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Elle est déjà au courant de tout, Marika.

CHANT 11

Il fait une nuit pour meurtre anglais, avec brume humide dans laquelle se diluent çà et là des lumières. Les bruits ont une résonance particulière, l’air poisseux te colle à la peau, puis aux bronches. La nature sent la feuille morte et la fumée prisonnière.

On avance à pas feutrés sur l’avenue conduisant chez les Lerat-Gondin. Par prudence, j’ai abandonné ma tire à quelques encablures. On va, Jérémie et moi, avec une trousse à outils sous le bras (celle de ma Maserati).

Mon compagnon dit :

— On est chiés, les deux, de prendre des risques pour la peau.

— Tu penses que c’est pour la peau, beau blond ?

Il réfléchit et murmure :

— Non.

— Eh bien, alors ?

— N’empêche qu’on joue les téméraires sans espérer grand-chose. Que pouvons-nous apprendre qui soit vraiment sûr : ils sont tous morts ! En gros, l’un des quatre a égorgé les trois autres, puis s’est donné la mort. C’est le Boléro de Ravel que nous interprétons. On est happés par l’entonnoir du tourbillon, Antoine. Tout ça s’est passé en plein grosso modo du Lion, ne l’oublions pas !

— Je l’oublie pas, fais-je sans rire.

On parvient à la grille. Suffit de la soulever un peu en la poussant pour l’empêcher de grincer. Le parc, c’est à lui seul un film d’épouvante. Des festons de brouillard pendouillent des hautes branches. Nos pas précautionneux font néanmoins éclater des brindilles. On se paie même le gazouillis d’une chouette ou d’un chat-huant. Manque plus qu’un fantôme en vadrouille, des cris de terreur et des lucioles vagabondes.

— Tu crois que Monlascart a laissé des mecs en planque ? chuchote M. Blanc.

— Pour quoi fiche ? On manque d’effectifs dans la Rousse, il va pas se priver d’un ou deux lardus pour surveiller une bicoque dont les occupants sont clamsés et qu’il a dûment explorée hier.

Nous voici devant la chapelle, sinistre sous la lune avec sa double porte saccagée à coups de hache par le Gravos. Le sang séché n’a pas été nettoyé et forme une mare noire sur le dallage. Il y en a partout : sur les murs, sur le petit autel et sur le perron.

On inspecte les lieux avec ma loupiote surperformante, d’une intensité de laser. J’imagine toutes ces carotides sectionnées d’où jaillissaient, comme de quatre sources, les flots rouges qui se rejoignaient, se mêlaient pour former cette énorme flaque.

— C’est le plus grand mystère de ma putain de carrière, balbutié-je. Je donnerais tes deux couilles pour comprendre le pourquoi du comment du chose…

— Et moi, je donnerais ta saloperie de bite de goret scatophage ! riposte le Schwartz mec.

Tout ça, gentiment, pour dire de se manifester car nous sommes aussi impressionnés l’un que l’autre par le lieu du crime crépi de sang séché. Quatre personnes ont trépassé céans, bousillées par un fou (ou une folle) survolté(e) par je ne sais quelle haine démoniaque.

— Come, baby !

Il me suit jusqu’à la vieille demeure. On s’approche de la lourde pour tutoyer les scellés. Dans le faisceau implacable de ma torche, je découvre qu’ils ont déjà été saccagés ; propre en ordre ! On les a scrafés avec un couteau ; c’est plein de brisures de cire à cacheter sur le perron, plus le morceau de cordonnet ayant uni très fugacement les deux battants.

— Il y a eu de la visite, note Jérémie.

— Et il y en a encore, ajouté-je dans un souffle.

