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Mes meilleurs vœux à vous deux.

Charles

Les caractères sont aisés, légèrement penchés. Ils n’ont pas été tracés par une personne inculte, je dirais même : au contraire.

— Il s’agit probablement d’une farce d’un goût douteux, finis-je par laisser tomber.

— Vous pensez ? demande mon visiteur en ponctuant d’une moue sceptique.

— Avez-vous déjà reçu des envois de ce genre lors de vos précédents mariages ?

— Jamais.

— Vous connaissez ou avez connu un Charles ?

— En dehors du général De Gaulle que j’ai eu le privilège de rencontrer, aucun.

— Question incontournable, monsieur Lerat…

— Gondin !

— C’est cela : Lerat-Gondin ; vous connaissez-vous des ennemis ?

— Pas le moindre. J’ose dire que ma vie a été exemplaire.

— Vous pouvez me résumer votre curriculum ?

Il rengorge, enfle sa voix parasitaire :

— Bonne famille, les Lerat-Gondin.

— J’en suis convaincu.

— Pas de vraie fortune, mais des biens immobiliers transmis de père à fils. Mon père était dans l’administration coloniale : haut fonctionnaire. Sénégal, Côte-d’Ivoire, Dahomey ! Je suis né à Dakar. J’avais l’intention de reprendre le flambeau, mais une sale hépatite virale a fait capoter mon projet. Alors je suis rentré en métropole et me suis lancé dans le commerce des timbres-poste. Spécialiste des émissions d’outre-mer. Une activité modeste mais rentable. Je l’ai arrêtée il y a une dizaine d’années pour me retirer dans notre maison de famille de Louveciennes. Je me suis marié la cinquantaine passée, à une mienne cousine devenue veuve, que j’aimais en secret depuis toujours. Elle aussi de son côté, elle m’en fit le doux aveu. Depuis nous coulons une merveilleuse existence, la main dans la main, les yeux dans les yeux.

Un pleur naît ! Il le laisse se développer et se perdre dans la partie herbeuse du menton, c’est-à-dire dans la région des fanons.

— Vous le constatez, monsieur San-Antonio, il s’agit là d’une vie paisible, seulement marquée par des deuils familiaux, les conflits internationaux, quelques maladies sans gravité. Je ne comprends rien à cette menace ; mais j’ai peur. Le bonheur engendre la crainte. On redoute toujours de perdre ce qui vous comble. Voilà pourquoi je viens réclamer votre protection, puisque, de la protection, vous vendez !

Première fois que j’ai à discuter ce genre de problo.

Je dis :

— Monsieur Lerat-Gondin, si vous réclamez ma protection, c’est que vous vous estimez en danger. Or si vous vous croyez en danger, le moment est venu de vous confesser pleinement. Avez-vous commis, au cours de votre vie, une action susceptible de justifier la vindicte d’un homme ? Vous est-il arrivé de léser quelqu’un, de le cocufier, de le déshonorer, de lui infliger un préjudice moral ou physique ?

Il paraît réfléchir à plein temps. Son examen de conscience est long comme un contrôle fiscal chez un antiquaire.

Puis, après une période :

— Non, monsieur, en mon âme et conscience.

— Alors il s’agit bien d’une farce.

— Je l’espère, encore qu’elle soit l’équivalent d’une agression. Il n’empêche que je requiers votre assistance. Quels sont vos tarifs ?

— Pour cette question, vous devez passer dans le bureau voisin, au service comptabilité.

Ainsi en sommes-nous convenus, Marika et moi. L’action, c’est ma pomme ; le grisbi, c’est son turbin à elle.

Je promets au bonhomme d’être en sa demeure le lendemain aux aurores avec ma fine équipe pour une reconnaissance approfondie des lieux et la mise au point d’un dispositif de haute protection.

Avant de le quitter, je charge Jérémie Blanc de photocopier le message rédigé au dos de la photo.

Le vieux nœud branlant va se livrer aux ongles délicatement vernis de ma bien-aimée.

Ce que j’appellerai pudiquement « L’Affaire du Siècle » vient de commencer.

