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Je pousse un soupir qui ferait débaptiser le fameux pont vénitien si je l’exhalais devant témoins sur celui du Trocadéro.

— Sans doute est-il préférable que je vous dise tout, Mac…

Et je lui dis tout.

— La chambre 816 ne répond pas, sir.

— Et la 817 ?

— Non plus, sir.

Je raccroche.

— Elle a dû sortir, fais-je à Mac Heckett, je la rappellerai plus tard. London avait l’air de lui plaire beaucoup.

— Si elle connaissait Édimbourg, qu’est-ce qu’elle dirait ! trémole le superintendant en lissant ses tempes argentées. Ça, oui, c’est une ville, avec une âme.

J’évoque fugacement les grandes maisons de granit gris de la capitale écossaise, son château pour conte fantastique, perché en haut de la vieille ville, ses larges rues désertes dès sept heures du soir, et un frisson me dévale la raie médiane.

— À qui le dites-vous, Mac ! J’aurais les moyens, j’irais y passer toutes mes Toussaint !

Mon collègue sourcille légèrement, se demandant si je me fous de sa frime ou bien si j’exprime en termes qui lui échappent un peu mon ardente vénération pour Édimbourg.

Il décide de ne pas faire un sort à ma réflexion et appuie sur le bouton de l’interphone.

— Skinbuttock ! lance-t-il.

— Présent ! répond une voix glacée comme celle d’un installateur de chambres frigorifiques.

— J’ai quelque chose à vous communiquer à propos de votre Français à la gomme !

— L’escroc ?

— Désormais appelons-le l’assassin, si vous voulez bien, mon cher, voulez-vous passer me voir d’urgence ?

Il coupe le contact, sans attendre l’acquiescement de l’inspecteur et enfonce une nouvelle touche.

— Hello, Goodeye ?

— Je suis là, sir.

— Venez par ici, mon vieux !

Mac Heckett prend un polissoir dans son tiroir et s’astique les ongles avec l’énergie de Mme Barbe-Bleue fourbissant la clé fatale pour en faire disparaître une tache de sang dénonciatrice.

Il réfléchit en remuant les lèvres. Je regrette de ne pas être sourd-muet (c’est bien la première fois de ma vie) ce qui me permettrait de suivre le cheminement de sa pensée.

— Il ne nous échappera pas, se promet-il à lui-même. Seulement, avec son meurtre, plus question d’extradition. S’il détient toujours votre fichue enveloppe, il faudra que je vous la passe en douce, sans que mes collègues le sachent. Par conséquent, il convient que je prenne l’affaire en main afin d’être là au bon moment.

— C’est magnifique à vous, Mac ! remercié-je.

— Normal, dit-il laconiquement. Si par malheur je souffrais un jour de constipation et que j’eusse à vous demander du séné il est bon qu’auparavant je vous passe la rhubarbe !

On frappe.

— Vous ne connaissez pas le chef-inspecteur Skinbuttock, Sané ?

— Je n’ai pas ce grand honneur ! déclaré-je en m’efforçant de sourire à un long type glacial, au front bombé, au cheveu rare et roux collé sur la tête à l’aide d’une drogue qui pourrait après tout être de la seccotine. L’entrant porte des fringues de veuf inconsolable et sa bouche ressemble à une vieille cicatrice d’appendicite admirablement réussie. Il est aussi sympathique qu’une fosse d’aisance qui déborde mais il sent moins mauvais.

— Le dénommé Georges Huret a tué cet après-midi un vieux numismate de Grosvenor Square, dit Mac Heckett en soufflant sur ses ongles pour en stimuler la brillance.

— Je suis au courant de ce meurtre, déclare Skinbuttock, mais j’ignorais qui en était l’auteur. Selon un témoin, on aurait vu un bel homme à l’élégance tapageuse quitter précipitamment le magasin au bras d’une dame d’un certain âge.

— Je suis le bel homme à l’élégance tapageuse, monsieur le chef-inspecteur, et la dame d’un certain âge est ma mère.

En trois phrases concises, je l’affranchis. Pour la première fois depuis qu’il a passé le seuil du burlingue, quelque chose qui ressemble à un sourire circule sur sa gueule de raie pas fraîche.

