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Marika passe un moment dans la pièce voisine. Je crois que c’est pour aller recharger son rouge à lèvres que je viens de malmener, mais en réalité elle est allée chercher deux feuillets qu’elle tient chacun dans une main pour les mieux examiner.

— Nous devrions faire le point, déclare-t-elle, ne pas nous abandonner aux déductions faciles. D’après le récit qui vient de m’être fait, vous êtes tous convaincus, et la police de même, que c’est le bonhomme Lerat-Gondin qui a fomenté et opéré la tuerie. Pour ma part, je n’en suis pas tellement sûre.

Elle dépose ses deux documents sur le coin de la table. L’un est la photocopie du message menaçant signé « Charles », l’autre est « l’ordre de mission » signé par notre client, car, en gens prudents, nous avons décidé de faire rédiger à toute personne requérant notre protection un mot écrit nous engageant à le faire, ce pour éviter des contestations ou ergotages postérieurs. Ainsi, le vieil Alphonse a-t-il tracé de sa main : « Je charge l’Agence d’assurer ma protection, ainsi que celle de ma femme et de mes hôtes pendant la journée du 10 novembre. »

— Les deux écritures sont foncièrement dissemblables, déclare ma radieuse Danoise. Il est donc certain que Lerat-Gondin n’était pas l’auteur du texte de menace.

« De plus, lui ayant parlé au moment des transactions financières, je suis intimement convaincue qu’il avait réellement peur. »

— En tout cas, c’est bien lui qui a fait poser le système de fermeture de la chapelle, dis-je ; je vois mal que celui-ci eût été installé à son insu.

— Cela prouve quoi ? objecte ma Merveilleuse. Qu’il avait à cœur de protéger cet oratoire qui, pour lui, représentait le sanctuaire où étaient célébrées chaque année ses amours romantiques. Vous semblez croire que ce fameux système était destiné à s’enfermer dans la chapelle, en réalité il la protégeait des intrusions extérieures.

Elle réfléchit et demande :

— Vous êtes bien certains qu’il n’existe pas quelque souterrain et trappe secrète permettant de s’y rendre sans être vu ?

— Impensable ! certifié-je. J’ai sondé le sol, les murs, l’autel. Tout est plein, scellé, de bon aloi. Après moi, la police a répété ces investigations pour parvenir à la même conclusion. C’est bien l’un des quatre occupants qui a trucidé les trois autres avant de se supprimer. Et si ce n’est pas Lerat-Gondin, c’est sa douce épouse : une abominable mégère dont la vue donnait froid dans le dos. Cela dit, peut-être que les autopsies révéleront lequel s’est lui-même tranché la gorge.

« Il y faut un sacré courage. Voyez-vous, ce que je ne pige pas, c’est la démarche du meurtrier. La folie n’explique pas tout. Quand on est décidé à assassiner quelqu’un et à se donner la mort ensuite, on n’a guère besoin d’une mise en scène à ce point élaborée. »

— Tu dis cela parce que tu es un homme qui possède toute sa raison, déclare Marika ; pour l’auteur du carnage, il s’agissait peut-être d’un sacrifice rituel. Il fallait que beaucoup de sang coule avant le sien.

Bérurier se verse un raccord de champ’, se le téléphone en P.C.V. Intimidé par Marika, il rote dans sa main au lieu de feuler aux savanes comme à l’accoutumée.

— Faut qu’on va se mett’ au turbin illico dare-dare presto, fait-il.

— Qu’entends-tu par là, Gros Sac ? laisse tomber M. Blanc.

— Tiens, v’là le Négus qui r’fait surface, gouaille Sa Majesté Ventripotente ; ce qu’j’entends, mon brin d’lilas blanc, c’est qu’il faut qu’on en susse un max, su’ les gaziers qui sont v’nus jouer leurs rôles à la fausse noce. T’t’à l’heure, j’ai déposé le glandu qu’a chiqué l’maire ainsi que ses fillettes à l’arrêt de l’autobus. N’avant d’les quitter, j’ai pris son adresse et y m’a r’filé légalement la celle du curé et la celle du musico.

