Sanchez avaient coché des affaires à vendre.

— Trois millions de pesetas ça fait combien ?

— Cent soixante mille, seize millions anciens.

— Ils étaient prêts à mettre jusqu’à quatre millions, tu as vu ?

— Oui. J’ai vu. Ils devaient vivre petit, les Sanchez, accumuler le fric… Mais je pense qu’ils préparaient surtout leur fuite. En douce. Leur évasion du Bunker.

— Ah ! Tu y viens, hein ?

— Je suis bien obligé d’y penser. S’ils trouvaient ce fric ? Seize à vingt millions anciens ?

— Qu’est-ce que tu en ferais ? Demanda-t-elle.

— Je pars, je file… Loin très loin. À l’autre bout du monde.

— Tu m’acceptes ?

— On en rediscutera.

— N’aie pas peur, fit-elle avec une dignité qui lui coûtait, je plaisantais. Moi avec huit briques je m’achète du cognac et je me saoule à mort. C’est bien ce que tu penses, hein ? Que je boirais tout ce fric ?