— Il est navrant que vous l’avez laissé prendre ce taxi sans intervenir préalablement, murmure cette figure de fifre avariée.

Ce que j’aimerais lui bourrer mon lot de phalanges sur te pif, à ce pas-beau, madoué ! Ou mieux encore : le virguler par la fenêtre, bien que nous ne soyons qu’au troisième étage. Il doit jubiler intérieurement, le salingue, devant l’incapacité de la rousse françouaise !

— Hélas, riposté-je. Je suis aussi impardonnable que votre inspecteur de l’aéroport qui s’est laissé prendre à une ruse qui n’aurait pas dupé un nourrisson.

Le vague sourire devient plus vague encore.

Mac Heckett intervient pour ne pas laisser se décomposer nos relations.

— Je vais m’occuper de cette affaire personnellement, Skinbuttock, déclare-t-il. Dites à vos zèbres que s’ils appréhendent Huret, ils devront me l’amener sans lui poser une question, vu ?

Le Teigneux hoche la tête. Pas content de la mainmise de son supérieur sur l’enquête au moment où celle-ci, justement, prend de l’ampleur.

— Ce sera tout ! lâche mon ami.

L’haineux-volant quitte la pièce en serrant les fesses aussi fortement que les lèvres.

— Sans méchanceté, Mac, dis-je, votre archer me rappelle une crise de foie que j’ai beaucoup aimée.

— Il a une « bouille » à bloquer des roues de corbillard, se marre le Super. Ici, on l’appelle « Gestapo ».

On frappe derechef.

Cette fois, l’arrivant est un mec tout à fait sympa. Petit, une bouille à la Mickey Rooney, tellement criblée de taches de son que c’est sa peau normale qui a l’air d’éphélides vues en négatif. Il rit large. Ses dents sont plantées n’importe comment. Il est affublé d’une blouse qui devait être blanche à l’achat, mais qui ressemble maintenant à une combinaison de parachutiste.

— Salut, Sup’ ! lance-t-il familièrement.

Mac Heckett (tiens, au fait, j’aurais aussi bien pu l’appeler Mac Heusdress ou Mac Honery) me le désigne de son polissoir.

— Goodeye est un phénomène dans son genre, dit-il en guise de présentation. Il aurait pu faire du music-hall mais il a préféré la police, chacun ses goûts, non ? Voulez-vous lui décrire le trio qui vous a molesté dans la maison de miss Haklack, Sané ?

Je me lance dans une description détaillée de la fille, du boxeur et du crevard à casquette. Pendant que j’exprime, le dénommé Goodeye reste adossé au bureau de mon ami. Il a la tête inclinée et se pince les yeux entre le pouce et l’index après avoir pris la sage précaution de baisser ses paupières. Il écoute dans un recueillement absolu de tout son être. Lorsque je me tais, il se détend, frotte d’un poing d’enfant qu’on réveille trop tôt son regard rigolard et récite :

— Paméla Morton ; Johny Pigekedall, dit Petit-Bébé ; et Dudly Fox. Tous trois appartiennent à l’Agence O’Stbitt, Tottenham Court Road, encore que les deux hommes n’y collaborent qu’à titre d’extras. En réalité, Petit-Bébé et son copain Dudly sont deux demi-sels que l’Agence O’Stbitt engage dans des cas particuliers, lorsqu’on craint un coup dur. Par contre, Paméla Morton est l’âme de la maison. On la dit fiancée à O’Stbitt, il est plus probable qu’elle est sa maîtresse. Mac Heckett (j’aurais également pu l’appeler Mac Harry Denther, ou Mac Harrott) rit de ma stupeur.

— N’est-il pas inouï, notre copain Goodeye ? exulte l’Écossais. Un fichier vivant ! Il est capable de ridiculiser un ordinateur. Par moments je le soupçonne d’avoir en tête, avec tous leurs prénoms et leurs grains de beauté, les quelque huit millions d’habitants de l’agglomération londonienne. Parfait, mon garçon. Une fois de plus vous avez prouvé que vous êtes incollable !