CHANT 2

C’est le genre de personnage que tu rêves d’assassiner à coups de ballon rouge pour que son agonie soit plus lente.

Elle est Carabosse à outrance, la mère Lerat-Gondin. Une goule pas possible ; de celles qui vont claper les cadavres dans les cimetières ! Crochue de partout : du pif, du menton, du front, des doigts, du cul. Dépeceuse par vocation, tu la sens ! Arracheuse d’entrailles (pour s’en faire des colliers de vahiné). Démone machiavélique, je la soupçonne phosphorescente, la nuit. Elle dégage une vilaine odeur d’outre-tombe : soufre et décomposition ! Y a des giclées de méchanceté à l’état brut qui lui sortent des orbites. Buveuse de fiel ! Ciguë ! L’horreur vivante ! La charognerie déambulatoire ! Dans sa belle robe blanche à traîne, elle a l’air d’une sorcière en vadrouille à la pleine lune. Elle fait funèbre, la mère ! Ses serres de rapace se crispent sur son bouquet de fleurs d’oranger.

Jamais vu pareil carnaval ! Fellini ? Zob ! T’as la gorge en vrille, le sang qui coagule dans tes tuyaux, les nerfs qu’effilochent. On se regarde, Béru, M. Blanc et mézigo. On doute ! On a peur ! On regrette d’être nés, tant tellement c’est trop trop ! Le grand amour au père Lerat-Gondin, il est chié, moi, je te le dis. T’as beau savoir que l’homme est incaptable, tu peux pas piger un accouplement avec cette gorgone. Tu conçois pas à quoi il peut correspondre. Elle serait mongolienne avec en sus un chancre mou, Ninette, à la rigueur t’admettrais qu’elle puisse susciter la passion. Mais là, si ardemment vénéneuse et néfaste, les bras t’en tombent ; t’as les testicules en gouttes d’huile et ta zézette, pour lui retrouver des vibrations avant-coureuses, faut la décongeler dans un four à micro-ondes, peut-être même la passer au chalumeau oxhydrique ?

L’époux, en redingue, futal rayé, gilet perle, lavallière de soie, il en crache comme un birbe du Jockey Club. Compassé, il fixe un gardénia à sa boutonnière, devant la grande glace du salon. Sa Juliette nous grince de faire gaffe à ses planchers briqués. Elle n’a pas de domestique pour fourbir son espèce de castel plus ou moins délabré, et c’est elle qui s’appuie les ménagères besognes.

Nous trois (Pinaud, grippé, n’a pu se joindre) sommes à pied d’œuvre depuis déjà deux plombes. Nous avons exploré la baraque dans son entier, et les moindres recoins du parc qui d’ailleurs n’est pas très vaste : six mille mètres cubes (en hauteur il leur appartient aussi) à tout briser. Dans une espèce de petite clairière cernée par une haie de buis, se dresse la chapelle minuscule où doit se dérouler la cérémonie religieuse.

À peine venions-nous de tout visiter que les protaganistes se sont pointés. L’équipe marieuse au complet : le maire (un gros chauve), le curé (un long maigre), l’harmoniumiste (un jeunot blafard) et les deux demoiselles d’honneur (les filles du « maire » aux minois ingrats dévastés par l’acné et dont l’une est légèrement hydrocéphale sur les bords !).

Ils sont allés se loquer dans une pièce à eux dévolue. Les fillettes ont passé des robes mousseuses, couleur abricot, avec des gros nœuds sur les miches. Le maire a ceint son écharpe tricolore, le curé sa soutane, son surplis, son étole. Le musico, lui, il a simplement pris sa partition dans une serviette de cuir râpé comme la peau d’un qui aurait du psoriasis.

Maintenant, c’est la période d’attente. Les Lerat-Gondin marchent nerveusement sur le grand tapis du grand salon.

— Je suis émue, dit Lucienne à Alphonse.

— Mon aimée ! bée-t-il en lui pressant la main.

Il ajoute :

— Dans une heure tout sera terminé et nous pourrons nous consacrer à notre bonheur.