Afin de me témoigner ladite amitié, il m'attrape par le cou, mais dans le mouvement, sa bedaine entraîne la nappe en papier et je me prends la saucière d'harissa sur la braguette. Tu pourrais croire que je viens de violer un pensionnat de vierges certifiées conformes.
L'Ineffable se morfond en excuses, selon sa propre expression, et la serveuse s'empresse de m'embarquer vers les toilettes pour réparer l'outrage à mon bénouze, elle frotte avec tant d'énergie, la mignonne, que la séance de nettoyage se termine en levrette au-dessus de la cuvette des chiottes avec ablutions finales à grands coups de chasse d'eau. A présent, la fermeture Eclair de mon futal est enrichie de nouveaux motifs qui ne sont pas sans rappeler la course de l'escargot après une longue averse. Le romantisme de la situation ne t'aura pas échappé, j'espère.
Lorsque je le rejoins, Béru est dans tous ses Etretat (comme il se plaît à le dire), Mohamed, le patron du couscous'house, vient de lui apporter le téléphone sans fil de la Casbah et le Gros s'explique avec une Berthe déchaînée. La Baleine ne lui reproche pas les treize bistrots visités pour l'apéritif, mais d'avoir effectué ce parcours du combattant sans même la convier. Alexandre-Benoît rétorque qu'elle devait aller au cinéma avec Alfred, le coiffeur. Ce à quoi Berthe réplique qu'après une livraison Darty, on n'a plus besoin d'aller au cinoche. De bonne composition, Béru admet et s'excuse platement pour ce malentendu. N'empêche qu'il ne pige pas trop pourquoi Berthaga l'a traqué jusqu'en ces ultimes retranchements berbères.
C'est là, vieille pomme, que ton San-Antonio réintègre le devant de la scène. Figure-toi que le commissaire Roykeau a tenté de me joindre cent mille fois sur mon portable, mais mon Nokia, après vérification, est plus déchargé que le dernier facteur qui s'est pointé chez Berthe. Flic jusqu'au bout des ongles de sa main valide, Nanard a fini par obtenir mon bigophone de Saint-Cloud où on lui a conseillé d'essayer chez les Bérurier.
Big Pomme me tend le combiné car sa rombière veut me causer. La voix gluante de la Vorace s'insinue dans mes esgourdes.
— Je tenais à vous informer, commissaire, qu'aussitôt après votre départ, le petit maigre a retrouvé la forme et qu'il m'a limé le derche tant et si mieux que j'ai joui du cul. V'voyez c'que vous avez raté ?
— J'ose espérer que ce n'est pas pour me narrer vos orgasmes anaux que vous vouliez me parler, très chère Berthe ?
— Méchant ! susurre-t-elle. Tu sais bien que je suis toute à toi, de fond en comble, de la cave au grenier, du sol au plafond 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 392 jours par an ! C'est quand tu veux où tu veux…
— Qu'a dit le commissaire Roykeau ? m'impatienté-je.
— Que vous deviez le rejoindre de toute urgence à l'hôpital de Chartres. Chambre 69, je pouvais pas oublier un tel numéro.
— Merci.
— Je vais me toucher, là maintenant, tout d'suite, rien qu'en pensant à vous, Antoine.
— Lavez-vous les mains avant ! conseillé-je en raccrochant.
Dans la série scoumoune, mon Audi S3 bi-turbo mayonnaise que j'avais garée devant une porte casher (celle du rabbi du quartier), a été enlevée par la fourrière. Pas le temps d'aller la dédouaner chez les racketteurs de la maison Bourdille. On embarque donc à bord de la Citron de Béru, une DS 21 flamboyant neuve qui vient tout juste de remplacer sa Onze légère et légendaire.
Minuit carillonne lorsqu'on déboule à l'hosto de Chartres. La nuit y est tranquille. On ne déplore que quelques accidents de la circulation, un règlement de comptes entre beaux-frères de vin, la fracture du bassin d'un mec ayant sauté en parapente du dernier étage de son H.L.M. après avoir fumé les géraniums de sa voisine de palier. Le train-train, quoi.
