Bon, alors là, je te place mon effet de romancier-mort-subite, le popular écrivaillon. La fin de chapitre qui te fait gligli sous les burnes.
— Aucune des quatre n’est morte de sa propre main, mon cher ami, répond le jeune toubib. Elles ont toutes été assassinées.
CHANT 13
J’ai passé des années sans savoir qu’il se prénommait Jean-Pierre, le gentil docteur Malypanse.
Maintenant qu’il m’a fait confiance, et que Sa Majesté lui a servi quatre grands godets de chablis, il m’est acquis pour tout de bon. L’homme, surtout l’honnête, s’il commet une entourloupe professionnelle au bénéfice de quelqu’un, il ne lui reste plus d’autres ressources que de se donner audit quelqu’un. Il en rajoute pour se justifier à ses yeux. Allègue l’esclavage de l’amitié. Et moi qui pige tout, je pige bien entendu ses affres et soubresauts de conscience, à ce pauvre biquet, tu parles ! Une psychologie comme la mienne, oh ! la la ! le père Freud, en comparaison, il était juste bon à psychanalyser des terrassiers bulgares. J’aurais dû faire psychiatre ! Ça débondait pas de ma salle d’attente. Comment que j’allais introspecter les bourgeoises du seizième ! Avec le médius sur le clito pour les aider à se concentrer, ces chéries ! Bien leur faire étaler leurs gentils problos métaphysico-sexuels. Les accoucher de leurs pulsions et impulsions, répulsions ; la lyre ! Les comment qu’elles se gnougnoutaient la praire, au pensionnat des Cuisses Ouvertes. Et les arnaques matrimoniales perpétrées avec les potes de leurs époux ; tout ça, tout bien, avec détails, confidences languides. Je me sens la vocation tardive, d’à force de côtoyer cons et connasses, je voudrais m’essayer à ces spéléologies spirituelles.
Mais je t’en reviens vite à Jean-Pierre Malypanse, conquis, te dis-je, et à ma botte. La fréquentation de ses macchabées lui a filé une nostalgie de la vraie vie bien assumée.
— Juan-Pedro, mon chérubin, lui dis-je, tu sais ce que tu pourrais encore faire pour moi ?
Non, il sait pas. Mais le bout de son pif remue et je comprends qu’il est prêt à le faire.
— Si tu voulais être à tout jamais mon ami d’enfance, tu téléphonerais à la Maison Pébroque. Tu réclamerais Chouravier, de l’Identité. Tu te ferais connaître et tu lui demanderais quelles empreintes figurent sur le manche du sabre.
— Il est tard, argue Malypanse.
— Pas suffisamment pour que Chouravier soit parti de sa base. Il a une tare, son épouse, et pas de défauts pour la compenser. Alors il fait des années supplémentaires au bureau.
De mémoire, je lui virgule le turlu du pauvre homme. Docile, Jean-Pierre va au bignoche et le compose. Il obtient l’homme que je lui ai indiqué, raconte qui il est, parle de ses examens à lui et explique que la blessure mortelle d’un des morts le chicane, qu’il y verrait plus clair s’il connaissait la nature des empreintes.
Le ton est franc, plaisant, direct. Le père Chouravier ne fait pas de giries. Du moment qu’on cause boulot, et que ça va retarder son retour chez mistress Sa Mégère, ça lui fleurit l’âme.
La converse dure un bon bout. Mon gentil doc pose des questions courtes, précises, des questions de pro.
— Vois-tu, murmure Jérémie, une chose m’apparaît : si nous voulons réussir dans notre nouveau job, nous devrons constituer une équipe occulte avec des auxiliaires de la P.J. Ce qui fait la force de la police, c’est son infrastructure, son organisation, la multiplicité de ses services. On ne peut rivaliser avec elle, sans elle…
Je contemple mon ami avec admiration.
— Ce que tu causes bien pour un…
— Pour un nègre ?
— Non, pour un ci-devant balayeur. Dire que tu aurais continué de promener de la pointe du balai des étrons sur les trottoirs, si nous ne nous étions pas rencontrés un beau jour. Expédier à l’égout des capotes anglaises farcies quand on possède ton intelligence et ta culture, quelle hérésie !
