Y a que M. Blanc qui reste d’ébène. Puritain, le chéri. Hostile à ces dépravations mondaines. Allergique à cette hilarité malséante. Il regarde les photos du père Manissier, mains aux poches, nous disant merde avec son dos.
Le Dabe finit par exclamer :
— Seigneur, comme c’est bon de vous retrouver !
— On devrait les emmener avec nous au gala ! suggère Mlle Zouzou.
— Impossible, interjeté-je, nous sommes en civil et nous avons du travail.
— Au fait, réagit Achille, racontez-moi un peu tout ça, Antoine.
Je me crois revenu aux beaux jours d’avant. Le rapport ! C’était toujours un moment savoureux. Achille, yeux rivés aux miens, écoutant, assimilant, accaparant, pour qu’après ma disance, l’affaire soit devenue sienne. Il la répétait par bribes : les points forts. S’en drapait.
Je lui bonnis tout par le menu. La visite de Lerat-Gondin avec sa carte de menace signée Charles. Le faux mariage. Le quadruple drame, sanguinolent de partout ! Notre enquête privée qui nous a conduits chez Gaston Bézuquet, le faux maire ; puis chez Grokomak, le faux prêtre. La carrière dans le film hard de ce dernier, avec pour partenaire occasionnelle, mamie Lerat-Gondin. Ensuite notre visite chez Valentin Le Ossé où Bertrand Guesclin, sa pauvre petite veuve, pleurait toutes les larmes de son corps en écoutant ses enregistrements. Puis notre rencontre avec la maman qui nous a confirmé la disparition du yatagan.
Une auréole sombre marque la braguette d’Achille. Ça le fait mouiller à mort, l’Ancêtre ! Faut dire que je raconte bien. Il entrouvre parfois ses lèvres minces afin de les humidifier aussi de sa langue faite pour cacheter des messages galants.
Sa gonzesse, la Zouzou dernière parution, participe en émettant des interjections, des brins de mots. Elle dit « Par exemple ! », « Quelle horreur ! », « Se peut-il ? » car elle a de la conversation.
Je raconte la petite fille morte et ensevelie dans la cave. Je raconte les lettres d’amour rédigées par Lucienne Lerat-Gondin et signées Charles. Et puis je dis comme quoi le zigo à l’harmonium n’a pas eu la gargane sectionnée par le sabre, lui !
Et puis, il n’y a pas d’empreintes sur le manche du yatagan, ce qui indique qu’on les a effacées ou bien que le meurtrier portait des gants.
Là, Pépère place sa botte secrète :
— De qui tenez-vous ces précisions concernant les empreintes, San-Antonio ?
Dis, il vigile, le Dabe ! Faut pas le repasser à l’amidon, cezigo. Coincé, il est, le bel ex-commissaire de ses grosses deux !
Là, M. Blanc se retourne.
— J’ai demandé le compte rendu d’expertise en me faisant passer pour le médecin légiste ! dit-il.
Un qui côtoie l’asphyxie, c’est le Chenu ! Sa coupole se met à lancer des éclats lumineux comme un gyrophare.
— Vous ! Lui ! hargnit-il. Il se fait passer pour le légiste ! Un Noir ! Non, mais pourquoi pas pour moi, du temps qu’il y est ! Ça va pas, la tronche, Blanche-Neige ! Vous pédalez dans les flocons d’avoine, mon pote !
On écoute le dirlo, siphonnés par son langage. Il se plante devant Béru et lui présente son médius.
— Tirez-moi ce doigt, Gros !
Berlué complet, Alexandre-Benoît tire sur le finger. Achille balance alors un gros pet diplomatique, sec comme un coup de talon sur un parquet.
Il se claque les cuisses en voyant la stupeur de Bérurier, la nôtre…
— Elle est mélodieuse, cette perlouse, pas vrai, Béru ? pouffe-t-il. Et vous pouvez renifler, elle rougnotte pas comme les louises que vous lâchez, Gros !
Mlle Zouzou doit être accoutumée à ces incongruités car elle reste impénétrable (ce qui est dommage avec un châssis pareil !).
— Eh ben, ça alors, m’sieur l’dirluche, vous m’sciez ! clapote l’Entonnoir ! Qui m’eusse dit qu’un jour vous n’s’arrosereriez les tympans au mistral de fayots ! Comme quoi faut jamais désespérer !
