Mais foin ! La peau des couilles n’est rien, comme le dit volontiers Mme Thatcher, seule importe celle de l’âme ! Me voici à la porte du salon. Jouant les soubrettes de comédie, je mate par le trou de la serrure. Dis : ils vont vite en besogne, les apôtres de l’Ange Rebelle. Déjà, Eloi Dutalion demande à Jérémie de lui remettre son pétard et le cher Noirpiot s’exécute, les yeux rivés à ceux de son terlocuteur. Quant à Satana, il parle à Béru. Lui chuchote des mots ou formules que je ne peux percevoir. Le Gravos paraît tout troublé, tout indécis comme si on venait de lui demander combien font 8 fois 9 ou quelle est la capitale du Portugal.
Du coup, Superman Antonio ouvre à la volée en hurlant :
— Stooooop !
Il tient son pote Tu-Tues pleine pogne, avec l’index déjà crispé sur la détente, laquelle est tellement sensible qu’elle décharge rien qu’à un attouchement !
Dutalion volte et me plombe. Et pas n’importe comment ! Il a dû suivre des cours chez Pigier, le grand vizir : fléchissement des cannes, les deux bras en avant, les mains jointes, autour de la crosse. On défouraille simultanément, lui et moi, ou presque. Et, tu l’as compris, grâce à cette vaste intelligence que tu cultives si admirablement à la lecture de mes zœuvres, le presque joue en ma faveur. Ma bastos traverse ses deux mains et fait éclater tout le cheese. La sienne qui partait, sur ces entrefaites, me miaule à l’oreille et va perforer une magnifique toile profane hyperréaliste que ça représente Sainte Génuflexion de poitrine en train de se laisser mettre par un bouc ! Le bouc morfle la praline dans l’œil et perd illico son expression méphistophélique.
Dutalion hurle comme la sortie des usines Renault au bon vieux temps que ces salauds d’ouvriers n’avaient pas encore de congés payés, que je te demande un peu à quoi ça leur sert : ils savent pas qu’en foutre. Les « Pensions Mimosas » sont pleines en août et ils se fraisent la gueule au volant de leur tire pas finie de douiller.
Ses deux menottes ressemblent à deux pivoines. Les pétaux en sont tout flétris et pendouillent en dégoulinant rouge.
Mon intervention a sauvé Béru in extremis. Juste au moment que sa raison dodelinait à son corps défendant ! Il se reprend et met un carabiné coup de boule dans la margoule à Satana. Malgré son chapeau, l’impact est violent. Le grand maître des Disciples de l’Ange Rebelle perd dans l’aventure son nez bourbonien ainsi que onze dents réputées de qualité supérieure qu’il crache sur le tapis.
Satisfait, Alexandre-Benoît ôte son couvre-chef, le décabosse du poing, le remet sur sa boîte à néant et, se tournant vers Gaston Bézuquet, anéanti, lui demande :
— On peut faire aussi qué’qu’chose pour toi, mec, du temps que j’y ai ?
« Non non ! » répond véhémentement l’interpellé, de la tête.
— Gêne-toi pas. T’aurais l’intention d’jouer les mariolles, y aura toujours un’ p’tite manchette amitieuse pour toi, mon pote. Du genre d’celle-là, par exemple.
Et il le foudroie d’un coup d’avant-bras dont lui seul a le secret depuis que le Bourreau de Béthune s’est retiré des rings.
Mais qu’est-ce qu’il fait, Satana, dis donc Doudou ? En prières ? Le dieu Lucifer, il implore ? Ou s’il cherche ses chailles trop hâtivement glaviotées sur le Shiraz à petits points ? Toujours est-il qu’il est assis sur ses talons, qu’il tient ses mains appliquées contre ses yeux et qu’il psalmodie des incantations dans une langue inconnue venue d’ailleurs. Je te jure qu’il prie, ce sagouin ! On dirait presque une mélopée car il y a une partie chantée. Le marteau-pilon du Gravos lui aurait-il déclaveté la pensarde ?
— Jérémie ! appelé-je.
