« Pour le contrat, je prévois deux films par an. Avance de cent mille francs à la signature. Payables par traites échelonnées quatre-vingt-dix jours fin d’année. Votre cachet ? Vingt-cinq briques, mon petit vieux ! Je n’ergote pas. En participation. Intéressement de zéro un pour cent sur les bénéfices. La binoclarde va nous taper ça. Où est-elle, cette salope ? Mélaniiiie ! Cessez de vous caresser et prenez votre bloc ! Elle passe sa vie à se mayonnaiser le trésor. Faut dire qu’elle est orpheline. »
Je comprends que si je ne fais pas montre d’autorité, il continuera de dégoiser de la sorte jusqu’à l’an 2000, le charmant cinématographieur.
— Béru ! intimé-je, finis mademoiselle dans une autre pièce au lieu de te donner en spectacle devant Marika. Et vous, monsieur Bennaz, ayez la bonté de nous accorder quelques minutes de conversation, car c’est vous que nous venons auditionner.
Ça lui stratifie les muqueuses. Il fourbit ses lotos à l’huile de larmes.
— Moi !
— Vous ! Vous employez bien, de façon assez régulière, un acteur du nom de Serge Grokomak ?
— Si j’emploie Serge la Belle Verge ! Mais mon cher monsieur, c’est mon pensionnaire préféré. Membre plus qu’actif ! Trente-cinq centimètres, montre en main ! Naturellement, comparé à ce gros rigolo, c’est une demi-portion, mais dont j’ai fait mes choux gras jusqu’à présent !
À la manière dont il parle du mort, je devine qu’il n’est pas au courant de la tragédie de Louveciennes. Il vit dans son art comme le ver à soie dans son cocon, et les nouvelles du monde ne l’atteignent pas.
— Il y a peu, vous avez tourné un film somptueux, intitulé Les grandes craquettes sous la Lune, exact ?
— En effet.
— Dans cette production d’une rare qualité, figurait une personne d’un certain âge, maquillée en sorcière, que l’on pouvait apprécier dès la première séquence dans un champ de blé où elle se laissait caramboler sans trop d’embarras.
Il rit rétrospectivement :
— Ah ! la vieille salope qu’il y avait là ! Névrosée jusqu’à la moelle ! Elle aurait payé pour se faire enfoncer le donjon de Vincennes dans l’intime !
— Nous parlons bien de la même personne, c’est-à-dire de Mme Lerat-Gondin ?
— Je l’ignore, car elle a voulu conserver l’anonymat.
— Je conçois sa modestie.
— Elle a même tenu à verser sa participation en liquide ! En liquide, à notre époque ! Faut le faire, non ? Quand je vois les automobilistes du dimanche régler par chèque vingt balles d’essence !
— De quelle participation parlez-vous, maître ?
Le produc est tellement jacteur qu’il a déjà préparé sa salive de réponse, mais un signal d’alarme se déclenche soudain dans son carberluche.
— Attendez, attendez, fait-il soudain, vous ne m’avez pas dit qui vous étiez, au fait ! Pourquoi venir me poser ces questions !
Une clameur retentit sur la table des opérations où Sa Majesté vient d’en terminer avec sa partenaire d’un instant, chaussée à l’improviste avec la prestesse décidée du coq ayant jeté son dévolu sur une poulaille.
La môme prend un pied qui n’est pas celui de Cendrillon. Le foot géant, mon mec ! Celui de Berthe au grand pied !
Bennaz accorde un regard admiratif à cette fin d’étreinte. Il brandit son pouce, lequel eût pu ajouter en son temps à la félicité de la donzelle ; mais il est trop tard, à présent.
— Bravo, Champion, fait-il, nous reparlerons de votre contrat dans un instant.
Et, à moi :
— Alors ?
C’est Marika qui prend le relais. Avec son sourire ensorceleur et son merveilleux accent qui te courjute la grosse glande et ses satellites, elle bonnit comme quoi nous sommes une agence privée (ce qui est exact), agissant pour le compte d’un certain M. Lerat-Gondin (ce qui ne l’est pas moins). Où elle s’écarte un brin de la vérité, c’est quand elle annonce que Lerat-Gondin fait dresser un rapport quant aux activités extra-conjugales de son épouse. Mais il s’agit là d’un péché véniel qui est, me semble-t-il, prescrit par le décès des intéressés.