Je dresse mon index pour solliciter les éventails à oiseaux-mouches du Noirpiot. Dans le silence de la maison, on perçoit, lointains, des coups sourds. Ceux-ci semblent provenir du sous-sol. Nous posons nos mocassins Jourdan et, en chaussettes, partons à la recherche de la cave. Généralement, ce genre d’endroit se situe sous les communs. Fectivement, il existe une porte dans le couloir menant à la cuisine, elle donne sur un roide escadrin de pierre. De la lumière filtre par le léger écartement, car elle est incomplètement close. Le bruit devient plus présent, puis cesse brusquement. J’écarte davantage l’huis. Au bas des degrés, un homme respire bruyamment car il vient de fournir un effort. D’un signe, j’intime à Jérémie l’ordre de dégainer. Moi-même, j’arrache l’ami Tu-Tues de son holster de cuir. Le holster est un élément de séduction vis-à-vis des femmes. Quand tu charges une friponne réticente, il suffit que tu ôtes ton paltingue, exhibant ainsi l’arme blottie sous ton bras gauche pour qu’elle cesse aussitôt d’ergoter. Cette espèce de fausse prothèse (si je puis dire) les impressionne.

Un julot sanglé et porteur d’un flingue à crosse noire se marginalise d’emblée. Elles peuvent plus laisser quimper l’occase de se respirer un guerrier. La soldatesque la fait mouiller, la femme. Tout ce qui peut l’évoquer provoque en elle une pulsion sexuelle.

Bon, c’est pas le moment.

Donc, nos flingues en main, nous nous hasardons dans l’escadrin. Au tournant d’icelui, on découvre la cave voûtée à l’ancienne, située plein nord, donc fraîchouillarde à souhait.

Lors, nous apercevons ceci : un pan de mur revêtu de claies en bois, croisillonnées pour recevoir des boutanches. Celles-ci sont nombreuses et variées. Dans une autre partie du local, se trouve une accumulation de caisses d’eau minérale pleines ou vides. Puis des étagères supportant des paquets géants de lessive, des boîtes de cire, des piles de savons et autres denrées ménagères. Sur l’une des caisses, un homme, en bras de chemise, est assis. Il transpire, la sueur pleut de lui, telle une averse de printemps.

Il est aux prises avec une bouteille de rouge, prélevée sur la réserve qui, si j’en crois mes yeux, serait du Gevrey-Chambertin. L’homme vient de la déboucher avec son couteau et porte le goulot à sa bouche. Il ferme les yeux et boit longuement. Il a des claquements de glotte. Du picrate dégouline de ses babines. L’homme en question, quelque chose me dit que tu l’as déjà deviné, n’est autre qu’Alexandre-Benoît Bérurier. À deux mètres de lui, se trouve un monticule de terre, flanqué de son corollaire : un trou.

— Après toi s’il en reste, Fleur d’Eponge ! fais-je en rengainant ma ferraille.

Sa Majesté dégoulote, nous virgule une œillade critique et se remet à biberonner. À croire qu’elle redoute que nous lui arrachions son flacon des mains. Encore un superbe effort d’athlète de la picole et la bouteille devient complètement verte avec une étiquette prestigieuse mais inutile. Il la dépose à terre et s’essuie le front, puis les lèvres d’un revers de manche. Un rot d’opéra, répercuté par l’acoustique de la cave le déleste d’un trop-plein de gaz.

— Salut, les pompelards ! nous lance-t-il. V’s’arrivevez après l’incendie, un’ fois qu’ la ferme a cramé !

Et de nous désigner le grand trou qu’il vient de confectionner.

Nous nous en approchons, et c’est pour constater que ce trou est en réalité une fosse.

Pas commune, puisqu’elle héberge un petit squelette habillé d’une robe blanche et portant une sorte de couronne. Au moment de son inhumation, on l’a enveloppé d’une espèce de toile goudronnée comme celle qui sert à étanchéifier une piscine ou une pièce d’eau. Le Gros a déplié cette enveloppe et le petit cadavre drapé de blanc ressort durement sur le linceul noir et luisant.

— La nièce ! s’exclame M. Blanc.

— Nièce mon cul, rectifie le Mammouth. Si t’aurais j’té un œil à leur arbre gynécologique, les Lerat-Gondin, tu saurerais qu’y n’ont pas d’ family, mec.