La dernière image représente le monstre en train de propulser les boules sur le tapis vert avec son pénis. Fin plaisante et qui laisse espérer de futures prouesses de la part de Grokomak auquel le metteur en seins permet enfin de retirer son masque pour que les téléspectateurs et trices puissent admirer son vrai visage de gladiateur.
Sur la musique finale, Geneviève dit :
— Voilà, je suis prête. Je vais m’appeler un taxi car ce con, s’il m’avait acheté une voiture, il l’avait mise à son nom !
Marika murmure :
— On pourrait avoir les coordonnées des producteurs avec qui il travaillait ?
La miss platinée s’approcha de la table basse où le téléphone décroché (la grande voulait avoir la paix) fait entendre sa sempiternelle musiquette métallique. Elle y cueille un répertoire à couverture de toile.
— Prenez son carnet, tout est là-dessus.
J’enfouille. Puis je questionne en désignant les cassettes :
— Vous emportez les chefs-d’œuvre du maître ?
— J’ai déjà pris celle dans laquelle je lui sers de partenaire : Culotte au vent. Ça me fera un souvenir. Je la passerai aux hommes avec lesquels je poursuivrai ma vie, histoire de leur stimuler le tempérament.
— En ce cas, vous permettez que je conserve Les grandes craquettes sous la Lune ?
Elle hausse les épaules et, avec distinction, reproduit avec sa bouche un bruit que Bérurier réussit totalement avec son anus.
Geneviève, je peux foutre le feu à l’appart, elle n’en a plus rien à semouler ! Une tranche de sa pauvre vie s’achève, une autre recommencera demain, avec un zigoto pêché n’importe où. Pour eux, l’existence, c’est tartine de merde et compagnie ! T’avances à tâtons, d’une queue l’autre, t’en lâches une pour emparer la suivante. Tu te poursuis dans les frelatures, les dérouillées, les menus plaisirs quotidiens. Le bonheur, c’est une troussée, une cigarette, Dynastie à la téloche, un gueuleton bien arrosé. Faut pas rêver trop fort, que sinon tu te réveilles et la réalité te réempare, dûment garce, salope en plein, grise comme tous les automnes de la vie bout à bout.
Oui, oui, je peux prendre. Et également la photo du gusman, sur la desserte, qui le montre en train de faire l’avantageux au côté d’une vedette passée de mode.
Ses valdoches sont bouclarès, ciao, Sergio ! Adieu, Polak au big mandrin ! Elle va aller voir ailleurs si elle s’y trouve, la fille Ripaton. Elle a dû dénicher le crapaud du Casanova et se le carrer dans le slip, voire entre les miches, pour pas qu’il s’enrhume…
On taille la route. Elle ferme la porte d’un coup sec, tourne la chiave, clic. Et la dépose chez la pipelette en partant. Son devoir est terminé. Un bahut diesel s’époumone devant la lourde. Galant, le driver lui laisse charger ses valdingues dans le coffiot. J’aide la môme, vu qu’elle parvient pas à débonder la malle arrière. Poum, salut !
— On peut savoir où vous allez, Geneviève ?
— Chez ma mère, à Vernouillet.
— Elle se nomme Ripaton, elle aussi ?
— Non : Peaumiche. Elle s’était remariée.
Je touche sa main froide comme une patte de canard sectionnée. Râpeuse pareil, flasque, palmée, à gerber !
— Je peux savoir pour quelle raison tu as voulu emporter cette horreur ? me demande Marika en désignant la cassette vidéo que je balance en marchant.
— Non, mon amour, tu ne peux pas le savoir pour l’excellente raison que je l’ignore moi-même. Ç’a été un réflexe inconditionné. Un tic de flic. Il m’a semblé qu’elle contenait une info ; et il me le semble encore. Je vais la visionner de nouveau au bureau jusqu’à ce que je trouve.
Elle se cramponne à mon bras vigoureux.
— Tu es un type somptueux, Antoine.
— Pourquoi me dis-tu cela ?
— Parce que je t’aime comme une folle. Avec toi, le temps passe autrement. On vit comme dans une espèce de film qui ne s’arrêterait jamais. Je regarde les gens et les choses à travers ton regard, et tout est différent ; tu es un prisme, comprends-tu. Un kaléidoscope où les déchets de fer-blanc prennent l’éclat du diamant.
Chère belle âme adorée ! Je la serre contre moi.
Et je l’étreins sur les bords de la Marne, qui ne sont plus ce qu’ils furent. Tu ne trouves pas que l’univers devient tout con depuis quelque temps ? Mesquin. Trop de pubes et de Kodak, trop d’H.L.M. et de touristes. On ne voyage plus : on se déplace. T’as l’Amazonie sur l’évier. Les mystères meurent à qui mieux mieux. On est en détention sur cette planète, bordel de merde ! Elle concentrationne à tout berzingue ! Piner, même, tire plus à conséquence. À quatorze ans, les filles sont déberlinguées. Se shooter, c’est ce qui leur reste d’aventure, les pauvrettes. On a remplacé les grands espaces par des joints, et les grandes passions par la blanche. Même de chanter ce grand malheur ne rime plus à rien. Ils ont essayé du cosmos, mais tout le monde s’en torche ! La lune, ils l’ont dans leur culotte, et la planète Mars ferait pas dix tickets d’entrée. Une grande blasure générale nous évite d’exister. On se confie au système ; on espère crever un jour ; on attend.
Il fait nuit lorsque nous regagnons l’agence. Une grande misère pèse sur les trois pièces où nous comptions fonctionner. Avec une telle entrée en lice, on n’est pas assuré de la réussite.
M. Blanc est là, en corps de chemise, se délectant du dernier France-Soir. Il paraît contrit.
— Tiens, noté-je, je te croyais en hibernation jusqu’à demain.
— Le grosso modo du Lion s’achève au coucher du soleil, répond l’Assombri.
— Donc, ça va mieux ?
— Je sais bien que vous trouvez nos croyances stupides, vous autres les Blanchâtres ; vous préférez vos sornettes à vous.
— Ne te rembrunis pas, surtout, m’empressé-je, un ton de plus et tu cesses d’être captable par les rayons « X ». Regarde plutôt avec moi ce divertissement d’alcôve.
Je branche la cassette et procède aux réglages nécessaires. Le film commence, avec son champ de blé dans la nuit, la vieille houri gambadeuse, l’arrivée de King-Kong.
Jérémie est outré.
— C’est à cela qu’on mesure l’atrophie de la race blanche, bougonne le Noirpiot. Faut vraiment être dégénéré jusqu’à l’os pour oser filmer de pareilles turpitudes. Je comprends pas que vous conserviez votre sentiment de supériorité en visionnant de telles aberrations ! Chaque corps humain est une parcelle de Dieu ; vous traînez le Créateur dans la fange, mon vieux ! L’amour est noble, en le transformant en spectacle dépravé, vous insultez l’espèce ! Vous êtes chiément chiés, si tu veux mon avis.
— Ta gueule, mon révérend ! Mate plutôt la chopine du gorille : c’est celle de feu M. le curé, celui qui a eu la tronche décollée pendant son prêche dans la chapelle des Lerat-Gondin.
Du coup, il la boucle, le Sénégalais. Ça devient une sorte de pièce à conviction, le zob du faux ecclésiastique, comprends-tu ?