Il veut son Consul, Béru, pour lui ouvrir ! L’Ambassadeur, même ! Et qu’on le rembourse ! Il est pas venu ici pour tirlipoter avec un ouatère ! Il usera de représailles, une fois à tome. Quand les Angliches viendront déféquer à Pantruche, ils auront de ses nouvelles ! Ça se paiera chérot des enfoirures pareilles ! Il emmurera les chieurs britannouilles dans les vécés de France ! Les laissera crever d’inanition dans nos guitounes intimes, à boire l’eau de la chasse et à se nourrir de leurs propres déchets en apprenant le français sur les journaux découpés en seize qui, généralement, servent chez nous de feuilles hygiéniques et de passe-temps.
— Open the door ! coupe sèchement un inspecteur, chaque fois que le Gros se tait pour reprendre sa respiration. Ça lui met de la relance dans la fureur, à Pépère.
— Qu’est-ce v’voulez que ça me branle que le pêne est dehors, hé, sale c… ! brame l’enfermé.
Sur ces entrefaites, un client se hasarde en ces lieux de tragédie. Il s’agit d’un mince vieillard qui ressemble à la cosse d’un haricot vidé de ses graines et qu’une maison spécialisée a affublé d’un appareillage acoustique capable de lui permettre d’écouter l’explosion des météorites à la surface de Mars. Faut croire que le Vioque a omis de brancher sa centrale car il entre sans sourciller et va porter sa prostate au-dessus d’une conque habilitée à recevoir ses épanchements.
Simple intermède.
— Ce n’est pas notre homme, déclaré-je à Mac Heckett. Je reconnais la voix de cet énergumène, il s’agit d’un policier français nommé Alexandre-Benoît Bérurier.
— Grand Dieu, Sané, dites-lui d’arrêter ce tapage !
Je n’ai pas le temps. Après un bref silence motivé par une rigoureuse concentration, le Gravos s’est jeté sur le panneau récalcitrant. La serrure a lâché. Une pluie de mornifle choit de sa tirelire éventrée. Sur sa lancée impétueuse, le Mastar a traversé le local et il est allé emplâtre le vieil urineur. Ce dernier qui s’examinait les vestiges en racontant des histoires niagaresques à sa pauvre vessie pour la stimuler, se pète le bol contre le mur de faïence et reste pétrifié, son bigorneau à la main, tandis que son déconophone éclaté se met à sonner « pas libre ».
— Mande pardon, lui fait Béru, mais c’est rapport à cette garcerie de serrure que, n’ayant pas d’argent anglais, je lui ai mis une pièce de vingt centimes française dont, non seulement elle me rend pas la monnaie au cours du jour, mais qu’elle s’en bloque !
En guise de réponse, le sonotomisé glisse lentement sur le carreau où il tombe à genoux. Sa pauvre bouille repose dans l’urinoir ; un jet d’eau opportun se produit à point pour le ranimer.
— Qui que c’est qui me gueulait des trucs pendant durant mon incarvécération ? demande Béru en affrontant notre groupe.
Lors, il m’avise et une expression radieuse, dépourvue d’étonnement, se manifeste sur sa frime.
— Oh, t’es là, ta mère a pu te prévenir ?
— De quoi ?
— De notre arrivée à moi et à Marie-Marie. J’ai téléphoné à ton hôtel où j’ai tombé sur Mâme Félicie dont à laquelle j’ai donné notre heure d’arrivée. Je demandais que tu vinsses car cette vache de Berthe est partie avec l’artiche des vacances. Y’a fallu que je cassasse la tirelire de Marie-Marie pour payer notre avion. Y’avait juste de quoi !
Il se baisse et ramasse une pièce de vingt centimes qui miroite dans la monnaie britannique dispersée sur le carrelage.
— J’aurais toujours dépaqueté à l’œil ! déclare le Monstrueux, avec la satisfaction du Français resquilleur.
— Où est la môme ?
— Elle est allée draguer dans la raie au porc pour voir si elle te verrait du temps que je me mettais le compteur à zéro. Tu l’as pas aperçue ?