Achille retrouve son sérieux.
— Vous me manquiez, tous les deux, assure-t-il. Sans vos pets, Bérurier, cette maison est devenue une nécropole, et sans vos actions d’éclat, San-Antonio, j’ai l’impression de filer du mauvais coton. Des idées de retraite anticipée me taraudent. Si je n’avais pas le sexe exquis de cette enfant à savourer, je me retirerais dans un monastère, très loin : au Tibet ou en Savoie. Alors, pour compenser, je vous imite, tous les deux. Si je vous disais que, deux fois la semaine, je prends des cours d’incongruité et deux autres fois encore des cours d’argomuche. Maintenant, je rote à volonté, constatez plutôt.
Il lâche un cri que seul pourrait émettre un animal hybride issu du croisement d’un tigre et d’une vache.
— Chouette, non ? Les loufes également, je les interprète sur commande.
Il lève la jambe droite et adopte l’attitude d’un lanceur de poids. Nouveau pet, moins marqué que le premier.
— Votre avis, Béru ?
L’expert prend un air doctoral :
— Y a du sentiment, y a même d’la force, m’sieur l’dirlo, ça, j’dis pas, moui : d’la force ; question des gaz vot’ turbo vous chicane pas ; mais ce que j’reprocherais, c’est l’ manque de moileux. Ça cogne trop sec, c’est pas v’louté, vous comprenez-t-il ? Un vrai beau pet, j’vais vous espliquer.
Il se soulève de son siège, se concentre, lève un doigt pour requérir l’attention générale et largue les amarres. Un vent venu d’ailleurs balaie le burlingue de Monlascart.
— V’sentez la différence, patron ? C’bruit-là, si on devrait l’écrire, on l’écrirerait presque qu’avec des « o ». V’v’lez savoir c’qui fait la différence ?
— Accouchez, mec !
— La nourriture, boss ! Vous bouffez pas assez gras. Vos louises, é sont pour ainsi dire farineuses. Les miennes, t’au contraire, baignent dans l’beurre. J’sais c’que vous allez m’dire : y a des risques pour l’calcif. On a parfois des surprises. On tire un’ pt’tite slave en rigolant et on s’retrouve assis su’ du v’lours ; mais quoi : faut savoir viv’ dangereusement, non ? Mais découragez-vous pas, surtout : c’t’en loufant qu’on d’vient pétomane. Y vous prend chérot, vot prof ?
— Cent cinquante francs de l’heure ! révèle Achille.
— Oh ! l’misérab’ ! On peut dire qu’y n’s’ennuille pas ! Moi, je vous en donnerai gratis, des cours, patron. Des vrais. C’t’escroc v’s’a-t-il s’lement emmené claper du cassoulet avant la feurste lessone ? Non ? Alors c’est pas un vrai pro, Chilou ! Il empaille ! Un homme comme vous, qu’a passé un d’mi-siècle à s’contenir les vents et marées et qui s’met en tête d’apprendre le lâcher de pets, y n’peut pas entreprend’ des études sérieuses sans gurgiter deux bonnes assiettées de flageolets, j’mets au défi. Dès d’main, j’vous prends en main et j’ferai d’vous un vrai bombardier, ma parole de donneur. On ira tortorer chez Finfin, vous trouveriez pas meilleur cassoulet sur la place de Paris. N’ensute, on vient dans vot’ bureau. Vous vous filez aux Japonais absents, et la séance démarre. Si j’aurais un bon conseil à vous donner : mettez pas un cal’çon blanc, biscotte les avatars possib’. D’ailleurs, j’ai jamais été partisan des slips blancs vu qu’vous avez beau prende toutes les précautions du globe, au bout d’huit jours y n’ ressemb’ plus à rien !
Pliés en douze, ils sont, Achille et sa donzelle. Et moi, franchement, je la trouve baroque, la vieille[6]. Voilà qu’on s’est quittés, le Dabe et nous, pleins de ressentiments et de fureur. Qu’on s’entre-répudiait à tout jamais. Ce soir, il arrive pour nous coincer, nous plonger le nez dans le caca ; avantageux, sûr de lui et dominateur. Mais on cause, on déconne, on rit. Et tout reprend comme par le passé.