— Y avait mon emballage, mec ! Le boudin noir n’est pas un plat de fête, comme l’est le boudin blanc !
Il sourit et ça fait comme quand tu crèves un gros édredon rouge de grand-mère pour en retirer les plumes blanches.
Le doc vient de raccrocher. Il m’adresse une mimique déconfite.
— On n’a pas relevé d’empreintes sur le manche du yatagan, commissaire. Celui qui s’en est servi devait porter des gants.
Bédame ! Une seule personne portait des gants en peau de couille de suède, gris perle : Lerat-Gondin soi-même !
J’essaie d’imaginer la scène…
Le faux curé débite sa petite homélie de routine (Occupe-toi d’homélie !). Le marié porte le sabre dans la jambe gauche de son pantalon. En douce, il glisse la main sous son bénouze pour se saisir du manche. Le curé, qui est de connivence ( !), comprend et actionne la fermeture des portes. Alors l’époux dégaine sa rapière, prend un pas ou deux de recul, et tranche la gorge de sa moukère. Le raisin se met à pisser dru et s’écoule le long du voile. Sans attendre, Lerat-Gondin bondit en avant et coupe la corgnolette de Serge Grokomak.
Et puis ?
Qu’a fait Valentin Le Ossé, derrière son harmonium pendant cette double action ? Aussi rapide qu’elle ait été, il a bien eu le temps de réagir, que diantre ! Il se précipite ! Il frappe Lerat-Gondin par-derrière. Estourbi, l’homme lâche son sabre. Valentin le ramasse et lui tranche la gorge. Bon, jusque-là, ça joue ! Le puzzle s’emboîte pile. Mais ensuite, c’est le seau de goudron, Léon ! Ne reste plus de vivant que Le Ossé dans la chapelle.
— Vous avez encore besoin de moi, commissaire ?
— Non, mon fils, tu peux rentrer chez toi. Tu es marié ?
— Pas encore.
— T’as une greluse sur le feu ?
— Non plus. Quand la chair me taraude, je vais rendre visite à une amie de ma mère qui m’a déniaisé lorsque j’avais quinze ans, et à laquelle je suis resté fidèle !
Il avoue cela tranquillement, sans fausse pudeur.
— Je suis un scientifique, vous comprenez ? Le cul, c’est pas ma tasse de thé.
Il a un rire doux. Je devine qu’il est dingue de la copine à maman. Elle a dû le révéler, comme on dit. Alors il ne va pas chercher plus loin, Malypanse : ses macchabées, ses bouquins et l’embroque superbe de la dame mûre si maternelle et expérimentée, ça suffit à son bonheur.
Je lui dis qu’on ira se faire une bouffe dans la semaine. Ce soir, j’aurais bien aimé, mais décidément je suis trop envapé par cette affaire. Je veux la résoudre coûte que coûte. Elle mitonne, sera bientôt à point.
Il repart dans les froidures de décembre, le brave petit gars.
— À conserver précieusement, murmure M. Blanc.
— Tu parles !
Mais je suis à nouveau dans la chapelle par la pensée. Je reprends mon ciné en accéléré. Ça dandine façon Charlot. Lerat-Gondin sabrant sa vieille ! Oui. Et ensuite le faux prêtre. Admettons. Valentin qui se précipite et cogne sur la nuque du marié ? Pourquoi pas ? Avec quoi ? Ben, ses poings. C’était pas Hercule, mais quand la glaglate te biche, t’es capable de marcher rien qu’avec ta bite.
Il est fou de terreur, décolle le cigare du meurtrier (auquel pourtant il a remis le sabre paternel !). Je veux bien, mais « après » ? Puisque mon petit pote Jean-Pierre affirme « qu’aucun des quatre morts ne s’est suicidé ». S’il le dit, c’est qu’il en est certain, le doc. Dès lors, qu’imaginer de plausible ? Que l’une des deux victimes de Lerat-Gondin, sa femme ou le Polak, ne serait pas morte sur le coup et aurait eu la force de se saisir d’un couteau et de frapper Valentin ?