Aussi, prenant les devants, me précipité-je vers le vestibule. Je me trouve en présence de deux gars qui viennent de pénétrer in the house par leurs propres moyens, lesquels, vous le concevez, sont parfaitement illégaux. La surprise me fait perdre quatre dixièmes de seconde. C’est beaucoup trop. Un soufflant gros comme un cornet à piston est déjà pointé sur mon bide.
Je comprends pourquoi ma visiteuse avait trop chaud ! Elle désirait ouvrir la fenêtre pour réclamer l’assistance de son personnel qualifié.
Le zig qui me braque est soit un boxeur poids lourd en pleine forme, soit un ancien boxeur poids moyen qui s’est laissé aller : cent kilos de bidoche, dont encore une belle partie en muscles ; le visage plus cabossé qu’un cimetière de voitures ; les étiquettes épaisses comme les gants dont il se servait ; le nez dans le prolongement du front ; et des pommettes noircies comme l’âtre d’une cheminée de ferme ! Vous mordez le gentleman ? Son compagnon est de corpulence plus modeste. Le boxeur porte un chapeau melon qui achève d’assurer le succès de sa silhouette, tandis que l’autre se contente d’une grande gâpette à carreaux.
— Venez par ici ! dit la femme !
Je recule sous la poussée du pétard.
— Je crois qu’il y a quelqu’un d’autre dans la maison ! jette-t-elle à l’acolyte du super-champion, catégorie gin. L’interpellé acquiesce et s’esbigne après avoir puisé un charmant lance-prunes dans sa ceinture.
Pauvre Marjorie ! M’est avis qu’elle tournera sept fois sa langue dans la bouche de son fiancé avant de proposer une place dans sa chignole à des messieurs made in France, désormais.
— Comme je vous l’annonçais, c’est moi qui vais poser les questions, déclare la déesse aux yeux verts.
— Vous entendez ? me fait le boxeur en m’administrant de sa main libre un petit crochet à la pommette qui vous ferait prendre la Toussaint pour le dimanche de Pâques.
— J’entends.
— Alors répondez !
— Faut voir les questions, mon brave !
Il regarde sa patronne (car la femme aux yeux verts est visiblement la cheftaine de ces deux bougres).
— On dirait un Frenchy, hé ? dit-il. Cet accent !
— C’en est un en effet, fait la gonzesse en m’adressant une œillade dans laquelle plus prétentieux que moi découvrirait un éclat reconnaissant.
Le cabossé renifle son mépris.
— M’étonne pas, dit-il, fort en gueule et voilà tout !
Oh là là, que j’aime pas ! Son mépris non dissimulé me colle des frissons jusqu’entre les doigts de pieds.
Je biche le coup de sang. Quéque chose de similaire à naguère, lorsque j’ai sauté sur madame sans l’avoir prévenue de mes desseins par lettre recommandée. Moi, vous me connaissez ? Quand je vois rouge ça s’accompagne d’un courant à haute tension dans les muscles. Ma pensée débandade. Je me contrôle plus. D’un coup de saton dans sa main au pétard, je fais lâcher prise au vilain. Son arme lui gicle des doigts et va se baguenauder à travers ce qui restait baissé de la fenêtre. Glingg ! Un carreau décarre.
Le boxeur pousse un rugissement qui parodie à s’y méprendre le cri du mammouth auquel on vient de marcher sur la queue. Il fonce, j’esquive ! Ce gros bulldozer part à travers la pièce si chérie par Dame Haklack et s’en va catapulter le piano droit. L’instrument émet une solennelle protestation et tous les bibelots de porcelaine sevrée qui l’agrémentaient s’écroulent en un à qui mieux mieux de dominos placés en file de pingouins.
L’autre se retourne en barrissant, car il peut évoluer vocalement, et à sa guise, tout au long du quaternaire.
