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— Tu veux que je fasse quoi ? questionna-t-elle.

— J'ai abandonné ma voiture dans un parking. Tu vas m'emmener chez toi et me cacher dans ta ferme le temps que mes affaires s'arrangent, O.K. ?

— O.K. ! Viens, on va passer par l'issue de secours.

— Attends ! J'aimerais que tu me fasses une petite pipe, comme dans le bon vieux temps…

Nicolas obligea la fille à s'agenouiller.

— Regarde, le cadeau que j'ai pour toi…

— Elle est en forme, admit Juliette, mais on pourrait nous surprendre.

* * *

Martha avait préparé une blanquette de veau, sa spécialité. Juliette l'avait aidée à émincer les oignons et couper les carottes. Selon son habitude, Anatole était rentré tard, après avoir soigné les bêtes et accompli les rudes tâches qui étaient son lot quotidien. Avant de passer à table, il avala d'un trait un pastis presque sans eau et déboucha la bouteille de cidre qui accompagnerait son souper.

Juliette avait toujours su profiter de son statut de fille unique. Ses parents la couvaient avec plus de soins qu'un œuf de dinosaure. Elle leur rendait cette affection en les considérant comme des rescapés du paléolithique. Le conflit des générations n'est pas grave lorsqu'il s'échelonne sur des millénaires.

Après le repas, elle attendit qu'Anatole et Martha fussent couchés, que sa mère commençât à gémir (Blondeau ne badinait pas sur la bagatelle) pour retourner à la cuisine. Elle emplit une gamelle de blanquette et la couvrit de riz. En ajoutant une demi-baguette et un litre de rouge, Nicolas serait rassasié.

Juliette trottina jusqu'à la grange où elle avait installé son copain dans le plus grand secret. Elle fut surprise de ne point l'y trouver. Sans doute avait-il profité de la nuit tombante pour aller se dégourdir les jambes. Elle lui avait pourtant recommandé la plus grande prudence car son père bourlinguait dans la ferme à toute heure. Elle déposa la pitance sur un cageot et ressortit, tracassée. Elle fit quelques pas en direction de la colline, contourna la mare à purin, déclencha les grognements des cochons qui somnolaient dans les stalles de la porcherie. Elle s'apprêtait à rebrousser chemin lorsqu'un craquement dans son dos la fit sursauter.

Juliette se retourna en poussant un cri de surprise. Elle eut l'impression de se retrouver dans l'horrible scène du film qu'elle avait vu l'après-midi même.

— Arrête de déconner, Nico ! souffla-t-elle.

Elle n'eut pas le temps de préciser sa stupeur. Une douleur violente lui arracha un hurlement et une main puissante s'appliqua sur sa bouche tandis qu'un poignard l'éventrait.

* * *

— Juliette Blondeau, une gamine de dix-neuf ans, ablation des ovaires et de l'utérus, les seins lacérés… Toujours le même rituel.

— Où ça ? demandé-je à Roykeau.

— Dans le Perche, à Saint-Jean-Nivers, une petite commune proche de Nogent-le-Rotrou. Le père a découvert sa fille au petit matin, au bord de son champ.

— Des agriculteurs, aussi ?

— Oui, mais pas du même niveau que les Godemiche. Quelques vaches, des cochons, une basse-cour… la petite exploitation familiale.

— Je ramasse Béru et j'arrive, conclus-je avant de raccrocher.

Mes narines explosent lorsque je déboule chez le Gravos. On jurerait que la pompe à merde de sa chanson vient de dégazer dans les parages. Je me précipite à la fenêtre et l'ouvre en grand. Je m'apprête à vilipender le misérable, mais en constatant son abattement, je sursois à mon ire.

Ça ne va pas, Gros ?

— Pire encore !

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

Alexandre-Benoît largue une ultime louise, sans conviction.

— Mon patron, l' député…

— Tibère Landoffi ?

— Il est en taule. J' serai jamais payé pour mes cours. Et pourtant, j' répétais fort, crois-moi !

— Ah, ça ! admets-je en évitant de renifler.

— Va falloir que j' rempile chez les matuches, soupire le Mastard.

