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Il tend la main vers les claies à bouteilles et nous demande :

— Du rouge, du blanc ? Rouge, non ? V’là un Pommard qu’a la couleur des yeux à ma Berthe.

Mais nous ne partageons pas sa soif. Béants de noire stupeur, comme l’écrit Paul Claudel dans « Les Pieds Nickelés en Vacances », Jérémie et moi demeurons figés au bord de cette tombe. J’essaie d’évoquer l’affreux destin de cette petite fille martyrisée jusqu’à la mort, que le couple infâme a enterrée dans sa cave après avoir répandu la nouvelle de son départ pour Bordeaux. Les misérables !

— Qu’est-ce qui t’a poussé à venir faire des fouilles ici ? demandé-je d’un ton blessé.

Tchof ! fait la bouteille débouchée.

— J’ai pas d’ verres et la flemme de monter en chercher, y a qu’à boire à la rigolade, déclare Béru en donnant l’exemple.

Ayant neutralisé la moitié de la dive, il répond enfin à ma question :

— J’t’ raconte ma journée, grand. Après que j’eusse eu signé un contrat av’c le produc, j’ai passé à la cabane annoncer la bonne nouvelle à Berthy, dont elle aussi tournera un rôle. Une babasse comme la sienne, c’s’rait malheureux d’y laisser dormir dans une culotte ! Rien qu’ sa cressonnière, déjà, elle mérite un détour. Quant au travail que j’ la sais capab’, y s’ront tous su’ l’ cul, au film !

« Chez moi, just’ment, y avait gala de trous de balle, av’c Samso-Nythe, la femme qu’ j’ai gagnée en Grolandie, Berthe et Alfred l’ coiffeur qu’est fermaga pour travaux. Ce con d’ merlan, il a beau t’êt’ chez les gens, faut qu’ c’est lui qui commande ! Un Rital, merde ! Et c’est des mets-toi comme ça, Berty ! Lève ta jambe droite qu’on voye la forêt viennoise ! Couche-toi su’ l’ dos de Maâme Berthe, Samso-Nythe, non, pas sur l’ ventr : su’ le dos ! Moi, au bout d’un moment, ça m’a pompe l’air ses dirigeries ; y s’ croive metteur en seins, Alfred ! S’prend pour l’ Robert Hossein de l’empaffade ! Bientôt y monterera des partouzes géantes au Palais des Sports, ce con.

« En moins d’ jouge, j’ prends le mordant et saute à pieds joints dans mon bénouze. Salut la coterie ! Bonne bourre, à mardi ! Une fois dehors, je monte dans ma charrette et je branche la radio, histoire de me calmer la nervouze. Et qu’entends-je-t-il, sur Radio Moquette ? Un espèce de minable qu’est en train d’ baver sur toi, Tonio. Tu m’connais. J’sors mon gyrophare dont j’ai conservé d’ la Poule et à tombereau ouvert je fonce sur la rue Tartemolle que se trouve c’te radio. Plus l’ gonzier en bavait sur ta pomme, plus j’astiquais l’ champignon. En ch’min j’ai dû emboutir une dizaine d’ bagnoles, plus l’ chien d’un aveugle.

« J’ai parvenu à la radio pile qu’il v’nait de larguer son venin, le connard. Un certain Fascimilien Foirade. Tu verrais l’artiss, mec ! Y doit prend’ sa douche dans un port’ pébroques, tell’ment il est minuscule et maigrelet d’ partout. J’ m’annonce, il ricanait encore av’c des technichiens du poste. J’y fais : « C’est vous dont j’ viens d’entend sur San-Tonio ? » « Moui, y m’répond, j’ai pas été par quat’ chemins, hein ? » Tout fiérot !

« Çu-là non plus, y n’ y va pas par quat’ ch’mins », je lui dis. Et je l’en tire un au bouc, mon pote, qui l’a raccourci l’ menton de cinq centimètres, montre en main !

« N’ensute j’l’ai sout’nu par sa crav’touze pour l’laisser s’allonger en douceur su’ la moquette. Puis j’ai parti dans un silence à tout casser. »

Je lui tends la main.

— Merci, chevalier ! Je sais qu’avec toi, mon honneur est entre de bons poings, mais continue à nous narrer, de grâce !

Il gorgeonne une lampée de Pommard 1982.