Il a un sursaut, tourne la tête vers moi. Ses grands yeux jaunes traduisent une intense fatigue. Sa voix est rauque, épuisée :
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il me semble que je viens de rêver. Je me trouvais dans un grand jardin où des couples nus faisaient l’amour comme des bêtes…
— Un de ces deux suppôts du diable avait commencé de t’hypnotiser, expliqué-je.
— Ah ! oui ?
Et le Mastar d’enchérir :
— Tu parles d’un régal pour lui ! Un nègre, tu penses ! Des gens qui passent la nuit à tortiller du fion autour d’un feu en poussant des cris d’orfèvre ! Leur ciboulot, t’y rentres comme dans une pissotière.
Il se tait parce qu’il vient de voir survenir Marika et que c’est un spectacle qui fait froid dans le dos ! Elle est livide, ma chérie, ses grands yeux vert clair, égarés, lui bouffent toute la devanture ; sa lèvre supérieure est retroussée, achevant de donner à son radieux visage l’expression de la folie par ordinaire.
Elle tient dans ses mains l’engin dont nous menaçait le nabot, tout à l’heure, et que j’avais balancé par la fenêtre. Je suppose que Satana lui a ordonné mentalement d’aller le récupérer. Et la voici, menaçante, prête à l’utiliser contre nous. Le maître de la secte continue de psalmodier. Alors elle élève l’arme et la braque dans ma direction. Elle va me zinguer, c’est l’évidence même ! Moi, son amant superbe, moi, qui, pas plus tard que ce matin lui ai fait « la coupole en délire », « l’arc-en-ciel d’Orient », le « garde champêtre dévergondé », « le croque-monsieur géant », « la lance d’incendie », « la transe du sabre », « les chutes du Jambaise », « la pyramide gloutonne », « ce soir on décapote », « papa est en voyage d’affaires », « la souris de l’abbé Jouvence », « le trou du cannibale », « le samouraï s’amourache », « inutile de l’envelopper, c’est pour bouffer tout de suite » et, enfin, mon grand succès, deux fois médaille d’or au con court les pines de Bouffémont et prix d’honneur aux jeux de l’amour et du lézard de Bourg-la-Reine : « l’immatriculation rhodanienne ».
Pas plus tard que ce matin, te dis-je ! Pendant deux heures et douze minutes sans discontinuer ! Même que j’ai dû me vaseliner le Nestor après usage.
— Marika ! lancé-je dans un superbe cri vocalisateur qu’aucun baryton toulousain ne saurait reproduire.
Mais elle reste déterminée, farouche. Satana fait ses abracadabras éperdus. Et puis se tait. Un être d’élite, aux mérites indescriptibles, vient d’intervenir : Alexandre-Benoît Bérurier, rat d’égout de première classe, roi des cons, mais flic chevronné. Il a tout réalisé, le gros lardoche ! Tout ! Comme quoi c’était Satana qui commandait à Marika. Qu’elle était prisonnière de sa volonté, jouet électronique drivé à distance par cette émanation des Ténèbres !
Alors, lui, aux grands ormeaux les grands remèdes : il a pris une reculée d’élan et ajuste son shoot ! Ce drop, madoué ! Pleine tempe ! Ça craque comme les vieux sampans amarrés dans le port d’Hong Kong. Un bruit cassant et visqueux à la fois ! Satana se tait et s’étale sur le tapis, out ! Plus septembre, octobre, voire novembre ! Sa tronche est pétée comme une noix de coco tombée de l’Empire State Building. Elle raisine à flots et va-t’en ôter une tache pareille sur un persan de cette qualité, toi ! Un pote à moi, marchand de tapis, m’affirme qu’il faut laver à l’eau gazeuse. Du Perrier, si tu dégueulasses en France, de l’Héniez, si c’est en Suisse.
Marika joue à l’image fixe. Elle reste totalement immobile avec son arbalète de merde dans ses ravissantes mains. Je lui souris.
— Ça va, amour ?
L’engin de mort s’abaisse progressivement.
Ouf !
— Merci, Gros, soupiré-je.
Le Mastar hausse les épaules.
— Fallait disjoncter la centrale, explique-t-il. C’était l’aut’ faisan qui y injectionnait ses ordres !
Il se penche sur le maître des Disciples de l’Ange Rebelle.