— Il me revient que le bonhomme était affligé de la maladie de Parkinson, fais-je. Il tremblait comme un perdu.
— Et alors ?
— Cela ne doit pas aider au maniement du sabre.
— Qu’en savez-vous ? L’autre jour, je me trouvais en avion assis à côté d’un gonzier qui sucrait, San-Antonio. Au point qu’il ne parvenait pas à se verser du vin ; j’ai dû l’aider pour la sauvegarde de mon pantalon. Eh bien, pour boire, le bonhomme prenait son verre à deux mains et ne tremblait plus.
Mlle Zouzou lâche ma protubérance afin de partir à la conquête de la tirette de ma fermeture Éclair (phrase un peu lourde, pardon, mais va voir chez Robbe-Grillet si j’y suis !). L’ayant dénichée, elle l’abaisse, manière de me composer un chouette décolleté. La voici maintenant qui me tirlipote le Nestor à bout portant. Je pense fort à Marika et décide de conserver ma virginité.
— Ne faites pas ça ! lui chuchoté-je à l’oreille.
Elle décramponne mon manche de pioche mais c’est pour m’empoigner les frangines. Et moi, une dame qui me serre les couilles, même ce serait à l’Opéra, je peux pas résister. Vaincu par l’effet de surprise et saisi en traître, je laisse quimper.
Béru qui se tient de guingois, file un coup de saveur sur l’arrière et, grâce à un lampadaire qui passait par là, réalise la chose. Il coulisse la vitre et lance :
— Faites-vous pas d’ souci, braves gens : après vous s’il en reste !
Vingt minutes d’un peu plus tard, nous voici voilà devant l’humble pavillon des Bézuquet.
Curieux équipage que ce commando formé d’une dame en robe de soirée, d’un vieux bonze en smok, d’un Noir athlétique, d’un obèse hirsute et d’un Santonio en parfait ordre de marche. Le chauffeur profite de la décarrade générale pour aérer son sapin et y vaporiser un spray à base de fleur de citronnier : entre un Béru et un Noir, ses narines sont malmenées.
Au bout de la sente-jardin, la presque masure est obscure. Je sonne, mais personne ne vient déponner, et aucun cygne de vie ne se manifeste à l’intérieur.
— Ils ont dû z’été au cinoche, manière d’ changer les idées à ces gamines, émet le Mastar.
Pour la forme, je m’obstine encore à carillonner ; en vain.
Déconfits, nous sommes.
— Peut-être pourrions-nous attendre un peu ? suggère Jérémie.
Je consulte ma Pasha : elle dénonce dix heures vingt.
Mlle Zouzou dit :
— Vous savez que la porte n’est pas fermée à clé ?
Comme preuve, elle tourne le loquet et l’huis s’écarte docilement.
— Voilà qui n’est pas cathodique, assure Sa Majesté.
On s’entre-dévisage. Le Vieux me chuchote, d’un ton provocant :
— Eh bien, monsieur du privé ?
Coquinet, va ! Il consent à ce que je me mouille, mais lui tient à conserver le nez au chaud.
Bon, j’entre. Béru sur mes chausses. Et puis aussi Jérémie après un temps d’hésitation. Mlle Zouzou nous file le dur itou. Curieuse comme une belette. Y a que Chilou à piedegruer devant la porte.
J’actionne la luce. La cuisine est en désordre. On y trouve quatre couverts dressés. Il reste du frichti dans les assiettes. Des reliefs d’œufs au jambon, figés dans la graisse. Visiblement, le repas a été interrompu, et les occupants ont mis les adjas précipitamment. Pour lors, le mystère se fait violent, moi je trouve. T’imagines ces quatre personnages bâfrant leur humble tortore lorsque, brusquement, un incident extérieur les contraint à se débiner rapidos.
Une crème au chocolat en boîte a été préparée dans un plat à dessert et tourne en eau.
— Il s’est passé quelque chose dans cette bicoque, fait Jérémie.
— Rheus’ment qu’t’es laguche, mec. J’eusse jamais pensé à ça tout’ seul, ricane Bérurier.
Face à la cuistance, est le salon où nous fûmes reçus, avec le poste TV, le pauvre canapé râpé, le carillon Westminster, le grêle guéridon supportant un vase empli de fleurs artificielles recouvertes de poussière et de chiures de mouches.
Je le parcours du regard. Il y flotte un parfum délicat qui n’existait pas naguère.
