Je ne sais pas pourquoi je balance un truc pareil, mais ça jaillit de moi comme un foutre mal contrôlé.
— Que tu attendes que je t'aie ramené le vrai coupable.
— Et ça peut prendre longtemps ?
— Je n'en sais rien…
Il lit l'éperdumence[8] sur mon visage.
— Disons que je t'accorde… un certain temps.
— Merci. J'aurais quand même besoin de quelques renseignements complémentaires… Allons prendre un café !
Située sur la commune de Bourg-Moilogne, la ferme du Pinson-Tournan, c'est pas de la masure pour errémiste, crois-moi.
Un joyau de verdure posé au milieu de l'une des plaines les plus fertiles du monde. Je te la décris vite fait, des fois que ton F4 de nabab t'aurait monté à la tête.
Une interminable allée bordée de platanes, avec sur la gauche une pièce d'eau à peine moins vaste que le lac Léman, entourée de saules plus pleureurs qu'un congrès de veuves portugaises. En vous penchant sur la droite, vous verrez la piscine olympique, le pool-bar, le barbecue géant et les trois tennis.
Cette voie royale débouche sur une immense cour carrée encadrée de bâtiments agricoles de briques rouges et blondes impeccablement entretenus. Le centre de l'esplanade est occupé par un élégant pavillon octogonal datant du siècle dernier.
Une pluie glaciale de fin d'automne s'abat sur la contrée lorsque je me pointe. J'aperçois des ouvriers agricoles qui fument pour se réchauffer, alignés à l'abri d'un hangar comme les hirondelles sur un fil lorsqu'elles ont pigé qu'elles ne faisaient plus le printemps.
Je me gare au plus près de la bâtisse centrale, mais le temps de sortir de mon Audi et de me précipiter sous l'auvent, je me retrouve plus mouillé que la babasse de ta femme quand ton meilleur pote vient dîner à la maison. Je presse un bouton qui déclenche une sonnerie dans les tréfonds de la demeure. Un long moment s'écoule et mes fringues ruissellent encore davantage. Puis la porte d'entrée s'ouvre sur une agréable personne vêtue en soubrette de théâtre, robe noire et tablier blanc festonné de dentelle. La fille, plutôt jolie et rousse, a les pommettes empourprées, le souffle court et la mise chiffonnée de celles et de ceux que l'on disturbe à moins de deux minutes trente-cinq d'un orgasme annoncé.
— Bonjour monsieur…
— Je souhaiterais parler à Mme Godemiche.
— Madame ne quitte plus la chambre depuis le drame et ne reçoit personne, déclare la fille visiblement chagrinée de devoir m'éconduire.
— Pourriez-vous néanmoins l'informer que le commissaire San-Antonio désire lui parler ?
— La police ? Mais Madame a répondu à toutes les questions.
— Pas aux miennes ! Votre rousseur a déjà mis le feu à mon âme et à ma braguette, je rajoute, de mon ton le plus cajoleur, alors, soyez gentille, annoncez-moi.
Percutée de plein fouet en ses fondements intimes, elle s'évacue dans les entrailles de la cagna pour réapparaître quelques instants plus tard, la mine conciliatrice.
— Si vous voulez bien me suivre.
La chambre où je pénètre pourrait servir de suite royale à un émir du Pweit-Pweit, tant elle est luxueuse. Un lit à branlequin dans une spacieuse alcôve domine, depuis son estrade, un salon composé de trois canapés de velours frappé disposés en U avec, en lieu et place de la classique table basse, un aquarium où nageotent des poiscailles exotiques.
Sur le divan central, une femme d'une petite quarantaine d'années est allongée, drapée dans un déshabillé de soie qui aurait fait chialer de jalousie Gretta Bardot et Lauren Bancale. Une blonde commac, disait mon vieil Audiard pour décrire les gonzesses dotées de tous les avantages en nature. Telle se présente la maîtresse des lieux. Sans oublier ses immenses yeux verts de panthère dessinée par Walt Disney.
— Mes respects, madame Godemiche.
