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— Je ne pense rien et c’est idiot d’y penser. Comme les joueurs du loto qui n’arrêtent pas d’échafauder des projets sur un gain qui ne leur sera jamais attribué. File chez le traiteur, compte large. Nous serons une douzaine.

— Mais ils vont te reconnaître quand tu arriveras ?

— Tant pis, c’est un risque à courir.

— C’est stupide.

— Je ne les connais pas tous et je veux découvrir leur visage, étudier leur comportement quand ils seront réunis dans cet appartement. Si vraiment ils ont assassiné les Sanchez ils se trahiront peut-être, se sentiront gênés, mal à l’aise et je veux assister à ça. Je jouerai le bon copain qui vient te donner un coup de main pour la soirée, je remplirai les verres, fais-moi confiance.

Lorsqu’elle revint de chez le traiteur qui devait livrer vers cinq heures elle sonna chez les Larovitz et ce fut le V.R.P. Qui vint ouvrir. C’était un homme terne, plus vieux que sa femme, chauve, en pyjama et pantoufles.

Il bredouilla des excuses sur sa tenue mais quand il était chez lui il ne pouvait plus supporter autre chose. Il parut consterné lorsqu’elle parla de l’apéritif prévu pour le soir.

— Serge, voyons, dit sa femme, nous sommes juste en face et c’est si gentil, n’est-ce pas ?

— Venez sans chichis, dit Alice… Ce sera très relax très bon enfant… Amenez les enfants. Il yaura des jus de fruits, des gâteaux et ils feront ce qu’ils voudront.

Personne ne répondit chez les Arbas et elle en éprouva un grand soulagement. Chez les Roques il n’y avait que la femme qui la fit entrer dans sa cuisine.

— Nous fermons à huit heures.

— Ce sera parfait. La soirée commencera juste.

— Nous ne buvons pas. Juste un peu de porto à la limite, mais nous sommes tous les deux au régime.

— Tout est prévu, vous verrez.

— Nous n’aimons pas veiller tard, le samedi est une rude journée.

— Vous ne serez pas obligés de rester, murmura Alice en se demandant si c’était bien tout, si les conditions de leur acceptation étaient bien au complet.

Elle sonna longuement chez Caducci, pensa que Léonie était en courses, mais elle vint ouvrir haletante, rouge et contrariée.

— Ah ! C’est vous… Excusez-moi, mais je suis très occupée. Il y a un pan de mur qui s’est écroulé et mon mari dort de l’autre côté… je crains…

— Un pan de mur ? fit Alice, oubliant le labyrinthe.

— Voulez-vous m’aider ? Ces agglos de papier pèsent trop lourd pour moi.

L’entrée du dédale se situait dans la première des chambres, commençait par un escalier qui en sept marches permettait d’atteindre une galerie où l’on ne se déplaçait plus qu’à quatre pattes. Alice eut bientôt les fesses plates de Léonie devant elle.

— Plus loin, on peut se relever mais c’est un piège. Il faut prendre sur la gauche le plus étroit passage. Je me suis déjà trompée deux fois ce matin.

Au passage, Alice remontait le cours du temps journalistique, passait du tremblement de terre de Naples à l’élection de Mitterrand. D’une « une » sanglante comme la tuerie d’Auriol à une page de modes. Parfois, des hiéroglyphes, des couleurs surgissaient sous la lumière des guirlandes de petites lampes d’arbre de Noël qui éclairaient l’endroit. Elle pensait au bonheur de certains gosses dans un dédale pareil, n’éprouvait pour l’instant aucun sentiment de danger.

Puis ce fut le plan incliné et elle comprit qu’on descendait vers l’étage inférieur. Avec une aisance d’habituée, Léonie Caducci se laissa glisser et, après une seconde d’hésitation, elle suivit.

— Un instant.

Un gros agglo de papier journal, long d’un mètre environ, large de moitié, pivota sur une simple poussée et Alice découvrit une tringle d’acier, des cavités renforcées de plastique dur pour une lubrification constante.

