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Jérémie pousse un glapissement comme dans ses savanes, quand il vient de piéger un phacochère et qu’il alerte sa tribu.

— Seigneur ! hurle-t-il dans la face du Gravos, crois-tu que ce soit le moment de nous casser les pieds avec tes sornettes de demeuré ?

Le Massar se tait, son regard devient davantage sanguignolent.

— L’v’là qui m’appelle Seigneur, ce nègre de mes fesses ! Et qui gueule comme un puma. J’voudrais pas jouer l’oiseau d’mauvaise inauguration, mais un d’ces jours j’vas encore élargir l’omelette aux morilles qui lu sert de nez : y pourrera s’en faire une aile delta !

— Béru, soupiré-je. Marika est venue ici ce soir. Elle avait dû parvenir comme nous à des conclusions positives concernant Bézuquet et a voulu en avoir le cœur net. Seulement ce salaud de Bézuquet l’a enlevée, et il a foutu le camp avec elle et sa famille. Quand on sait que ce type a joué un rôle dans l’affaire la plus sanglante de cette décade, je tremble de frousse. Alors, sois gentil : respecte mes craintes, et si tu ne parviens pas à te taire, dis-le-moi franchement : je t’enfoncerai ton chapeau dans la gueule !

Mon air tragique, plus que mon ton courroucé le réduit au silence.

— Maintenant, fait Achille, allons interviewer les voisins ; mais inutile de nous y prendre en groupe : venez avec moi, Antoine, pendant ce temps les autres chercheront des indices. Compris ?

Il promène sur notre maigre assemblée un regard de chef. Tout le monde acquiesce. Mlle Zouzou se laisse tomber dans le canapé et croise ses jambes. À nouveau, nous jouissons d’une vue imprenable sur sa culotte de rêve.

CHANT 17

La plaque d’émail blanc est décorée de pensées. Et c’est écrit, en jolie anglaise un peu écaillée par les gnons du temps : « Villa Mon Rêve ». Plus, en tout petit « Mme et M. Grojoly ». Touchant.

L’heure commençant d’être avancée pour une visite, les occupants de la villa « Leur Rêve » mettent un bout d’inquiétude avant de venir chuchoter « Qui c’est ? » derrière la lourde.

— Police, réponds-je. Nous souhaiterions un renseignement.

— Montrez votre carte ! réplique M. Grojoly qui n’a pas envie de se faire suriner dans sa crèche par des farceurs.

Moi, une brème de police, finito ! J’ai un geste d’impuissance à l’intention du Vieux qui en profite pour ricaner : « Grand malin, va ! ». Mais lui non plus n’a pas de brémouze pro sur soi, tout de smokinge vêtu comme il est, le vieux nœud !

Il dit :

— Nous avons laissé nos cartes au bureau, mais vous pouvez ouvrir sans crainte, je suis le directeur de la police.

— Et moi, je suis le pape, répond M. Grojoly, lequel me paraît doué d’un esprit à l’étiage très moyen.

— Écoutez, monsieur Grojoly, interviens-je, nous allons nous placer devant la fenêtre de votre cuisine et ainsi vous pourrez constater que nous ne sommes pas des malandrins. Par ailleurs, vous avez la possibilité d’appeler le commissariat de Courbevoie pour réclamer aide et protection si nos physionomies ne suffisent pas à vous rassurer.

Nous nous écartons de la porte afin de nous planter face à la croisée. Une frime de méduse, dans les tons jaunasses vient s’insérer derrière les vitres. Notre apparence doit nous cautionner car l’huis ne tarde pas à s’ouvrir.

Ils sont deux, frileusement pressés l’un contre l’autre. Le mari tient un tisonnier à la main et la femme une bouteille de spray contenant un insecticide puissant.

Nous sourions au couple. Et pourtant, il est pas bandant ! Lui, il a la gueule comme un aquarium dont on n’a pas changé l’eau depuis quinze jours. C’est trouble, c’est glauque, et deux misérables poissons exotiques qui sont les yeux nous font face. Quant à mémère, elle a la frite de traviole, le cheveux rance, l’expression apeurée. Ces deux kroums ont l’air de deux verbes défectifs qui ne se conjuguent pas à la première personne.

Achille le Grand, Achille le Somptueux, prend l’initiative :

— Mes hommages, madame. Navré de devoir troubler votre respectable quiétude bourgeoise mais des événements importants nous y contraignent. Ils concernent vos voisins immédiats, les Bézuquet avec lesquels, si j’en juge par l’emplacement de vos deux maisons, vous êtes en contact permanent.

Le voilà parti dans la tartine sous emballage, Chilou. Le phrasé élégant. Le rond de mot. Les concordances. Nos deux éberlués s’apprivoisent lentement, comme se dégivre le pare-brise de ta tire capturé par le gel nocturne. Ils nous font entrer dans leur salon de retraités, là qu’ils se préparent doucettement à mourir en regardant la téloche et en comptant des gouttes de digitaline Nativelle. Répondent aux questions du Dabe. Impressionnés au plus haut point par le smok juteux. Les boutons de perlouze, le nœud pap’, les tartines vernies et, plus que tout, par la rosette dont le Vénérable ne se sépare jamais (il prendrait une génuflexion de poitrine, sinon, sans elle !). Elle lui tient chaud mieux qu’une canadienne de mouton. Le froid, c’est dans la tronche qu’il siège, oublie jamais, rarement dans les pieds.

Moui, en effet, ils connaissent bien les Bézuquet. La maman surtout, une femme bien méritante, veuve d’un employé des chemins de fer tué dans un accident. Y a du drame dans cette famille. Le fils et sa femme qui se fraisent à moto, la bru morte sur le coup ! Laissant une petite fille qui boitille un peu du cervelet. Le gars Gaston, si vous voudriez nos avis, messieurs : un bon à nibe ! Comédien raté. Bricoleur. Maille à partir de rien avec la Justice. Des conneries : chèques, la lyre… Un petit faisan à la manque ! Un sous-escroc à la godille. À ramasser des chaudes lances avec des putes (la maman qui leur a raconté). On attend le Sida pour bientôt. Ça lui pend au nœud, à ce saligaud. À force de viander des radasses pas comestibles, il décrochera le grelot, l’artiste !

Comment dites-vous, m’sieur le directeur ? Moui, il n’a qu’une fille : Marinette. Pas cuite, on vous répète. Ses notes à l’école, je vous dis pas ! Et encore elle rame dans une classe d’arriérés mentals ! Une autre gamine ? Effectivement, depuis quelques jours. Mais ils n’ont pas eu l’occasion de causer avec Mme Bézuquet, ces derniers temps, alors ils ignorent qui c’est-il. Moche à pleurer. Drocéphale, ils en jureraient ! Une tronche de saladier. La bouille ingrate.

On en arrive à ce soir. Là, ça se fait palpitant. Au moment qu’il va pour raconter, Grojoly, des cris nous parviennent de la maison voisine. Je cours ouvrir la fenêtre. Je perçois plus clairement des suppliques féminines. Me semble identifier l’organe de Mlle Zouzou :

— Arrêêête ! Pousse plus, je te dis ! Mais il est fou, ce mec ! Vous, le Noir, empêchez-le, bon Dieu !

Je ne perçois pas la réplique de Jérémie, mais elle ne doit pas abonder dans le sens souhaité par la camarade du Dabe.

Heureusement, voici l’organe (si je puis dire) du Mastar qui se fait apaisant :