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Les pistes, les fausses pistes et les culs-de-sac s'entrecroisent avec opiniâtreté dans cette enquête, non ? Je m'y sens aussi à l'aise que le Minotaure dans le labyrinthe de Dédale. Mon moral est à peu près celui d'un mec qui poireaute depuis dix minutes devant la porte des chiottes d'un « trois étoiles Michelin », se demandant si sa gonzesse n'est pas en train de changer le filtre de sa Marlboro rouge, ce qui nuirait gravement à la santé de ses projets culiers.

Je quitte la guinde et lorsque je claque la portière, un petit rectangle de papelard danse comme un papillon dans la nuit. Je le chope avant qu'il n'atteigne le sol et le déchiffre. Il s'agit du reçu acquitté en carte bleue, attestant que Jacquemart-André a franchi le péage de Chartres hier soir à 19 h 48. Ce qui est conforme à ses déclarations et prouve qu'il est arrivé dans la région bien après les meurtres de Suzie et du Dr Albert Collot. Dont acte.

Plus morose que le jour où ta femme t'a crié « plus fort Lucien » alors que tu t'appelles Gilbert, je me dirige vers l'entrée du château. Je bute sur un objet que je ramasse. C'est un roller d'un genre très perfectionné. J'active le pas et regagne au plus vite le salon.

Mes zèbres en sont à « la pompe à merde », romantique ritournelle dont les paroles fusent d'un Godemiche à la limite du hors jeu :

« … Et pompons-la gaîment Et envoyons faire foutre ceux qui sont pas des frères Pompons la merde et pompons-la gaîment Et envoyons faire foutre ceux qui sont pas contents »

— T'es nul ! proteste Béru. La seule chanson qui vailliasse la peine qu'on s' fasse péter le lynx et toutes les cordes vocables, c'est les Matelassiers !

« Cardons, cardons, Nous sommes les matelassiers »

C'est le moment pour moi d'intervenir, car lorsque Bibendum attaque cette chanson, ça veut dire qu'il a dépassé la cote d'alerte.

Je pousse une beuglante de barreur d'aviron.

— Hé ! Ho !

Le tandem de poivrots me considère en papillotant de leurs paupières plus légères que des cormorans après le passage de l'Erica.

— C't' à quel sujet ? savonne Béru.

— De ça ! gueulé-je, en agitant le roller comme une pendule.

— Héhéhé ! Marrant ! fait Jacquemart.

— Pourquoi ?

— Hier soir, en rentrant… J'ai vu un jeune mec qui roulait sur des machins pareils. Mais il en avait deux !

— Comme moi ! rajoute l'Immonde, plus bourré que chez Bourré.

— A quel endroit ? demandé-je, irrité de l'intervention du Gros.

— Pas loin d'ici, précise Godemiche en s'efforçant au sérieux. Il fonçait presque aussi vite que moi.

— T'es sûr que t'as pas eu une hallucination collective pour toi tout seul ? s'étonne le Mastard.

— Non ! Il portait un sac à dos. Je me suis dit que ça devait être un bûcheron…

— Un bûcheron ?

— A cause des haches !

— Quelles haches ? insisté-je.

Jacquemart-André frictionne sa barbe naissante.

— Il me semble qu'il trimbalait des haches dans sa sacoche.

* * *

Le lendemain matin, un garago du coin est venu changer la batterie de la D.S. de Béru à la ferme du Pinson-Tournan et nous avons pu rallier le commissariat de Chartres.

En homme courageux, Roykeau avait déjà regagné son bureau. Sa main blessée ressemblait à un coussin de pianiste et sa mine affichait le hâle d'un Pierrot tuberculeux.

Lui et son adjoint Deport nous ont fait le point de l'enquête. Un seul des trois spermes trouvé dans le corps de Mélanie a pu être identifié. C'est celui de…

Mais laissons passer une page de publicité.