Il faut montrer patte blanche pour arriver jusqu'à la piaule de Roykeau tant l'effervescence poulardine est vive en ce lieu réputé calme, paisible, mortel à l'occasion.
La paluche bandée du commissaire a triplé de volume et sans le goutte-à-goutte qui lui distille du sirop de bonheur, mon collègue jonglerait copieux. Il met quelques secondes à me reconnaître et s'attarde sur Gradubide.
— Salut, Bernard. Je te présente mon second, l'inspecteur Bérurier.
Roykeau vote au Gravos un regard admiratif.
— Alors c'est vous Queue d'âne ?
Alexandre rosit sous l'effet de la flatterie.
— Faut rien exagegérer… J'ai connu des ânes qui me dépassaient de quéques centimètres. Pas la majorité des bourricots, j' le con-fesse.
Je décide de recentrer le débat.
— C'est pour mesurer nos bites que tu nous as fait venir en pleine noye ?
Roykeau a l'œil luisant et le front perlé de sueur. M'est avis que pour l'instant l'infection mène deux à zéro contre les antibiotiques, mais on n'est qu'au début du match.
— Un nouveau crime, San-A ! souffle-t-il, exténué.
— Précise ! l'exhorté-je.
— Aussi horrible que celui de Mélanie.
Ses paroles me font un drôle d'effet. Un peu comme lorsque tu débarques en un lieu inconnu qui te semble étrangement familier.
Pour ne rien te cacher, je m'attendais à un truc de ce style. J'étais même certain que d'autres meurtres identiques à celui de la petite Godemiche allaient se produire incessamment sous peu. Tu sais pourquoi ? Parce que ce genre de crimes sordides sont toujours le fait de serial killers. Et par définition, un tueur en série ne frappe jamais qu'une seule fois.
— Raconte !
— Une jeune fille éventrée, ablation des organes, les seins lacérés, le même rituel, quoi !
— Où ça ?
— Dans un petit bois de la région. Pas très loin de la ferme du Pinson-Tournan où a eu lieu le premier meurtre. C'est le médecin de Bourg-Moilogne qui a découvert la fille. Le corps a été transporté à la gendarmerie de ce village. L'un de mes adjoints, le lieutenant Deport, se trouve encore sur place.
Mon âme est partagée entre deux sentiments. La détresse de n'avoir pu arrêter le coupable avant qu'il ne récidive et la joie à l'idée que ce nouvel assassinat innocente mon Antoine puisqu'il est au ballon.
Je souhaiterais l'opinion de Béru sur ce coup de théâtre, mais autant demander son avis à une platée de tripes à la mode de Caen. Le Goret s'est endormi sur le second lit, narines et sphincter béants, les unes et l'autre libérant le trop-plein de ses miasmes digestifs.
Je m'adresse donc à son voisin de grabat.
— Je vais m'occuper de cette nouvelle affaire, Bernard. Mais je compte sur toi pour demander au juge Hatouva la libération de mon fils dès les premières lueurs de l'aube.
— Ce ne sera pas la peine, marmonne Roykeau sans gaieté de cœur, Antoine s'est évadé hier en début d'après-midi.
Deuxième Partie
SUZIE
Chapitre sceptre
(où Antoine se révèle être le roi de l'évasion)
Petit retour en arrière de quelques heures…
Peu après le départ de son père du palais de justice, une fourgonnette de police vint prendre livraison d'Antoine pour le transférer à la prison de la rue des Lys.
Junior était abattu. Il refusait ce sort qui s'acharnait contre lui. Tout en descendant l'escalier de marbre, encadré, menotté, infamé[25], il réalisa que l'esprit san-antonien circulait dans ses veines en lieu et place d'un sang dont il reniait l'origine. Il repéra le seau et la serpillière abandonnés par une personne de ménage convoquée de toute urgence aux cagoinsses pour cause de melonite aiguë, et se prit volontairement les pinceaux dedans.
25
Mes pairs de l'Académie se tâtent encore pour accepter ce terme. Mais comme il n'y a pas grand-chose à tâter…