« Bonjour.
« Salut ».
« Y’a longtemps qu’on s’est pas vu.
« Oui, hein ?
« Quoi de neuf ?
« Pff, comme d’habitude… etc, etc…
Et les messieurs contrôleurs vous tombent dessus ! L’air hargneux.
— Service des Épithètes, Clichés et Images ! (c’est le nom officiel) qu’ils annoncent, voulez-vous nous montrer votre livre en cours, s’il vous plaît !
J’en sais qu’ajoutent même pas « s’il vous plaît » ! Les v’là qui s’installent à votre burlingue, qui fument vos cigarettes et prennent l’heure à votre pendule. La manière qu’ils feuillettent votre ouvrage, mes pôvres !
« Dites donc, dites donc ! Qu’est-ce que c’est que ce travail ! Deux pages sans une comparaison ! Vous vous moquez du monde ! On va vous retirer votre licence d’écrivain ! Déjà que la fois d’avant vous avez eu un avertissement ! Vous serez rétrogradé, mon ami. On va vous flanquer au rewritinge ! Aux chiens écrasés, si ça ne suffit pas ! Voulez-vous que je vous dise ? Tel que c’est parti, vous finirez critique un jour !
On a beau pleurer, leur supplier qu’on fera bien attention, ils restent intraitables, les monstres ! Féroces ! Ah, il s’en est brisé des carrières, pour défaut de descriptions. Alors vous parlez que j’sus pas chaud, si près de l’Académie Concourt, pour risquer la mise à pied. Vous m’objecterez, à propos de pied, que, dans mon métier, beaucoup d’entre nous écrivent avec leurs panards. Je vous répondrai catégoriquement : « Peut-être, seulement moi je ne suis pas acrobate. »
Faites taire votre pudeur et laissez-moi vous poursuivre Marjorie et ses somptueuses milk boxes qui rendraient Mathieu figuratif s’il les voyait.
Compte tenu de sa nationalité et poussé par cette élégance morale qui a assuré ma réputation, je décide d’entreprendre miss Haklack suivant les préceptes hindous du Kama Lanzmann Soutra. N’est-ce point une délicate attention que ce discret rappel de la gloire coloniale de l’Empire Britannique, en un moment, où, soit dit entre nous et la colonne Nelson, j’ai d’autres chats à fouetter ? M’étant rendu compte de tactu que Marjorie, malgré son jeune âge, n’appartient pas à la catégorie des Mrigi, mais bien plutôt à celle des Vadawa, je me dis que je peux lui faire l’offrande de mon lingman sans crainte de lui passer le yoni à la moulinette. J’attaque pas des embrassements Jataveshtitaka et passe directement au shiraniraka, ce qui vous le savez est particulièrement culotté (toujours si j’ose parler ainsi). Ensuite de quoi, m’appuyant de plus en plus sur les méthodes de messieurs Vatsyayana et Jacques Lanzmann je lui prodigue tour à tour des baisers « nominaux », des baisers « palpitants » et des baisers « touchants ». Cette petite secrétaire d’embrassades ne sait plus auquel de ses seins me vouer. Elle roucoule, me lèche les mollets, les plis des bras, le creux sous les omoplates, et la peau du lobe. C’est de la jeune fille avantageuse capable très vite de vous faire partout, et à l’œil, ce que des dames vénales vous font à peu d’endroits et à des tarifs prohibitifs.
Elle représente ce que j’appelle une rencontre. C’est de la recrue de choix que l’on quitte recru de fatigue.
Lorsque nos ébats deviennent des transports (en commun) Marjorie retrouve un brin de lucidité pour coasser :
— Montons dans ma chambre, grand fou français, car j’ai peur que nous ne commettions quelques dégâts au salon, mère est une femme extrêmement soigneuse, une maniaque de l’ordre, et si une frange du tapis est seulement déplacée, elle en fera tout un drame.
