— Ça tombe bien, c'est justement toi qu'on vient voir.
Il s'efface comme un tag représentant une grosse bite velue sur le mur d'un couvent de Bénédictines.
— Bon, ben… entrez. Vous voulez boire quelque chose ? dit-il du bout des lèvres.
— C'est plus spontané quand c'est ton vieux qui offre. Merci quand même, on n'a pas soif. En fait, c'est ta cagnotte qui nous intéresse.
La gueule du môme se décompose comme une fillette en vacances chez Troudu, célèbre pédophilosophe belge à qui l'on doit le fameux traité intitulé « Le bonheur est dans le préau ».
— Quelle cagnotte ? Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Je me tourne vers Roykeau.
— Qu'est-ce que tu fais, Bernard, quand un de tes subalternes avoine un prévenu ?
— Je lui décerne un blâme.
Je pivote sur mes talons et balance une tarte aussi soudaine que sonore sur la joue gauche de Nicolas.
— Et quand c'est un supérieur ?
— Je trouve ça farce, se marre Roykeau.
— Vous n'avez pas le droit ! rouscaille le fils Godemiche. Je vais porter plainte.
— T'as raison, ricané-je-te-je, on va appeler la police, commissaire Roykeau, siouplaît ?
— C'est à quel sujet ? demande mon collègue en cloquant une mandale de même magnitude à Nicolas, mais sur la joue droite, question de symétrie.
Le type se laisse tomber en geignant sur un fauteuil.
— Je ne comprends pas du tout ce que vous me voulez…
— Combien t'a rapporté la rave-party de l'autre nuit, Nico ? questionné-je, le ton radouci. Sûrement plus de 500.000 pions, puisque c'est la somme que tu as payée cash à Paco pour lui acheter la came.
Cette fois, il vient de piger à qui il a affaire et il me regarde avec autant d'admiration que de crainte. Il hésite encore à parler. Je l'encourage d'une voix plus sucrée qu'une pâtisserie libanaise.
— Roykeau et moi, c'est pas des oreilles qu'on a, mais des passoires. On ne retient que ce qui nous intéresse. Tes petites combines et tes traficotages, on les oubliera si tu n'as rien à voir avec le meurtre de ta cousine. Mais en attendant, on veut tout savoir.
— Je n'ai pas tué Mélanie ! Je vous le jure.
— Si tu le jures… On est obligés de te croire, fait mon Roykeau d'un ton badin en lui expédiant une pichenette de gorille sur le pif.
Illico, le blair convalescent de Nicolas se met à pisser le raisin frais sous son bandage.
Compris la tactique de mon collègue. A partir de maintenant, c'est lui qui joue le méchant dans notre chaud et froid de volaille. A moi le rôle du gentil.
— Mollo, Bernard ! Ce n'est qu'un gamin, après tout.
— Un gamin qui a éventré sa cousine, oui ! Tiens, petite saloperie, prends çui-là ! Et pis çui-là encore !
— C'est pas moi ! C'est pas moi ! hurle Nicolas paniqué sous la grêle de coups (très maîtrisés) qui s'abat sur lui.
Je fais mine de ceinturer Roykeau et de l'entraîner de force à l'écart.
— Ça suffit ! On se calme ! Laisse-moi lui parler.
Mon collègue feint de se soumettre et va s'asseoir près de la cheminée en ronchonnant. Je reviens vers Nicolas et lui tends mon mouchoir pour qu'il tamponne son tarbouif et ses ecchymoses.
— Je suis sûr que tu n'es pour rien dans la mort de Mélanie. Seulement faudrait que tu me donnes des preuves de ta bonne foi. En jouant franco à propos de la dope, par exemple.
Il me jette un regard implorant.
— Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
— Tout ce qui concerne tes rapports avec Paco.
— C'est Mélanie qui…
— Ne commence pas à renvoyer la balle à une morte. Sois un homme, Nicolas, assume tes responsabilités et je te promets de t'aider.