Pourquoi ne parlons-nous pas ? Nous sommes comme intimidés par ces humbles lieux désertés. M. Blanc fait le tour de la pièce. Au moment où il contourne le canapé, il se penche et ramasse quelque chose qu’il se met à brandir comme un drapeau sans hampe. Il s’agit d’un « carré » Hermès, dans les teintes jaune et bleu, dont le motif représente une rose des vents.
Putain, mon palpitant me fait le coup de la fusée Ariane (celle qui a foiré). Il chute grand V dans mes profondeurs.
— C’est pas l’foulard à ta souris ? questionne Béru.
Oh ! que si. Je le sais d’autant plus mieux que c’est moi qui le lui ai offert, il y a trois jours.
— Elle l’a oublié quand c’est qu’vous êtes venus ? interroge le pot de vinasse.
Je m’efforce de mémoriser notre départ de la maisonnette.
Jérémie déclare :
— Elle ne portait pas ce foulard hier, mais aujourd’hui.
Et s’il le prétend aussi catégoriquement, c’est qu’il en est certain car sa mémoire visuelle est confondante, au Teinté.
Moi, j’avais déjà reconnu le parfum.
Je furète dans la taule, à la recherche du bigophone. Le découvre dans la cuistance, sur le vieux bahut de noyer hérité d’une grand-mère bressane. Fissa, j’appelle à la maison. M’man décroche au bout de peu.
— Oh ! mon grand ! Rentreras-tu pour dîner ? J’ai justement une épaule de mouton roulée et un gratin de macaroni…
— Non, m’man, je ne pense pas. Mais l’épaule froide avec une mayonnaise, c’est superbe. Quant au gratin, plus il est réchauffé meilleur il est. Est-ce que Marika est près de toi ?
— Non. Elle a passé la fin de l’après-midi avec moi. Elle écrivait des notes sur des feuilles de papier, les biffait pour en tracer d’autres. Et puis, sur le soir, elle m’a dit qu’elle sortait pour aller vérifier quelque chose et qu’elle en aurait pour deux heures à peine. Elle m’a demandé par où il fallait passer pour gagner Courbevoie depuis la maison. J’ai cherché sur mon guide Paris-Banlieue.
— Elle n’a rien ajouté d’autre ?
— Non. Elle semblait préoccupée. Simplement, elle a dit que si ce qu’elle croyait se confirmait, tu risquais d’avoir une bonne surprise en rentrant. Il n’y a rien de fâcheux, Antoine ?
— Non, non, m’man, ça baigne.
Pour dire de lui embellir le moral, car maintenant je lui ai flanqué la redoute, j’ajoute :
— Tu peux préparer ta mayonnaise tout de suite, des fois que nous aurions une dent creuse en rentrant.
Un bisou coulisseur, de ceux qui te chicanent les trompes d’Eustache et je raccroche.
— Les événements se précipitent, dirait-on ? remarque le Vieux qui m’observe et m’écoute depuis l’encadrement de la porte.
Je fais une grimace lourde de perplexité.
Chilou demande :
— Qui est Marika ?
Le Mastar éclaire sa lanterne.
— Mad’m’selle Euréka, c’est la plus bioutifoule frangine qu’Tonio aye jamais z’eue au bout de la queue, boss. Une Danemarkaise blonde, av’c des châsses couleur de belons bien fraîches. En comparaison d’cette déesse, vot’copine Zouzou, qu’est pourtant loin d’êt’ dégueuse, ressemb’ à un calandos de huit jours affalé dans une assiette.
« Un vieux salingue comme vous, vous la verreriez, vot’ chipolata s’mettrait à ressusciter comme la gare Saint-Lazare. C’te nière est tell’ment belle qu’é s’rait dans mon plumard, j’oserais même pas y toucher tant tell’ment j’craindrerais d’y défoncer l’trésor av’c mon féroce mandrin. Si vous sauriez le chou dont elle possède ! Et ce cran qu’elle a ! Intrépide, j’ajouterais. La chicorne, c’est son prunier mignon. Donnez-y un flingue et elle’t’vous cartonne un méchant comme ce s’rait une pie-panthère à la fête foraine. Et quant à ce qu’est du frifri, faut s’adresser à Santonio ! Ces panards giants qu’y s’prendent, les deux ! Vous vous croireriez à l’Opéra, Chilou ! J’défie un mec d’entend’ ça et d’pas avoir instantanément trois kilos d’bite dans son calbute. Les moments qu’passe c’t’apôtre, j’vous jure ! Et pourtant, quoi, merde, il est pas plus beau garçon qu’moi !