— Bonne idée, la perquisition ! J'appelle des renforts.
Nicolas bondit et coupe la communication.
— Attendez ! Pas la peine d'ameuter la garde. Je sais pourquoi mon père n'a pas porté plainte.
— Précise ! le harcèle Bernard.
— C'est à cause des documents qu'il garde dans son coffre.
— Il est où ce coffre ?
— Dans la penderie de ma chambre.
— De ta chambre ?
— Avant, c'était la chambre de mes parents, mais depuis le décès de ma mère, papa s'est installé dans la chambre d'amis. Il ne supportait plus la pièce où maman était morte. Au contraire, moi, j'ai l'impression de la retrouver et de communiquer avec elle.
On ne s'attarde pas en larmoiements. On grimpe de conserve à l'étage, investit la piaule de Nicolas, vire quelques fringues de sa penderie et découvre le Fichet-Bauche.
— C'est quoi, le code ?
— I.3.0.4. Maman est morte le 13 avril dernier.
Je tourne les molettes et déclenche l'ouverture du coffre. A l'intérieur, je ne déniche que douze mille francs, une poignée de louis d'or, trois montres suisses et un dossier médical accompagné de quelques clichés représentant une jolie femme d'une cinquantaine d'années. Je montre les photos à Nicolas.
— Ta mère ?
— Elle était belle, n'est-ce pas ?
— Beaucoup d'allure, en effet. Mais je ne vois pas les documents annoncés ?
— Dans un double-fond que mon père a bricolé. Vous permettez ?
Il plonge à son tour la main dans le coffre et la ressort presque aussitôt prolongée d'un Magnum 357 qu'il braque sur nous avec une promptitude dont je ne le soupçonnais pas capable. Comme son calibre pourrait traverser un char Patton avec David Douillet à l'intérieur, je m'empresse d'attraper le plafond avec les paluches. Roykeau obtempère avec autant de docilité. Dans l'état de fébrilité où il se trouve, ce jeunot n'hésiterait pas à nous arroser. Je sais lire la détermination dans la prunelle d'un individu. D'autant que je suis sorti aussi nu que le jour de ma naissance, c'est-à-dire sans flingue.
— Méfiez-vous, les duettistes ! glapit-il. J'ai failli faire partie de l'équipe olympique de tir. Je peux vous perforer les trous de nez sans toucher les narines !
Nicolas recule jusqu'à une commode dont il ouvre un tiroir sans cesser de nous tenir en respect. Il y récupère une épaisse enveloppe qu'il glisse à l'intérieur de son blouson.
Croyant déceler chez le fils Godemiche un instant d'inattention, Bernard Roykeau plonge la main sous son aisselle et sort son arme de service.
Plus vif encore que Jessie James multipliée par Billy-the-Kid, le jeune homme tire et le pétard saute de la pogne de mon collègue. Roykeau pousse un hurlement de douleur et s'écroule, la main droite ensanglantée.
— Je vous avais prévenus ! beugle Nicolas, au bord de l'hystérie.
Pour me dissuader de toute intervention, il balance le potage dans ma direction. Chaque bastos me rase de frais sans me blesser. Manifestement, cet enfoiré sait se servir d'une pétoire. Je plonge derrière le plumard pour me faire oublier. La porte claque façon vaudeville. Sitôt acquise la certitude que le tireur a quitté la pièce, je me précipite vers mon pote.
Le commissaire comprime de sa main gauche son poignet droit d'où le sang gicle dru.
— Ça va aller, Bernard ? m'inquiété-je.
— L'enculé ! Il m'a niqué la pogne…
Rassuré sur sa longévité potentielle, je ramasse son pistolet, ouvre la fenêtre et vise Nicolas qui cavale en direction d'un 4 × 4 japonais conçu pour faire le Paris-Dakar dans ton massif de bégonias.
Pas de pitié, je vais le flinguer aux pattes, ce petit gland. Je presse la détente, mais macache bono ! La balle du 357 a défoncé le magasin et le calibre de Roykeau affiche relâche. A l'instant présent, ce pétard m'est un peu moins utile qu'un pot de rillettes sans listeria.
Nicolas démarre son engin et se barre en virant la moitié des gravillons de la cour. Je sais que ce petit couillon n'ira pas loin, alors je m'occupe de mon collègue et appelle le SAMU. Puis je lance un avis d'interception contre le véhicule du fuyard.
J'ai à peine raccroché que le bigophone grésille. C'est Jacquemart-André qui rappelle suite à mon message.