Il y avait là un nouveau passage et elle avait l’impression de remonter peu à peu vers l’étage supérieur en marchant à quatre pattes.

— Nous approchons.

Un mur écroulé, un amas qui montait très haut. Des blocs de papier de trente, quarante kilos. Elles en soulevèrent une série, durent s’arrêter. Alice eut l’impression que Léonie édifiait entre elles un mur de séparation et commença à s’inquiéter. Encore deux blocs et elle serait coincée dans un espace réduit, à peine un mètre cube, dans un air poussiéreux et vicié. Si jamais… Combien de temps pourrait-elle résister ?

— Encore un effort… Je suis désolée, mais sans vous je n’y serais jamais parvenue.

Alice aurait préféré que ce mur ne soit pas édifié et elle demanda si on ne pouvait pas aligner les agglos ailleurs car bientôt elle ne pourrait plus se dégager.

Léonie Caducci ne parut pas entendre :

— Vite, je vous en prie, il dort sous neuroleptiques et je crains qu’il ne s’étouffe insensiblement.

— Bientôt c’est moi qui étoufferai, dit Alice qui transpirait abondamment et avait très chaud. Je vous demande d’arrêter…

Léonie s’escrimait sur un agglo placé en équilibre instable. Alice pensa que si jamais toute la pile s’écroulait elle serait prise au piège, comme un rat. En s’arc-boutant elle pourrait essayer de se libérer, mais en aurait-elle la force si l’air devenait aussi irrespirable ? Déjà elle avait la tête qui lui tournait.

— Je crois que nous y sommes, dit Léonie.

Mais Alice ne pensait plus qu’à sa sauvegarde et elle se jeta contre les agglos qui se décalèrent. La pile s’écroula dans un vacarme sourd.

— Mais c’est stupide de votre part ! hurla Léonie.

En rampant, Alice sortit de son recoin, put se redresser pour respirer un air meilleur. Léonie la regardait, pâle de rage.

— Vous vous rendez compte, nous y étions presque !

— Oui, mais moi j’allais y rester.

— Je vous aurais dégagée. Mon mari y est depuis le début de la matinée.

— Bon, on va essayer de le dégager.

Il y avait là une masse énorme. Un agglo de deux mètres de long.

— Un vrai sarcophage, dit Alice entre ses dents. Il pèse combien ? Cent cinquante kilos ?

— Il faudrait une barre à mine, dit la grande femme.

Je crois qu’il y en a une pas très loin.

— Hé ! Attendez ! Dit Alice.

Mais déjà elle était seule et essayait de retrouver le trou par lequel Léonie avait disparu. Elle décrocha la guirlande de Noël et une des ampoules dut se dévisser, interrompant le contact pour toutes les autres. Plongée dans le noir, elle commença de paniquer, chercha la guirlande et commença de revisser méthodiquement toutes les petites lampes mais la lumière ne revenait pas pour autant.

— Hé ! Cria-t-elle. Où êtes-vous ?

Il suffisait que cette femme grande et forte comme un taureau fasse basculer quelques blocs de papier journal pour qu’elle se retrouve dans une véritable oubliette. Elle se mit à pleurer. Silencieusement, mais à chaudes larmes.

Depuis quelque temps elle avait des facilités surprenantes et savait à quoi les attribuer. Toute émotion se transformait en ces filets d’eau salée qui coulaient de ses yeux.

— Je vous en prie, ne me laissez pas ici, murmura-t-elle avec une sorte de timidité.

Elle se sentait capable de hurler, de trépigner.

— Vous n’avez rien à craindre de moi, bredouilla-t elle… Si vous pensez que je vais donner des satisfactions

à ce gros cochon de Bossi…

D’un coup la lumière revint et elle entendit du bruit sur la gauche. Quelque chose de noir, de long, avança.

Un serpent qui aurait eu une sorte de rigidité totale.

C’était la barre à mine que Léonie poussait devant elle en arrivant à quatre pattes.