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— J'appelais un de mes collaborateurs pour lui indiquer que l'affaire était terminée. C'est ce coup de fil qui m'a fait tomber ?

— Ça, et la perte de votre bonnet.

— Je l'ai offert à un petit gars débile qui avait flashé dessus. La générosité ne me réussit pas !

Le Balafré me fait signe de sortir de ma cage. Nous nous engageons le long d'un souterrain faiblement éclairé.

— Allez-y ! Vous êtes libre. Je sais que vous ne me trahirez pas, commissaire. J'ai tout prévu… Voyez vous-même.

Il me désigne une porte plus fortement grillagée qu'une cellule de Cayenne. A travers les barreaux, je distingue une forme allongée sur un bat-flanc identique au mien. Paco actionne un commutateur électrique, la pièce s'illumine me permettant d'identifier le prisonnier. Et là, je te jure que ma comprenette vacille. Le type en question n'est autre que mon fils.

* * *

— Antoine ! hurlé-je, Antoine réponds-moi !

Mais il ne bronche pas. Je me retourne vers Paco, bien décidé à lui défoncer le portrait. Il apaise mes ardeurs en me pointant un gros calibre sur le cœur.

— On se calme, commissaire.

— Comment mon fils se trouve-t-il ici ?

— Vous le lui demanderez en temps utile… si un jour vous vous revoyez.

Paco m'empoigne par le bras, me fait grimper un escalier en colis-de-maçon, comme dit Béru qui me manque tant en cet instant d'horreur totale.

On se retrouve dans le jardin, près de la grille d'entrée.

— Votre fils n'est pas mort. Juste endormi. Mais que les choses soient bien claires : je n'ai aucune dette envers lui et le tuer ne me posera aucun cas de conscience. Alors vous allez quitter immédiatement l'Italie. Dans quelques jours, je le libérerai et nous serons quittes. C'est le mieux que je puisse vous proposer, d'accord ?

— Est-ce que j'ai le choix ?

Paco écarte le portail pour ma levée d'écrou. Le petit Diego m'aperçoit de son tricyle et se précipite vers moi en braillant « otra vez ! otra vez ! » Il se jette dans mes bras et nous nous étreignons sous le regard attendri de sa mère.

Agacé, Paco m'arrache le gamin des bras et me pousse vers la sortie.

— N'oubliez pas, commissaire : la vie de votre fils est en jeu. Si la malencontreuse idée vous venait d'alerter les flics locaux, j'en serais aussitôt informé, ils me mangent tous dans la main.

Chapitre Cat

(because un chat va jouer un rôle primordial dans les pages à venir)

Je me précipite dans le premier troquet venu et commande un Limoncello.

Une brunette qui cultive le cresson noir sous les bras me signifie que la turne n'a pas la licence d'alcool, force m'est de me rabattre sur un cappuccino.

Je n'arrive pas à rassembler mes idées, comme si un petit malin avait joué au mikado avec mes neurones. Le raisin palpite dans mes tempes et mon guignol breloque sous les poils agréablement frisés de mon poitrail.

Des pensées, des impressions, des sensations se bousculent au portillon de mon esprit. Comment Antoine s'est-il retrouvé dans les pattes du Balafré ? A-t-il une chance de s'en sortir ? Et puis surtout… Qu'est-ce que je peux faire, gros con comme devant que je suis ?

Je m'évertue à placer le quarté-quinté-plus de mes idées dans l'ordre. Le premier truc à évacuer, c'est l'espoir d'une intervention des poulardins du cru. Même en passant par le maire de la ville ou le président de la République, immanquablement l'un des matuches vendus serait au parfum et alerterait le Colombien. Je te jure que ce mec liquiderait mon fils en toute priorité. Il a mal digéré de ne pas m'exécuter et il y a gros à parier que, sans sa bergère, je serais déjà quelque part sous un massif de borniolas à feuilles caduques.

