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— Il y en a toujours dans les maternelles.

— Oui, mais on savait que c’était ici qu’ils les attrapaient. Il y avait aussi la cuisine, les odeurs, le mouton qu’ils avaient amené vivant et qu’ils gardaient dans une pièce… Ce n’était pas supportable, non, vraiment.

— Vous avez vu ces choses-là, le mouton par exemple ?

— On l’entendait… Les Arbas l’entendaient, les Sanchez aussi.

— Et que s’est-il passé ?

— On les a forcés à partir.

— Facilement ?

Monique Larovitz ne répondit pas, ouvrit la boîte et sourit en voyant les petits fours.

— Ils étaient tellement bons que je suis contente d’en remanger aujourd’hui.

— Vous les avez fait expulser ?

— Ils sont partis.

— Sans difficulté aucune ?

— Non, enfin il a quand même fallu se montrer intransigeants. Mais il y avait Arbas, Roques, Sanchez qui parlait leur langue et les connaissait. Vous comprenez qu’ils étaient dangereux. Ils buvaient et ils se battaient, ils se chauffaient avec des bouteilles de gaz et comme disait Pierre, c’était dangereux ces bouteilles.

— Pas plus que le gaz de ville.

— Oui, mais là-haut il n’était pas installé… Ils avaient aussi des braseros, vous vous rendez compte, et ils faisaient le méchoui sur le carrelage. On pouvait tous flamber une nuit. Et puis la musique. Tout le samedi, le dimanche, je croyais devenir folle. On leur disait de baisser le son, mais il n’y avait rien à faire. Ils ne voulaient rien savoir. Ils ont été jusqu’à quinze là-haut. Bachir encaissait les loyers. Une somme élevée. Il gagnait son argent sur notre dos, en jouant avec notre vie, notre sécurité, notre tranquillité. Arbas avait essayé de le lui faire comprendre, mais il avait la loi pour lui et surtout des relations.

— Mais comment avez-vous obtenu leur départ ?

— Je ne m’en suis pas tellement occupée. Ces messieurs ont tout organisé… Moi, avec mes gosses, je suis si occupée, vous comprenez. Je ne me suis pas mêlée de ça mais quand ils sont partis on a respiré et on a décidé de partager l’appartement entre nous, de faire un sacrifice pour que la situation ne se renouvelle pas. Le vieux Cambrier ne demandait pas mieux. Il n’aurait jamais pu en tirer un sou. Il fallait des gens comme nous pour s’accrocher ici, comprenez-vous ?

— Où sont-ils partis ?

— Les Arabes ? Je n’en sais rien et je m’en fous. Bon débarras. Ils n’ont qu’à retourner chez eux. Il y aurait moins de crimes et de chômage.

— Vous en avez revu ?

— Non, jamais, et d’ailleurs je ne les reconnaîtrais pas… Si vous croyez que je regarde les Arabes dans la rue quand je sors. Ils me font peur et ils me dégoûtent…

Elle monta chez les Arbas avec un autre carton. Magali vint lui ouvrir, prit le carton avec une sorte d’agacement.

— Il ne fallait pas… Nous sommes au régime… Mais c’est gentil.

— Je viens d’apprendre que vous avez failli avoir de graves ennuis avec les Algériens qui habitaient en face, dit Alice sans lui laisser le temps de parler d’autre chose.

Quelle horreur ! Une chance qu’ils ne soient plus là. Moi je n’aurais plus osé sortir.

— C’est ce qui arrivait, dit Magali, mais qui vous a raconté ça ?

— Monique Larovitz.

— C’est une vieille histoire. Je préfère ne pas en parler.

— Vous avez vraiment risqué d’être violée ? demanda Alice en paraissant à la fois émoustillée et horrifiée.

— C’est du passé… Il est inutile d’en parler.

— Vous auriez pu porter plainte…

— Nous avons préféré trouver une solution plus discrète et plus efficace.

— Ce Bachir était responsable. Vous le voyez dans le coin ?

— Oh ! Il n’a pas demandé son reste… C’étaient tous des clandestins et il était en contravention avec la loi.