Moi, pas fou, je m’ai déjà emparé d’une vachement hideuse potiche chinoise un tout petit peu plus lourde qu’une 2 CV Citroën. Plaoff ! Je lui balance la pièce rare sur le portrait. Il en tombe à la renverse ; la potiche, quant à elle, choit sur le ventre et éclate. J’ai pas de regret. Je déteste l’art chinois. Good laque to you ! Ce style en pagode, plein de dragons fumants, m’a toujours donné des cauchemars, la nuit, et envie de vomir, le jour ! Les Chinetoques, à part Mao, ce qu’ils ont de formide, c’est leur cuistance. Leurs zœuvres d’art, je leur en fais cadeau ! Mais revenons à notre bélier. Vous pensez qu’un gus qui a servi de punching-ball pendant dix ans de sa vie n’est pas démoralisé par une potiche ! La preuve : il se relève déjà. Ce que j’avise dans son regard condamnerait à l’avortement une douzaine de dames crocodiles bien que ces bestioles soient ovipares. Fais très gaffe à tes os, mon San-A. chéri. Ce monsieur, une fois qu’il est bien en crosse, comme disait monseigneur Cauchon, doit faire autant de dégâts qu’un typhon en ordre de marche.
Vous verriez ce taureau furax ! Il se jette sur moi à bras rallongés. J’esquive un peu, mais pas tout ! Je chope des coups de boutoir monstres sur les épaules, dans la poitrine ! Il me tuméfie l’oreille. Me paralyse le bras gauche ! Me bloque un poumon. Nous allons au massacre, mes pauvres mignonnes. Quand je serai sorti de sa colère, je ressemblerai à la photo de première page de France-Soir, le lundi : celle qui illustre les accidents de la route du ouicande. Vaillamment, je m’empare d’une chaise au dossier incrusté de nacre. Au moment que Kid Ducon se repointe pour l’estocade finale, je lui assène un coup de Chippendale sur la coloquinte ! Blaoum ! Cette fois, ç’a été administré de main de maître. Sur la tempe. Et si énergiquement que le dossier de la chaise m’est resté dans la pogne. Il a perdu son melon. Sa boule rasée brille dans la lumière comme du cuivre rouge bien fourbi. Doit se la faire poncer à la peau de chamois tous les matins, le gros méchant. Un filet de sang lui dégouline sur la cafetronche. Il a l’air un tantisoit songeur. Mais sa résistance est colossale. En geignant il se met à quatre pattes ! On ne doit jamais frapper un ennemi qui n’est pas debout, enseigne-t-on dans les manuels de chevalerie. L’ennui, c’est que je me fous des manuels de chevalerie. J’sus de notre époque, les gars. Je me préoccupe only du résultat. Un coup de saton ! Ploum ! Dans le pif. Un tarin comme le sien ; c’est un truc qui n’a pas plus de relief qu’un œuf au plat, y se mouche au tampon buvard, Battling Lajoie ; de ce fait l’onde de choc lui parvient plus vite au cervelet. Il est K.O. Le triste, c’est qu’en repartant à la renverse il a entraîné une console supportant la pendule des Haklack. Faut reconnaître qu’il y a du déchet dans l’ameublement, les gars ! Un drôle de carnage ! Et bougez pas, it is not terminé, car le malotru à la gâpette radine comme un fou. Emporté par son élan, il me passe devant. Je le reçois d’une manchette à la nuque ! Ça se dérobe autour de lui. Pour qu’il blesse personne avec son feu je lui saisis le bras et le lui tords. Le revolver choit. Ce que constatant, j’expédie le petit cave à l’autre extrémité du salon. À présent c’est le mignon secrétaire d’acajou qui déguste ! L’autre veut s’y accrocher ? Mal lui en prend, le petit meuble s’abat sur lui, dans une cascade de menus tiroirs, de paperasses et de bibelots fragiles.
Terminé.
— Eh bien, voilà, dis-je, il ne reste plus qu’à faire un peu de ménage, ma chère amie.
Je regarde en direction du canapé. Tiens, la môme a disparu. Non, pourtant ! puisque je dérouille un gnon magistral à la base du crâne. Je me demande avec quoi elle m’a matraqué. Bast, évanouissons-nous toujours, je chercherai plus tard ! « Au Flanc du Vase ! » pouême d’Albert Samain. Une récitation d’école primaire. J’essaie de me la réciter. C’est duraille… « Ma fille, laisse-là ton aiguille et ta laine… Je rouvre les yeux. Une Marjorie en larmes me bassine la vitrine au moyen d’une énorme éponge. L’eau me dégouline dans les yeux.