— Tu as essayé de me joindre, San-A. Qu'est-ce que tu fous chez moi ?
Selon ma bonne vieille habitude, je réponds par une autre question.
— Ton coffre a été forcé, le soir de la rave-party ?
— C'est Nicolas qui t'a raconté ça ?
— Pourquoi n'as-tu pas porté plainte ?
Le père Godemiche n'étant pas la moitié d'un naveton cesse le petit jeu des questions sans réponses.
— Ma nièce assassinée dans la même nuit, j'ai pensé que les flics avaient mieux à faire que d'enquêter sur un cambriolage, surtout pour des peanuts…
— 500.000 francs, tu trouves que c'est des cacahuètes ?
Comprenant que j'en sais plus qu'il ne veut bien me le dire Jacquemart lâche du lest.
— Ecoute, Tonio… Tu ne travailles pas pour le ministère des finances. Tu ne vas pas me balancer aux polyvalents ? Alors à toi je peux l'avouer, ce pognon c'était des éconocroques qui avaient légèrement échappé au fisc…
Son ton est moins convaincant que celui d'un avocat défendant la liberté d'expression des femmes dans une république islamique. Je le contre aussitôt.
— Pas tant de salades, mon vieux. Je connais le turbin des agriculteurs d'aujourd'hui. Avec toutes les réglementations de Bruxelles, vous êtes dans l'impossibilité de détourner trois centimes. A moins que tu ne vendes ton maïs sur les marchés ?
Un long silence s'écoule avant que mon terlocuteur ne réplique.
— Tu veux que je te dise quoi ?
— La vérité. C'est-à-dire que tu as tout de suite compris que c'était ton fils qui avait engourdi le pognon.
— C'est vrai que j'y ai pensé, admet Godemiche father au bout de son portable.
J'enchaîne aussitôt.
— Il est à toi le 357 planqué dans ton Fichet ?
Cette fois, Jacquemart-André renifle la vraie daube.
— Oui, c'est à moi. Je le cachais dans un double-fond pour me défendre le jour où un zigoto m'obligerait à ouvrir mon coffre.
— Aujourd'hui, le zigoto, c'est moi.
Jacquemart pousse un rugissement.
— Nicolas n'a pas fait de connerie, au moins ?
— Non. Il a simplement tiré sur un commissaire de police.
Roykeau est à l'hosto, hémorragie endiguée. Certes, il n'est pas près de jouer un concerto à quatre mains, mais il pourra encore se pignoler de la main gauche.
La jugesse[19] Annick Hatouva a estimé que le comportement de Nicolas Godemiche prouvait sans doute sa culpabilité dans une affaire de deal. C'était de l'argent ou de la drogue qu'il avait embarqué. Mais cela ne constituait en aucun cas un élément susceptible de lui faire prononcer la libération d'Antoine.
Je lui ai remis mon mouchoir imbibé du sang de Nicolas en lui conseillant de le faire participer à la tombola génétique. J'ai ajouté qu'un jour ou l'autre ma bite rencontrerait sa chatte. Elle ne m'a pas démenti. Et je suis rentré sur Paris, le cœur meurtri, l'honneur bafoué, l'âme démantelée. Un être me manquait en cette circonstance. Le plus rustique d'entre tous.
Chapitre saucisse
(Petit hommage à Béru)
La rue des Bérurier est en plein émoi lorsque je me pointe : une camionnette de dépannage Darty garée en double file bloque la circulation.
Je planque mon Audi sur un berceau et me dirige pedibus vers l'immeuble du Gravos. Les chauffeurs klaxonnent, tempêtent, vectivent par les portières, tupèrent contre ces empêcheurs de rouler en cons. Un tomobiliste, lui infliger dix secondes de retard, c'est le pire outrage qu'il puisse subir. Ça le rend aussitôt voisin de l'hystérie. Plus rien ne compte que cette immobilisation forcée. Il en oublie sa tronche de rat crevé, les pellicules qui neigent sur son blazer, les perfidies de ses collaborateurs, les brimades de ses chefs, l'ombre de l'ANPE, son ulcère du duodénum, les ragnes interminables de sa mégère, l'explosion de la chaudière du chauffage central, ses économies investies en Euro-Tunnel, les préservatifs usagés découverts dans la chambre de sa gamine de douze ans, les bas jarretières qu'enfile son fils aîné pour sortir le soir et même, oui même, que sa sacro-sainte chignole doit passer la semaine prochaine au contrôle technique avec de fortes chances d'être recalée.