— Appelez-moi Mathilde, qu'elle rétorque en me tendant sa main à baiser. Mais vous êtes trempé. Suzie ! Prenez la veste du commissaire et mettez-la à sécher. Apportez-lui une serviette chaude pour qu'il s'essuie.
— Madame, je ne voudrais pas abuser, réponds-je-t-il, histoire de rester dans le ton Emmanuelle VI que prend la situation.
Mais déjà la bonniche me recouvre d'un drap de bain douillet et installe ma veste sur un serviteur muet face à un radiateur. Mission accomplie, elle s'évacue.
La maîtresse des lieux croise très haut ses longues jambes, me laissant entrevoir un triangle des bermudas frisotté et soyeux, plus délicat qu'une lingerie fine, fût-elle signée La Perla ou Chantal Thomass[9]. Il serait temps de reprendre la main, non ?
— Madame…
Elle m'interrompt :
— Mathilde. Pour vous, c'est Mathilde !
— Madame Mathilde, coupé-je la poire en deux, vous êtes la belle-mère de Mélanie ?
— En effet, cette pauvre petite n'a jamais connu sa mère. Mais je vous assure que sa mort me bouleverse comme si c'était ma propre fille.
— Je n'en doute pas. Quand êtes-vous devenue veuve de Léonard Godemiche ?
— Il y a trois ans. C'était un homme formidable.
— Je n'en doute pas davantage. Comment est-il mort ?
Je la bigle droit dans les mirettes car c'est toujours un bon test de poser une question dont on connaît la réponse. Elle ne cherche pas de faux-fuyant.
— Un ridicule accident de chasse durant une battue au sanglier. On n'a jamais identifié l'auteur de la balle perdue.
— La disparition brutale de son père a dû être un coup très dur pour Mélanie ?
Le regard de Mathilde devient vague. J'ai l'impression que quelques larmes sont responsables de ce flou. Son émotion ne semble pas feinte.
— Elle ne s'en est jamais remise. Disons qu'elle a pété les plombs. Ses études ont tourné court, elle a commencé à picoler et à se shooter…
— Son père lui avait laissé beaucoup d'argent ?
— La moitié des revenus de la ferme. Ça suffit pour mener la grande vie.
— Et maintenant ?…
Mathilde décroise à nouveau ses cannes fuselées, me permettant un complément d'information sur son deltaplane à moustaches.
— Maintenant, c'est moi la seule et unique propriétaire, si c'est ce que vous avez derrière la tête.
— Je n'ai rien derrière la tête balbutié-je en avalant ma salive avec difficulté, face à l'émouvant spectacle qui m'est offert.
— En revanche, dans votre pantalon, je vois se dessiner une impressionnante érection, commissaire.
La gode, c'est avec la chiasse et la gerbe les trucs les plus difficiles à contrôler. Mon bénouze ressemble à un chapiteau de cirque au moment où on va dresser le grand mât. Les boutons de ma braguette sont prêts à partir en rafale sous la pression. Pour faire exploser ma libido, la Mathilde écarte largement ses cuisses et s'entreprend d'un doigt mutin.
— Est-ce qu'une bonne pipe vous ferait plaisir, commissaire ?
Tu veux répondre quoi ? « Non merci Madame je suis en service » ? Ou bien : « Pardonnez-moi, mais j'ai jamais trompé ma femme » ? C'est pas le style du mec, t'en conviens ?
— Proposé par une aussi jolie bouche, un tel présent ne se refuse pas, madrigalé-je.
Je suppute alors que la mère Godemiche va quitter son canapé et venir s'agenouiller devant moi. Erreur. Elle tire sur un cordon sans cesser de s'astiquer le molossol et la jolie Suzie réapparaît, toujours aussi guillerette et disponible.
— Madame m'a appelée ?
— Suzie, voudriez-vous traiter M. le commissaire, s'il vous plaît ?
— Certainement, Madame.
La môme m'aère le Nestor avec une virtuosité de prestidigitateuse. J'ai à peine senti ses doigts sur mon grimpant que ses lèvres m'ont englouti jusqu'à la garde. Je ne peux réprimer un gloussement d'extase.