Ebranlé par mon ton protecteur, le petit gars décide de vider son sac et me déballe le toutim. Depuis quelques mois, Mélanie participait à l'organisation de rave-parties. L'ecstasy, le crack, la coke circulaient à tout-va, mais sa cousine n'engrangeait pas une thune, tout en prenant un max de risques. Le soir de la fiesta qui se déroulait sur leurs terres communes, elle s'est retrouvée avec une dette de 500.000 francs envers son fournisseur. Elle était incapable de payer. Paco s'est fâché et Mélanie a demandé à son grand cousin de lui venir en aide. Alors il a banqué. Mais il jure ses grands dieux qu'il n'est pas un dealer. Il n'a fait aucun bénéfice, et a juste dépanné Mélanie. Il réaffirme n'avoir jamais vu ce Paco avant la nuit tragique (sic), ce que je suis tenté d'admettre, vu que le Balafré semblait effectivement ne pas connaître le cousin qui lui avait remis le fric…
— Et où as-tu trouvé une somme pareille en liquide, Tête-de-nœud ? questionne Roykeau, reprenant du service.
— Ben… C'est pas facile à dire.
— Je sais, lui soufflé-je, pensant fortement à mon Antoine sous les verrous, les conneries, c'est plus facile à faire qu'à raconter.
— En fait, j'ai piqué le fric à mon père.
— Où ça ? gronde le commissaire de Chartres.
— Dans son coffre. Je savais qu'il avait un magot.
— Et ton père ne s'est aperçu de rien ?
Nicolas est plus mal à l'aise qu'un mec qui vient de chier dans son beau pantalon beige, gants beurre frais et bouquet à la main, juste au moment où rapplique le père de sa future fiancée.
— Si. Mais je lui ai fait croire à un cambriolage. Papa était absent, ce soir-là.
— Raconte. On adore les détails.
— J'ai cassé un carreau de la porte-fenêtre et abandonné le coffre entrouvert en laissant traîner un gant de chirurgien et un stéthoscope.
Je tique fortissimo.
— Tu as souvent un gant de chirurgien et un stéthoscope sur toi ?
— Mélanie me les a fournis. Paraît que c'est le matériel qu'utilisent les professionnels.
— Dans les bouquins d'Agatha Christie, peut-être, objecte Roykeau.
Dans ma grosse tronche, je me dis que la môme Mélanie avait bien préparé son coup pour faire carmer son cousin avec l'oseille de son oncle. Et ça signifie quoi, Eloi ? Qu'elle avait barre sur Nicolas. Qu'elle le tenait d'une manière ou d'une autre. Mais ce n'est pas cet aspect des choses qui me préoccupe en priorité.
— Ton père n'a pas porté plainte ? demandé-je.
— Non, admet le jeune homme.
— Pourquoi ?
— Je n'en sais rien.
Ce serait intéressant de poser la question à ce bon Jacquemart-André, qu'en penses-tu, Lulu ? Le sieur Godemiche se trouvant présentement au salon de la machine-à-bricole, porte de Versailles, le plus simple est de lui téléphoner sur son portable. Ce que je, après avoir soutiré son numéro à Nicolas. Je tombe sur sa ménagerie vocable (expression signée Béru) et lui demande de me joindre au plus tôt à la Vieille-Nave.
Je gamberge à toute vibure. On ne va pas se faire cuire une soupe en attendant que le vieux péquenot nous rappelle, non ? D'autant que je flaire son fiston mûr à souhait pour de brillantes confessions.
— Bon ! On va faire une perquise ! décidé-je tout à trac.
Je remarque dans les yeux de Nicolas un éclair de panique qui m'incite à pousser mon avantage. Je ne sais pas ce qu'il cherche à cacher, mais je te jure sur la vie de la concierge de la nièce de ta belle-mère qu'il planque un truc dans cette casbah.
Cette certitude attise mon nez de pointeur.
— On fouille tout ! De la cave au grenier !
— Vous avez un mandat ? s'insurge le garnement.
— Tu ne préférerais pas une mandale ? réponds-je, en brandissant à son encontre une dextre vindicative, comme l'écriraient certains de mes confrères que je ne dénoncerai pas afin de leur épargner une élection prématurée à l'Epidémie Française.
Roykeau qui a pigé la manœuvre décroche le téléphone, un drôle de rictus aux lèvres.