— Moi, ces déblateries à ton sujet, ça m’avait fait l’effet d’un mégot d’cigare dans le fion d’un bourrin d’course. J’peux pas t’dire qu’est-ce qui m’a pris. D’une traite j’ai v’nu ici. Un b’soin de savoir. Y a trop d’choses qu’on parvient pas à piger dans ce circus de la chapelle. J’m’ai dit qu’y fallait perquisitionner à tête r’posée. Alors, bon : j’m’pointe. Les scellés à Monlascart, t’auras vu c’qu’ j’en ai fait.

— J’ai vu.

— Je m’mets à tout passer au peigne fin. Jusqu’à soul’ver les tapis, bordel ! À crever les coussins du salon av’c une aiguille à tricoter, manière d’les sonder.

— D’accord : le grand ratissage d’hiver, coupé-je. Qu’en est-il résulté ?

— Des choses, répond le Mystérieux.

— Qui sont ?

— T’impatientes, mec ? rigole l’Enflure de Saint-Locdu-le-Vieux.

— Joue pas les Pinuche auquel il faut arracher chaque détail avec un tire-bouchon à air comprimé, Gros. Tu es un homme de caractère : direct et spontané. Alors vide ton sac à poubelle.

Il médite, avec dix kilogrammes de joues de chaque côté du visage et son regard d’épagneul fourbu venant de déposer au pied du chasseur la dernière bécasse flinguée dans la plaine.

— J’ai trouvé une cassette vidéo, mec. Les grandes craquettes sous la Lune, c’t-à-dire le film où qu’a tourné la vieille.

— Très intéressant ! exulté-je. Où se trouvait-elle ?

— À côté d’l’appareil.

— Ce qui prouve que Lerat-Gondin en a eu connaissance ?

— Probably, Sœur !

— Continue !

— Dans leur chambre, y a un s’crétaire en orme loupé comprenant une chiée d’tireroirs. J’les ai inventés.

— Qu’entends-tu pas inventés ?

Il réfléchit.

— Pardon, j’ai eu un tumlasuce languette, j’voulais dire inventairié : dedans, rien qui fusse bézef ! M’rappelant que tous ces meub’ ont des tireroirs secrets, j’ai cherché et trouvé.

— Tu as trouvé quoi, génial collaborateur ?

— Un paquet d’bafouilles d’amour, mon drôlet.

— Adressées à qui ?

— À la vieille ! Pour une tard’rie de guenon anguleuse, à la peau crêpée, elle avait du succès, faut conviendre ! Ces lettrouzes, ça vaut l’coup d’les lire ! Ell’ f’raient goder un poisson rouge ! Charogne, c’tait une nature, le gonzier qu’écrivait ça ! C’qu’y lu pratiquait à la duègne, faut avoir une bite d’acier pour le réaliser ! Tu verras. Et t’sais qui les avait signées, ces babilles ?

— Son époux ? hasardé-je.

— Non, mon pote, t’es à l’amende d’un gueuleton chez l’père Finfin, l’roi d’l’andouillette au vin blanc. Elles sont signées « Charles » !

Mon admiration pour le Gros enfle à vue d’œil. Bientôt, elle ne pourra plus tenir dans la cave. M. Blanc écoute en silence. Il enrage, mon Noirpiot, de ces succès béruréens. Faut dire qu’il a sérieusement dépoté, Babar. S’est montré poulardin d’élite ! En quelques heures, comment qu’il a balisé la piste, oh pardon ! Jérémie ressemble à une statue nègre dans le clair-obscur du sous-sol. Ce qu’il est beau, le bougre ! Un bronze de Mayol.

— Charles ! répété-je.

Charles ! Enfin lui ! Jusqu’à présent, c’était l’Arlésienne, ce mec. Un message de menace au dos d’une carte postale représentant une tête de squelette ! Et puis le voilà qui fait surface, tout à coup.

— Où sont ces lettres, Alexandre-Benoît ?

— Dans ma pockette, milorde, fait-il en désignant sa veste accrochée à un clou planté dans le mur.

— Je peux voir ?

— Elles sont à toi.

Je plonge ma dextre dans l’une des vagues surgonflées du vêtement et ça me produit un drôle d’effet, comme si je cherchais de la monnaie dans la poche marsupiale d’une dame kangourou négligée. Un contact animal, tu vois ? Y a tellement de tout là-dedans : trognon de sauciflard, capote anglaise plusieurs fois utilisée, mégots de cigares trop mâchés, tronçon de dentier brisé, bouts de crayons, papier cul plié menu après emploi, etc. Je sélectionne quatre lettres sur papier jaune maïs. Écriture penchée, pointue. Les enveloppes portent comme adresse « Poste Restante, Louveciennes ». C’est libellé au nom de Mme Lucienne-Eloïse Lerat-Gondin.