Cette propose ne fait pas mon affaire, car j’entends surveiller à la fois le téléphone et l’entrée. Il est évidemment difficile de donner comme valables de pareilles raisons à une fille qu’on vient de placer sur sa rampe de lancement ; aussi biaisé-je avec élégance.
— Cher amour, lui susurré-je, l’instant est trop capiteux, la fête de nos sens trop complète pour que nous la troublions par un déplacement intempestif. Nous repeignerons les tapis, nettoierons les coussins au K2R, revisserons les pieds du canapé et proscrirons de ce merveilleux salon la moindre trace de notre étreinte, mais, pour l’amour de nous, restons-y afin de mener à bien notre ardente entreprise.
Jamais encore on ne lui avait tenu un langage dix-huitième siècle pur fruit, à la môme Marjorie ! Les rosbifs ont beau être conservateurs, ils sont passés quand même au dix-neuvième depuis que Wilson est aux commandes.
— En ce cas, fait-elle, étendons des journaux par terre et continuons à même le sol, ce sera réellement plus bestial, dearling !
Tandis qu’elle déploie des exemplaires périmés du Daily Telegraph sur le faux Chiraz de sa mère, ce qui me vaut une vue délirante sur la végétation de son yoni, voualatilpa que le téléphone sonne. Ma gente partenaire aurait un geste de dérobade si elle n’était déjà entièrement dérobée. En tout cas elle a un mouvement de recul, fort opportun, vu que je me trouve derrière elle, aussi braqué qu’une longue-vue sur la mer de glace. Un très court instant, je me demande si je ne vais pas laisser s’évertuer le bignou, car mes désirs sont des ordres, parfois. Mais mon sens du devoir étant plus fort que la faiblesse de ma chair, comme l’écrivait Pharma Coppée de la qu’a des mies franc 16, je prends sur moi de raccrocher ma frénésie pour décrocher le téléphone.
— J’écoute ? fais-je en continuant de battre la mesure à deux temps.
Il y a un silence à peine troublé par un point d’exclamation.
— Allô, yes ? renchéris-je.
Pour lors, une voix d’eunuque venant de rater son examen aux bourses retentit.
— Je… Excusez… J’ai dû me tromper de numéro…
— Qui demandez-vous ?
— Eh bien… heu, je ne suis pas chez Mr. Ted Haklack, naturellement ?
— Mon Dieu, si ! Qui est à l’appareil ?
— Je suis mister Poorchitterlings, le fiancé de Marjorie bredouille la pauvre voix en transit. Je… J’avais rendez-vous a… avec elle… et…
— Ah ! c’est vous, suborneur ! rugis-je à lui en défoncer l’aqueduc de Fallope. Eh bien, j’en ai appris de belles sur votre compte, espèce de dépravé ! Satyre ! Abject pourceau ! Je suis le révérend Dugenou, de la Jurade de Saint-Emilion, un vieil ami de Mr. Haklack. Je débarque chez lui au moment précis où sa malheureuse enfant, abusée par vos manœuvres démoniaques, s’apprêtait à vous rejoindre à la gare de King Cross ! Je ne sais ce qui me retient d’alerter la police, voyou !
« Avez-vous songé un instant à la vertu de cette petite ? À son honneur ? À son salut éternel ? Dites ? Heureusement que Marjorie est une nature d’élite chez qui le bien finit toujours par l’emporter ! Elle est en train de faire pénitence, poursuis-je, en louchant à m’en énucléer sur les seins merveilleux de la rosière, dressés comme pour assister à un défilé militaire (c’est moi qui fais le sergent-major, en l’occurrence, j’ai déjà la canne). Il ne vous reste plus que d’en faire autant, bougre de sombre résidu de la société ! Rentrez chez vous ! Rentrez en vous-même ! Rentrez n’importe où et implorez le Seigneur pour qu’il vous accorde la rémission de vos péchés et la force morale qui vous permettra de trouver le droit chemin ! Amen !