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Et alors, tu va voir comme je suis surpris : le cachet de la poste de départ est le même que celui de la poste d’arrivée : « Louveciennes ». Ce qui implique que ces bafouilles furent postées d’ici et que donc, l’expéditeur habitait la localité.

Je retire un double feuillet, le déplie.

Mon aimée, ma folie, ma vie,

Tel est l’attaque. Le reste s’en va dans les grands délires érotico-sentimentaux :

J’ai encore le visage ruisselant de ton indicible jouissance, ô ma régnante ! Et je refuse de le laver afin de conserver sur mes joues et mes lèvres le feu inoubliable de ton sexe savoureux.

Faut l’écrire, non ?

Mon regard caracole le long des phrases échevelées. Le mec qui a rédigé ce poulet, espère, il en tenait pour la dame ! Elle devait lui embraser les sens, Lucienne-Eloïse. L’essorer jusqu’à moelle. En sortant de ses bras, il avait plus de boutons, Charlot.

Ni à ses fringues ni sur la gueule !

Les quatre missives sont du même tonneau ! Épiques ! Le Cosaque du Gland est également un épistolier de première. Mme de Sévigné revue et corrigée par Sade. Avec des notes additives du Musset de Gamiani ! L’écrit avec du foutre, le Charles.

Je glisse les bafouilles dans ma poche à moi. Faudra examiner ça de plus près. Curieux qu’il lui écrive poste restante en habitant la même commune et en la tringlant à tout va. Mais enfin, chacun organise sa vie sexuelle comme il l’entend.

— Bon, dit le Gros patouillard qui vient de saigner la boutanche de Pommard, je peuve-t-il continuer ?

— Parce que tu as encore des historiettes plaisantes à nous raconter, Bonne Pomme ?

— Une dernière, mec. Quand j’ai passé au grenier (car j’ai tout exploré), j’ai trouvé un vieux bahut déglingué. D’dans, s’trouvait un grand carton ficelé. Moi, tu me sais ? Mon Opinel et claque ! j’ouv’. Que trouve-je-t-il dedans ? Des fringues de fillette, bien pliées et empilées. Des robes, des jeans, des culottes, des pullos verts, des chaussettes, des godasses, et n’en plus : une poupée. Pourquoi cela Mathilde filé un coup d’buis ? J’sais pas. Y a une sorte d’espèce d’angoisse qui m’a noué l’corgnolon, Sana. J’ai souv’nu c’te gamine qu’habitait ici et dont elle était partie. J’m’ai dit « Ça, Sandre, c’est tout son matériel d’existence, à c’t’ pauvrette. Si elle s’en s’rait allée, ell’ aurait emporté son barduche, la môme : sa poupée, ses crayons d’couleur, ses slips, son p’tit collier d’perlouzes bidon. »

« Brusqu’ment, la certitude me biche qu’é s’trouvait dans l’secteur, morte et enterrée, c’te p’tite mère. Alors bon, mégnasse pâteux, dare-dare, la cavouze ! Toujours là qu’les pégreleux qui surinent quéqu’un l’enterrent. Déhors, y z’ont pas confiance, biscotte les bestioles fouineuses qui peuvent s’mett’ à grattouiller l’sol. La cave, c’est plus fiable. Y veillent en d’sus, comprends-tu ? Y couvent l’cadavre. Alors bon, je dévale. J’examine. L’temps d’compter jusqu’à dix j’avais r’tapissé l’endroit. Sous des caisses et du chenil bricacabraqueux ! Y z’ont pas d’imaginance, ces croquants ! D’à partir qu’ils ont foutu trois salop’ries su’ un trou r’bouché, y croivent que c’est du gâteau, effacé à tout jamais. Alors j’ai creusé, et puis v’là. »

— Remarquable travail, Gros.

— Mercille.

— Plus efficace que toi, je ne vois qu’un président de la République, le jour où il démissionne. Franchement, tu nous éblouis ; pas vrai, monsieur Blanc, qu’il nous éblouit ?

La frite du Noirpiot ! Presque verte, comme les monnaies romaines en bronze.