— Ça tombe bien, parce que j'ai besoin de toi !

* * *

C'est avec mon Audi, enfin ex-fourriérée, que nous regagnons la maison Parapluie de Nogent-le-Rotrou. Le commissaire Lémiche nous reçoit avec les égards dus à notre harangue. Sont également de la partouze Roykeau et sa paluche enrubannée, plus son adjoint Franco Deport. Ces messieurs ont effectué les premières constatations d'usage, mais ils m'ont habilement délégué le soin de diligenter l'enquête. Je leur en sais gré.

Pour la première fois de sa vie, l'immonde Béruroche, plein de vague à l'âne, s'excuse après avoir lâché une perlouze.

— 'mande pardon, j' récitais !

Très vite, on passe aux choses sérieuses. Lémiche débouche une bouteille de champ' qui piétinait dans le frigo et Deport nous fait un rapport circonstancié de la situation. Je vais te la faire brève, car je sais que tu dois aller tirer la blondasse rencontrée avant-hier dans le métro. Ne proteste pas, j'y étais. Je t'ai vu lui frôler les miches à l'occasion d'un freinage un peu brutal. Comme elle a eu l'air d'apprécier, tu lui as franchement carré un doigt dans l'oigne. Je ne t'en fais pas grief, mais ce n'est pas une raison pour ligoter mes bouquins à la va-vite.

En résumé : Juliette Blondeau a été massacrée, mais pas violée, idem la ravissante Suzie. Mélanie, elle, a connu plusieurs rapports sexuels la nuit de sa mort, cependant le viol n'est pas établi. Ces éléments nous incitent à penser que notre serial killer, même s'il effémine[30] ses victimes n'obéit pas à des pulsions sexuelles.

Autre élément d'importance, la Clio blanche d'Aimé, empruntée par Nicolas, a été retrouvée à Nogent-le-Rotrou, c'est-à-dire tout près du lieu de ce nouvel assassinat.

Quant au 4 × 4 de Nicolas, les flics de Saint-Quentin-en-Yvelines l'ont débusqué dans la cour d'une H.L.M. voisine du R.E.R.

Mes collègues se perdent en conjonctivite car je ne leur ai pas dit que selon toute vraisemblance c'était Antoine qui avait chouré la caisse japonaise dans la cour de la Vieille-Nave. Comme n'importe quel père lambda, je suis rassuré à l'idée que mon fils a certainement regagné la capitale et qu'il ne saurait être compromis dans le meurtre de la malheureuse Juliette.

Tu vas voir que j'ai tort de me réjouir.

* * *

La ferme des Blondeau est occupée par une escouade de képis lorsque nous débarquons. Un gradé nous salumilitarise d'importance.

— Maréchal des logis Dalors ! se présente-t-il.

Sa qualité de chef se lit sur sa moustache drue comme un balai de chiottes et dans son regard de fouine enfumée au fond d'un terrier.

Le bourdille nous escorte à travers le modeste domaine qui se compose de trois bâtiments disposés en U. Au centre un corps d'habitation à colombages colombinés par les pigeons, bâtisse d'un étage.

Sur la droite, un hangar encombré d'instruments aratoires divers et rouillés, de fourches, de bêches, de bidons et de toutes les vieilleries qu'on entasse au cours d'une vie agraire. Un tombereau est accroché à un tracteur américain qui devait être neuf le jour du débarquement d'Omaha Beach.

Sur la gauche, l'étable est flanquée d'une grange à foin. Non loin de là, une fosse a été creusée pour stocker le lisier qui constitue un excellent engrais et ne s'en cache pas au niveau olfactif. Je remarque que Béru écrase une larme.

— Tu repenses à ta jeunesse à Saint-Locdu-le-Vieux ? lui demandé-je.

— Non, c'est l'odeur du purin, gémit le Mastard. Ça m' rappelle mes leçons de pétomanie.

Suivant les pas du sergent chef Dalors, nous contournons la mare fécale et empruntons un chemin qui grimpe à l'assaut d'une agréable colline.

— C'est ici que le corps de la petite a été retrouvé, explique le moustachu à œil de fouine.

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30

Du verbe efféminer, contraire d'émasculer.