— Des clandestins ? Vous voulez dire que personne ne savait qu’ils étaient dans cette ville, en France ?

— Exactement. Bachir leur prenait cinq cents francs à chacun. Soit cinq mille par mois, des fois plus. Ils ont été jusqu’à quinze dans l’appartement et si nous avions laissé faire il aurait pu en faire rentrer vingt, trente. C’était infernal. Nous avions acheté nos appartements en viager et lui, avec une simple location, il embêtait tout le monde, vous comprenez ? Il nous bafouait. Ils ne respectaient rien. On avait repeint la montée d’escalier pour qu’elle soit plus présentable… Eh bien, ils la salissaient avec leurs mains dégoûtantes, leurs vêtements. Il y avait pire, leur W.-C. Bouché.

— Bien sûr, s’ils étaient quinze…

— C’était un cauchemar.

— Et comment vous ont-ils coincée ? Comment ont-ils osé puisqu’ils étaient clandestins donc obligés de se montrer discrets ?

— Vous croyez que j’exagère ? Vous ne vous êtes pas retrouvée devant votre porte sur ce palier, en ayant perdu votre clé et cette bande autour de vous qui se refermait peu à peu sous prétexte de me porter secours. Non, vous ne pouvez pas comprendre ce que j’ai vécu à ce moment là. J’étais fébrile, terrorisée, et j’ai compris que si je ne criais pas ils allaient me violer là sur le palier.

CHAPITRE XXVII

— En fait, dit Manuel, elle a beaucoup exagéré. D’accord, elle a paniqué mais ces types ne voulaient pas lui faire du mal. Comme tu dis, clandestins ils ne tenaient pas à attirer l’attention sur eux. De plus, ils étaient faciles à retrouver. Je pense qu’elle a volontairement exagéré pour qu’il y ait une réaction des autres copropriétaires.

— Tu penses que c’est de cette époque que date leur si bonne entente ?

— Leur collusion, peut-être. C’est-à-dire leur entente délictueuse.

— Je ne comprends pas.

— Ils ont dû se regrouper pour faire front et user de mensonges et de calomnies pour forcer la main à Bachir.

Ce dernier, malgré ses appuis, a dû prendre peur. De toute manière, il avait d’autres endroits qu’il louait, des dortoirs aménagés dans de petites chambres. Un marchand de sommeil, voilà ce que c’est et certains avec des lits superposés entassent dix bonshommes dans une chambre minuscule. Les clandestins n’ont droit à aucun foyer.

On peut les exploiter à volonté. Ils ne peuvent rien dire.

— Tu penses qu’ils ont eu des réactions de névrosés ?

— Pense donc, des gens qui se saignaient aux quatre veines pour payer leur viager et qui voient débarquer quinze bonshommes étrangers, de mœurs différentes, peu habitués à certaines règles de savoir-vivre. Et cette maison dans son apparence extérieure ne ressemble pas à un palais, loin de là. Mais pour les Sanchez, les Larovitz, les Arbas, les Roques, les Caducci, c’est mieux qu’un palais… Il devait obligatoirement y avoir exaspération, mésentente puis résistance et lutte impitoyable pour les faire partir. Tu as vu les Roques, les Caducci à ce sujet ?

— Non. Il n’y a personne. Ou du moins on ne m’a pas ouvert. La mère Roques n’a pas dû apprécier notre réception d’hier soir et Léonie est souvent occupée avec son mari. Elle doit surveiller sans arrêt ses constructions sinon il risque de périr écrasé ou étouffé.

Il se rasait dans la salle de bains et elle adorait assister à sa toilette. Elle le sentait plus proche, plus intime même que dans l’amour.

— Comment ont-ils pu faire ?

— Ça, je l’ignore mais ça n’a pas dû être très joli joli.

Pour moi, ils se sont ligués pour les forcer à filer. Quand on veut empoisonner la vie de quelqu’un…

— Tu ne penses pas, fit-elle songeuse, qu’ils auraient pu forcer Bachir à les renvoyer ?