— Sa trogne, oui, est éblouissante, articule-t-il à grand-peine.

Bérurier le couve d’un œil triomphant jusqu’à l’incontinence.

— Remontons, fais-je, prudemment.

Un odeur de décomposition, fétide, sucrée, envahit le local. La présence de ce petit cadavre me démoralise.

— Ça fait un pansement au cœur, d’voir ça, hein ? murmura Gradube.

On ne répond rien. On regagne la cuisine. À toutes fins utiles, le Mastar a biché deux boutanches dans les casiers. Il les tient pressées sur son cœur altier.

Nous voici dans le salon des Lerat-Gondin. On se laisse couler dans les fauteuils, exténués par l’émotion.

J’avise l’appareil téléphonique sur une table de verre et, avec les talons, fais reculer mon siège jusqu’à l’appareil. Je tire mon minuscule carnet où figurent des noms et des numéros bigophoniques.

— Tu veux bien me passer les lettres ? demande M. Blanc.

Je lui lance le paxif. Jérémie entreprend illico de les parcourir.

— Tu sais vraiment lire ou tu fais semblant ? questionne Mister Bonbonne.

Jérémie — ô miracle ! — reste impavide.

Mézigue, je compose un numéro. C’est une secrétaire ou assimilée qui me rétorque. Rogue, un poil zozotante. Je crois voir de qui il s’agit : une gonzesse blette, aux tifs faux-blonds-à-racines-grises, avec une poitrine de pigeonne ramière, un rouge à lèvres en forme de tréma cerise, et encore ses boucles d’oreilles de première communiante aux lobes.

— J’aimerais parler au docteur Malypanse, madame Aunissoit.

— C’est de la part ?

— De San-Antonio.

— Il me semblait bien reconnaître votre voix. Je vous le passe.

Pour t’affranchir : le docteur Malypanse est l’adjoint du médecin légiste. Un jeune gars frisé, rieur, qui passe sa vie à découper du cadavre comme ton louchébem des bestiaux défunts.

Il est tout content de m’entendre, ce gentil scalpeur.

— Ça me fait plaisir, commissaire. On m’a dit que vous aviez démissionné ?

— Affirmatif ! J’aurais néanmoins besoin de vous, Doc. Un petit boulot marginal, à titre officieux. Il s’agit du cadavre d’une fillette. Ça m’arrangerait vachement si vous acceptiez de venir jusqu’à Louveciennes. Je vous demande ça à titre purement privé et amical. Si ça vous chicane, dites-le-moi, ça ne m’empêchera pas de prier pour vous quand je fais mes dévotions.

Il pouffe.

— Au contraire, ça me fait plaisir de vous rendre service.

Merde ! Ça existe donc encore les chics types ? Je lui fournis les indications et je raccroche.

M. Blanc a disparu.

Béru a débouché un flacon de Richebourg ! Il se met bien, mon sac à vinasse.

Comme on ne boit pas au goulot un nectar de cette classe, je vais chercher des godets à la cuistance.

CHANT 12

En attendant la venue du docteur Malypanse, tu sais quoi ? On pique un somme, Bérurier et moi. Le vin qui embaume notre fatigue.

Nous allongeons nos échasses, croisons nos mains sur nos braguettes supeuplées et glissons dans un anéantissement décodant.

Un glissement ! Je soulève un bout de store : c’est Jérémie qui radine, tenant des papiers et une loupe de bureau. Il dépose son matériel sur la cheminée de marbre blanc, regarde sa montre et s’assied non loin de moi. Il a l’éternité pour lui, Six pions l’Africain. Le voici qui tire une lime à ongles de sa poche supérieure, et qui se fourbit les griffes. Je le contemple à loisir par la mince fente de mes paupières à peine décollées. Dis donc, il est loin de l’époque où sa mother pilait le manioc et où il grimpait aux cocotiers pour aller chercher sur place ses Bounty. Note qu’on n’est pas plus heureux manucuré qu’avec des pelles à feu en deuil ; peut-être même l’est-on moins !