— Non ! J’espère qu’elle ne s’est pas perdue.
— La Sifflette, se perdre ? Tu la prends pour Bécassine !
J’excuse mon compère autant qu’il puisse l’être sur ce sol des convenances et de la modération, et je me hâte de l’entraîner sous prétexte de retrouver Marie-Marie.
Le vieillard agenouillé, complètement azimuté, se croit dans sa salle de bains et entreprend de faire sa toilette dans l’eau de l’urinoir. Les mecs du Yard le prennent en charge. Je ne veux pas pêcher par excès de pessimisme, mes amis, pourtant il semblerait que nous nous soyons déconsidérés à tout jamais aux yeux de nos collègues d’Outre-manche.
— Puis-je connaître l’objet de votre venue ici ? demandé-je sans aménité, ayant laissé mon étui d’aménité sur le rayon du haut de ma garde-robes (bien que je n’appartienne pas à la joyeuse farandole des pédoques, j’ai une garde-robes, mais oui !).
— J’avais des choses à te dire dont à propos de l’enquête que tu m’as chargé.
— Tu ne pouvais pas me les dire par téléphone ?
— La môme a insisté pour que nous vinssions te retrouver.
— Décidément, chez toi, ce sont les nanas qui commandent, hé ? Lorsque la tante est en java, la nièce assure l’intérim !
Je m’attends à du rouscaillage. Au lieu de ça, le Mammouth a une réaction pitoyable. Il se met à chialer au milieu du hall. Comme un gros veau orphelin, les bras ballants, la tête lourde sous son chapeau. Les larmes lui giclent des yeux comme le sang d’une veine sectionnée.
— T’es pas chic, hoquète le Dodu. Non, t’es pas chic, San-A. Pas compatible pour un fif, Mec ! Cœur de bronze, quoi. Je m’aurais pas attendu à cet accueil. V’là que tu me carbonises mes vacances au moment que j’allais lourder. À cause de toi je me brouille à outrance avec ma Berthe qui fout le camp avec Alfred, le blé et ma part de caravane neuve. Au lieu d’aller manier le gobelet-dégustation dans les caves de mes copains angevins je pars en chasse pour tes beaux yeux. J’te dégauchis des trucs susceptibles de t’intéresser, te les apporte tout chauds après avoir secoué les éconocroques de la mouflette ; et le remerciement c’est : « Qu’est-ce t’es venu foutre ici ! » Tu me colles dans la merde et tu remues avec un bâton. Merci beaucoup, vivent les copains ! Ce que j’ai venu faire ici, puisque tu me demandes, c’est m’étourdir le chagrin en t’aidant à boulonner, mon gamin ! Marie-Marie a eu l’idée. « Tonton, elle m’a fait, pendant qu’on arpentait le mac à dames de Paris. Au lieu de courir derrière tante Berthe et son merleau, on devrait s’en aller rejoindre Santonio. Ça y ferait les pieds, à ta bonne femme, de voir que t’en as rien à foutre de ses sales tyrannies de rombière. Qu’elle se la fasse, l’Espagne, avec le pommadin. Il est bien moins rigolo que toi, tonton. Ton absence la fera comprendre que sans toi, les vacances sont tristes comme une causerie à la téloche ! Laisse-la quimper, m’n’onc, cette grosse vache. » « Marie-Marie, je lui ai riposté. Quoi que ce soit que j’ai à me plaindre dont au sujet de ta tante, je t’interdis de la traiter de grosse vache à haute voix. Cela dit, je t’approuve. Malgré qu’on y bouffe comme des sagouins, on va aller le rejoindre, notre San-A.
Dans la même journée, un second spectacle effroyable est offert aux sujets de Sa Majesté.
Là, en plein aéroport, j’embrasse mon Béru sur les deux joues.
— T’as bien fait, Grosse gonfle ! T’as bien fait d’écouter le moustique. Je suis heureux que vous m’ayez rejoint. Je sens que ça va me porter bonheur.