Les explications, le sourire, le regard limpide, l’accent danois, la bouche sensuelle de ma compagne rassurent le producteur.
— J’ai déjà eu affaire à un mari, l’an dernier. Grosse situation. Ce con visionnait l’une de mes productions chez sa maîtresse, un après-midi, et quelle n’a pas été sa stupeur de voir son épouse légitime en train de pomper six nœuds par les trous d’un paravent. L’effet était du reste saisissant, mon cher. Une idée à moi ; géniale ! Vous imaginez six gros pafs sortant d’un paravent chinois ? Surréaliste ! Beau ! Fellinien, avec en plus, un petit côté Bergman. Des bites sans corps ! Un rêve onirique ! Donc, sa femme s’activait à mort sur les six membres avec une dextérité de xylophoniste. Pour meubler les temps morts, elle se faisait sodomiser par un nain. Le nain est très prisé dans ma spécialité. J’en ai deux dans mon casting permanent. Plus petits que Toulouse-Lautrec et aussi bien pourvus : on dirait des cafetières ! Donc l’époux pique une crise, en plein début de coït ! Il se sauve avec son pantalon sous un bras et la cassette à la main. Une heure après, il était ici, tempêtant, injuriant ! Réclamant des dommages et intérêts ! Oui, mon cher, ils sont ainsi, les cocus, de nos jours : ils veulent monnayer les adultères que commettent leurs rombières au lieu de leur flanquer la dérouillée qu’elles méritent ! Ainsi donc, je vais avoir un second cornard sur les bras ? Qu’il vienne ! Je l’attends ! Vous avez vu la madone ? Soixante balais au bas mot ! La faire baiser n’est pas une atteinte aux mœurs, mais une œuvre de charité chrétienne. Elle est majeure, hein ? Et plutôt trois fois qu’une ! C’est elle qui a voulu à tout prix tourner.
— À propos de prix, ça lui a coûté combien ?
Il hausse les épaules.
— Une misère ! Je ne me souviens plus, dans les cinq bâtons, anciens naturellement, de quoi régler la maquilleuse qui a plâtré la gueule de cette gargouille gothique. Cela dit, elle a eu son succès, la mère. Les afficionados ont aimé. Sa vieille chatte déplumée, large comme un havresac, ça a amusé, excité aussi, quelque part. La nature humaine, si vous saviez… Un jour, j’écrirai tout ça et on me flanquera le Goncourt ! Vous comprenez, il faut, de temps à autre, créer le choc. Certes, ils veulent voir de la chair appétissante : du cul pommé de saison, du frifri en fleur, du clito frais comme un mollusque à Fécamp, des seins qui ne tiennent pas avec des injections de collodion, du bassin lisse comme un Stradivarius. Mais, de temps à autre, je leur file un électrochoc : une obèse, tenez, avec cent kilos de ventre par-dessus sa moulasse pour spéléologues. La monstrueuse ogresse qu’une bande d’intrépides attaquent comme les Grandes-Jorasses. Ou bien une contractuelle un peu tapée, l’uniforme est un must. Mais une Carabosse, comme votre vioque, là, ça assure aussi. Vous pouviez mettre les deux mains ouvertes entre ses cuisses ! La toison comme la barbe d’Ivan Rebroff le Terrible. J’adore Ivan Rebroff. Les voix de basse me picotent le fondement. Chaliapine pendant que je tire un coup, et je décroche la timbale en quatre allers et retours ! Vous n’avez pas vu Mes partouzes moscovites ? Non ? Vous avez tout raté. De la première à la dernière image, j’ai les chœurs de l’Armée Rouge : Le temps du muguet, l’Internationale, Les bateliers de la Volga. On jouit en pleurant. Point d’orgue : un solo de balalaïka par Youri Fépalov au moment où la gentille Natacha est empalée sur une bitte d’amarrage dans le port de Yalta. Vous voyez ça, vous l’imaginez ? Renoir, John Ford, Cukor, fume ! fume ! fume ! Un morceau d’anthologie ! Si vous avez un quart d’heure, je vous projette le passage. Non ? Ah ! vous êtes pressés ? Notez que je peux vous vendre la cassette. Je vous ferai la remise marchand.