* * *

Je t'ai fait chier, là, hein ? Et pourtant, il ne t'a pas fallu plus de cinq secondes pour sauter d'un paragraphe à l'autre. Alors t'imagines à la télé quand tu dois t'appuyer la météo qui t'annonce de la chiasse pour le restant de tes jours, le tirage du loto dont t'as perdu le billet, le résultat d'un tiercé que t'as pas joué. Et la pub pour le parfum de la gonzesse qui vient de te plaquer.

Lis San-A ! Je suis de tout cœur et j'te fais pas cocu.

Le sperme ? C'est celui de Nicolas.

Copulation consentie ou viol ? Il faudra le démontrer !

Autre information : Suzie, elle, n'a pas été violée. On lui a simplement démoli le portrait, déchiqueté les nibards et sucré les légumes.

Un petit détail : les flics ont établi la preuve que mon fils n'avait pas quitté Chartres. Un cheminot l'a vu sauter du train pour Paris et gagner le centre ville.

Paquet cadeau : la vendeuse d'un magasin de sport affirme que mon Antoine lui a acheté une paire de rollers.

Elle est pas belle, la vie quand elle s'en mêle ?

Troisième partie

JULIETTE

(le retour et sa fin)

Chapitre veuf

(Histoire de donner le ton funeste de ce chapitre)

Juliette Blondeau, assise dans le noir, frissonna en voyant surgir sur l'écran le visage terrifiant de Scream.

Elle sentit une main lui frôler la cuisse et ne put réprimer un hoquet d'angoisse.

— N'aie pas peur, Juliette, chuchota une voix rassurante. C'est moi.

— Nicolas ! s'exclama la jeune fille, en se tournant vers son voisin.

— Chut ! Retrouve-moi aux toilettes.

— Mais… le film ?

— Tu as déjà vu le 1 et le 2. C'est toujours pareil… Un vieux copain, ou un cousin, qui s'affuble du masque. J'y vais. Je t'attends.

Il s'éloigna dans l'obscurité, ombre plus angoissante encore que le héros fantasmatique qui s'agitait sur la toile blanche. Juliette hésita un instant puis se leva à son tour et rejoignit Nicolas. Elle le trouva plus beau que jamais, fort de cette arrogance qu'elle prenait pour de l'assurance.

— Qu'est-ce que tu as au nez ? demanda la fille.

Nicolas sourit en caressant son sparadrap.

— Je me suis battu avec un flic.

Emerveillée, Juliette lui donna un baiser furtif sur la joue.

— Et tu t'es enfui ! J'ai lu ça dans la presse.

— Tu ne vas pas me dénoncer ?

— Jamais ! Mais comment tu m'as retrouvée ici, dans ce cinoche ?

— Je me suis mis en faction à Saint-Jean-Nivers, devant la ferme de tes parents. J'ai vu partir ta petite Saxo… C'était qui, le type que tu emmenais ?

— José, le commis à mon père.

— De ton père ! ne put s'empêcher de rectifier Nicolas. Tu couches avec lui ?

— Tu déconnes, c'est un Portugais !

— Tu sais que les Portugais se laissent pousser la moustache pour ressembler à leur mère ?

— Il n'a pas de moustache, répondit Juliette, réfractaire à l'humour.

— Je t'ai vue le déposer dans la banlieue de Nogent-le-Rotrou et je t'ai suivie jusqu'ici, poursuivit Nicolas.

— C'est quoi, ton problème ? demanda la gamine.

Nicolas embrassa Juliette avec fougue et avec la langue.

— Il faut que je me planque, dit-il en reprenant son souffle.

— Et tu comptes sur moi ?

— Tu es la seule personne au monde qui puisse m'aider.

Juliette était une fille ravissante, brune tendance « aux-burnes » comme dit Béru, avec des yeux noisette qui donnaient envie de rencontrer son écureuil. Elle avait tout juste dix-neuf ans. Et ne fêterait jamais ses vingt ans[29].

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29

Tu le sais déjà, si tu te souviens du début de ce livre somptueux.