Quelle solution me reste-t-il ? Lui faire confiance, rentrer en France et attendre un bon geste de sa part ? Je ne crois pas un instant qu'un leader dealer comme Paco puisse se permettre de libérer Junior. Ça finira forcément par une balle dans la tronche. Moralité ? Je dois agir tout de suite et seul. Oui, mais comment ?

Je glisse machinalement la main dans ma poche et frôle le métal glacé de mon calibre. D'habitude, ce genre de contact me redonne du baume au cœur, mais là je sais que le malheureux est privé de baptême puisque vidé de ses dragées. Dans sa triste nudité, mon Manurhin haute époque vaut à peine plus qu'un coup de poing américain et moins qu'un Opinel[11].

A ce propos, futé comme je te sais, tu dois te demander comment se fait-ce que j'aie pu apporter mon arme en avion jusqu'à Rome ? Tu te dis que ton San-A est une huile et que tous les passe-droits lui sont ouverts. Erratum, mon pote ! Il existe une nouvelle méthode, mise au point par Mathias, pour faire échapper un flingue à toutes les fouilles douanières. Seulement mon chef suprême[12], au nom de la sécurité publique, m'a interdit de la dévoiler. Alors tu devras te contenter de ton rasoir pour détourner le prochain zinc.

Quand tu gamberges dans l'urgence, tu émets toutes les hypothèses, à commencer par les plus farfelues. Je me vois pénétrant dans une armurerie et braquant le taulier pour qu'il garnisse mon calibre de valdas. Très vite, je réalise qu'on est dimanche, que tous les magasins sont fermés et qu'à bien y réfléchir, je suis un poulet, pas un truand.

Je carme mon café et m'apprête à sortir du bistrot lorsqu'un type baraqué façon armoire normande dont on aurait scié les pieds s'encadre devant moi. Il appartient notoirement à l'ethnie sud-américaine.

Souriant comme un zigue qui souffre d'hémorroïdes, il me tend un téléphone portable.

— C'est pour vous ! articule-t-il dans la langue de Molière, mâtinée Cervantes.

Hébété et incrédule, je m'empare du bigophone. L'organe grave (dans tous les sens du terme) de Paco s'introduit dans mes portugaises.

— Ce n'est pas raisonnable pour la santé de votre fils, commissaire. Je vous ai demandé de partir, pas d'aller boire un cappuccino en face de chez moi.

— Je voulais juste commander un taxi ! rétorqué-je, plus minable que ta dernière érection.

A l'autre bout de l'absence de fil, le zébré de la joue gauche ricane.

— Pas la peine, Chico va vous accompagner à l'aéroport.

— Chico, c'est le beau bébé qui se trouve en face de moi ?

— Lui-même. C'est un artiste dans son genre. Mais je ne vous conseille pas de lui servir de modèle, Señor Antonio, parce que sa spécialité, c'est la sculpture sur viande.

— C'est bon, je file. Mais je te préviens…

Paco me coupe la parole d'un ton sans réplique.

— Pas de menace ! Si dans deux heures Chico ne m'annonce pas que vous avez décollé pour Paris, j'abats votre fils.

* * *

De sa cellule, Antoine observait à travers les barreaux du soupirail le petit garçon qui suçait une glace à la vanille. Le gelato lui dégoulinait le long des doigts. Un petit chat rouquin et famélique suivait le gamin, léchant les gouttelettes tombées à terre.

D'un coup de sifflet léger, Antoine attira l'attention de l'enfant.

— Ola, niño ! Tengo hambre ! (eh, petit, j'ai faim !).

Le premier réflexe du môme fut de protéger sa glace, puis il adressa au prisonnier un sourire complice qui lui réchauffa le cœur.

— Aspetta ! (Attends !) chuchota le gamin qui comprenait l'espagnol mais répondait en italien. Momento ! (Un instant !)

Diego s'éclipsa et revint quelques instants plus tard avec sa maman qui s'agenouilla devant le soupirail.

— Que voulez-vous ? demanda la femme, à voix basse.

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11

Dont mon adorable Hippolyte fait collection.

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12

Tu le connais, Mister Bean, ministre par intermittence, qui alterne le coma, les crises de mégalomanie et les démissions intempestives ?