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— Non, mais il n’y a pas que le journal ; on peut alerter des tas de gens, d’associations.

Le sourire de Pierre Arbas était celui d’un homme que rien ne pourrait convaincre et c’était par cette force qu’il survivait encore, dépassait les autres qui se noyaient dans une médiocrité consentie.

— Nous n’accepterons jamais, monsieur.

— Comme les Sanchez ?

— Non. Nous nous défendrons et personne ne nous délogera facilement. Nous sommes tous sur le pied de guerre. D’ores et déjà nous avons une discipline d’état de guerre. Si c’est votre patron qui vous envoie, vous pourrez au moins lui rapporter mes paroles. Nous pouvons tenir un an s’il le faut et nous le ferons.

— Vous vous accrochez dur à cette baraque ? Mais si on vous offre deux, trois fois mieux. Vous, vous résisterez à la tentation, mais les autres, ceux-là ?

Pierre sourit et se tut. Ce fut le Navet qui prit la parole :

— C’est ici que nous voulons vivre, pas ailleurs.

— Mais qu’est-ce qui vous retient donc dans cette maison ? Elle est aussi pourrie que le reste malgré vos aménagements intérieurs. Personne ne voudrait-y vivre, personne sauf vous tous, et c’est incompréhensible.

CHAPITRE XXV

Manuel avait insisté pour qu’ils rangent l’appartement avant d’aller dormir. Il avait même descendu les sacs poubelles dans la rue.

— Ils guetteront une partie de la nuit pour savoir si je reste ou si je pars, alors pourquoi continuer à me cacher ? Ils retrouvaient la trace des deux gosses un peu partout. Pour se déguiser en fantômes ils avaient fait basculer toute une pile de draps dans la chambre des Sanchez. Dans la salle de bains, ils avaient inondé le sol et utilisé toutes les serviettes disponibles pour étancher l’eau.

— Arbas a eu un drôle de sourire quand je lui ai rendu le trousseau de clés. J’ai eu l’impression qu’il se doutait de quelque chose. Tu as pu visiter tous les appartements ? Manuel venait de se verser une dernière flûte de champagne et croquait un petit four. Il ne répondit pas tout de suite.

— J’ai oublié d’abord pour les rideaux et…

— Pas d’importance. J’ai commencé chez les Larovitz qui sont arrivés ici les premiers.

— Ils auraient pu avoir besoin de retourner chez eux, lui ou elle.

— Le risque à courir.

Il avala son Champagne, sourit :

— Félicitations. Tu n’as rien bu ?

— Juste quelques verres.

— Si je dois résumer l’impression générale sur le Bunker il y a d’abord un premier point commun. Ils ont tous des armes. Des fusils de chasse faciles à se procurer, des carabines. Ensuite, ils peuvent tous résister des mois, peut-être pas un an mais pas loin avec des réserves de nourriture et de quoi s’éclairer. Pour le chauffage, possible qu’il y ait du fuel et du charbon dans la cour, à vérifier. Enfin dans le temps il y avait six appartements, il n’y en a plus que cinq et ces cinq-là ont tous reçu une partie du sixième. Partage des dépouilles. Arbas est sur le même palier, les autres ont des escaliers à vis. Pour les Caducci, la descente fait partie du labyrinthe du petit père Richard.

— Tu as osé y aller ?

— J’ai même aperçu Caducci en train d’établir un nouveau plan dans cette sorte de chambre qui ressemble à une chambre funéraire de pyramide.

— Tu as fouillé dans les papiers de Pierre Arbas ? C’est bien lui le syndic de l’immeuble ?

— Oui, mais il tient ses dossiers fermés sous clé. J’ai pu me faire une petite idée. Il y a une caisse commune, d’après ce que j’ai compris. Chaque copropriétaire verse au prorata de ses ressources une somme qui doit représenter dix pour cent de son salaire. Arbas gère cette somme.

— Tu as un chiffre ?

— Deux mille francs par mois. Ce n’est pas le Pérou mais c’est quand même quelque chose. Il y a aussi l’emploi du temps de chacun et l’organisation des quarts de surveillance. Comme je l’avais prévu une famille, un couple ne peuvent quitter l’immeuble au complet. C’est pourquoi Magali Arbas amène les gosses Larovitz…

— Que d’ailleurs elle déteste férocement.

— Mme Roques va les chercher. Monique n’a pas le droit de sortir tant que les gosses ne sont pas ici.

— C’est un système féroce, une sorte de prise d’otages.

— Ils craignent deux choses, qu’un couple ne se lasse et ne décide de fuir, que le manque d’entraînement les laisse vulnérables le jour où l’expropriation sera décidée.

Arbas pratique en quelque sorte la mobilisation continue. C’est un ancien militaire et son chômage c’est du bidon. Je veux dire qu’il n’a pas besoin d’un emploi pour vivre puisqu’il touche une retraite proportionnelle de quatre mille par mois. En fait, c’est le plus riche des quatre. Sa femme gagne bien sa vie et ils voisinent avec les dix mille par mois. Mais il est honnête et verse intégralement son dix pour cent. J’ai découvert que les Sanchez avaient plusieurs mois de retard pour régler leur cotisation à cette sorte de syndicat domestique.

— Ils ne payaient plus ?

— Depuis six mois et Pierre Arbas d’un trait rouge un peu trop appuyé signalait leur défaillance sur son état…

— Tu crois que…

— Doucement, pas trop vite. On peut faire la vaisselle si tu veux. J’ai horreur de me lever dans un appartement merdique le lendemain.

— Je n’ai pas tellement sommeil.

— Le plus passionnant, c’est Caducci avec son entreprise d’agglos-papiers. J’ai visité l’atelier en détail et c’est vraiment au point. Par contre, il y a des masses énormes tout au bout du dédale qu’il n’a pu amener tout seul.

— Les sarcophages ?

— Si tu veux. Plus de deux mètres de long, au moins quatre-vingts de côté et un poids fantastique. Je pense que Roques ou Arbas ont dû l’aider à les déplacer.

— Tu n’as pas retrouvé la collection de novembre des Arbas ?

— Non, à vrai dire je n’y ai pas tellement songé. De toute façon, elle n’était pas complète puisqu’ils sont morts vers le 15…

Elle ne le croyait pas. Il répondait trop précipitamment, comme s’il avait quelque chose à cacher. Il avait peut-être découvert les quinze à vingt millions entassés par les Sanchez pour fuir le Bunker et acheter un commerce en Espagne pour s’y planquer.

— Tu n’as rien trouvé sur leur projet de fuite que les autres auraient pu connaître ?

— Si. Mais tout à l’heure. Je pense que c’étaient eux qui supportaient le plus difficilement la discipline collective que Pierre Arbas était chargé de faire appliquer. Ce n’est pas lui qui a tout mis en place, du moins je le crois.

Les copropriétaires se sont organisés en association non déclarée. Malheureusement, je n’ai eu accès qu’à des documents pour l’année en cours, les autres sont sous clé. Il y a une sorte de journal quotidien qui ne fait que rapporter les faits propres à l’immeuble, à la rue et éventuellement au quartier. Juste les faits. Le cahier des décisions collectives est enfermé avec le reste dans un classeur métallique possédant une serrure de coffre-fort.

Impossible de l’ouvrir.

— L’argent est déposé sur un compte ?

— Je ne pense pas. Il est conservé par Arbas. Mais je n’ai pas le montant exact des sommes déposées… Si bien que j’ignore s’ils ont pu comptabiliser les économies des Sanchez.