Brave chien de chasse, va ! C’est un vrai flic, Alexandre-Benoît Bérurier. N’importe les circonstances, tu peux pas l’empêcher de policer, l’apôtre. Il a ça dans les veines.

— Tu espères quoi, des victimes ? grommelle Jérémie.

— Les victimes en sachent des fois aussi long qu’les coupab’, énonce mon pote.

— Même quand elles sont mortes ?

— Ça change quoi-ce ? Les morts ont un passé, kif les vivants. Ces trois julots qui, d’puis des années vient faire les zouaves chez les Lerat-Gondin, l’10 novemb’, ça m’intéresse c’qu’y pensaient d’eux.

— Tu crois que les deux égorgés te le diront ? s’obstine à le contrer Mister Bianco.

— Pas euss, p’t’êt’ leur famille. En tout cas, l’maire, moui, puisqu’y s’porte comme toise et moise.

— Alexandre-Benoît a tout à fait raison, appuie Marika.

— Merci, ma poule. Pour c’te vérité, j’vais d’mander au grand salingue d’vous faire la langue d’caméléon en spirale. Et des fois qu’il le l’aurait oubliée, j’sus à vote dispose pour une démonstration gratuite. D’à vous voir, je parille qu’une minouche comme la vôt’ c’est encore plus savoureux à déguster qu’les tartes tatin d’ma Berthe.

Marika rougit et sourit. Jérémie, outré, dit que la fréquentation des porcs de comice, non, sincèrement, il peut plus. Dans son bled, il a pris l’habitude des petits phacochères bruns si sympas. Il se lève, déclarant encore qu’il va retourner chez lui. Quand on entre dans le grosso modo du Lion et que votre épouse vous fait un wadou wahou comme celui de ce matin, il vaut mieux ne pas insister et rester chez soi pour une sieste à grand spectacle. Demain sera un autre jour. Tchao ! (ou ciao, au choix).

Il part en claquant la lourde.

Bérurier hausse les épaules.

— Vous voudriez qu’j’vais vous dire, m’m’zelle Euréka ? Ce qui y a d’con chez les nègres, c’est pas qu’y soyent noirs, c’est qu’y soyent légal’ment crépus du cerveau. On a beau les vacciner et y apprend’ à lire, y leur restera toujours des renvois d’missionnaires mal cuits !

CHANT 5

Le « maire » se nomme Gaston Bézuquet (comme dans du Daudet) et d’ailleurs il lui reste des relents d’ailloli dans l’accent. Au cinoche, il interprète des panouilles : un garde-chasse, un notaire, parfois un boulanger. Il a la quarantaine enveloppée, il est rougeaud, avec des yeux de pré-alcoolo, et sa calvitie doit le désespérer, si j’en juge aux ultimes tifs qu’il laisse pousser comme une natte de Hun, et colle ensuite sur son crâne plat, gâté par la cicatrice bourrelée de remords que lui a laissée un accident de moto.

Il vit chez sa maman, une dame qui ressemble à une retoucheuse de magasin de couture, de celles qui ont un peu de moustache et les lèvres constamment pincées à cause des épingles qu’elles gardent en bouche. L’air veuve malportante (l’estomac). La dame élève ses petites filles, leur maman s’étant fraisée lors du même accident qui fit éclater la coucourbe à Gaston.

Les quatre personnages, traumatisés par les cruels événements de la matinée, se tiennent blottis devant la télé pour essayer de chasser par des images de conserve les cadavres offerts à leur vue.

La vioque fulmine comme qui c’est honteux d’assener un tel spectacle à de délicieuses fillettes qui en resteront marquées pour la vie. Les nuits qu’elles se préparent, ces chères innocentes ! Et à qui réclamer des dommages et intérêts ? Il faudrait mettre l’affaire entre les mains d’un avocat.